Journal de Mandchourie (été 2010)

Photos Mandchourie été 2010 067

 

Changbaishan (en coréen : Paektu) : le lac de cratère.

 

Premier jour (21 juillet - 615 km) : le départ est banal, comme il se doit : le troisième périphérique et ses embouteillages du matin, l’autoroute de Chengde avec une chaleur déjà lourde. Mais cette fois-ci c’est un départ sérieux : si tout va bien, le plus grand voyage routier que j’aurai fait jusqu’ici en Chine.

 

Jusqu’à Chengde, rien à signaler hormis des collines rendues luxuriantes par les pluies d’été et un confort de route sans précédent avec l’autoroute que j’emprunte pour la première fois. A Chengde, qui grandit et s’enlaidit de mois en mois, retour aux réalités de la route traditionnelle, étroite et encombrée, qui part vers le nord-est, en attendant le prolongation de l’autoroute qui ne tardera sans doute plus.

 

La route s’élève peu à peu dans des collines encore bien vertes et cultivées en riz (un peu) et surtout en maïs. La circulation décroît heureusement assez vite. L’arrivée en Mongolie intérieure est assez plaisante car la région du tunnel qui sépare les deux provinces est boisée et la légère altitude apporte une fraîcheur bienvenue, mais qui ne dure pas puisque la route redescend bientôt. La route est désormais à quatre voies et presque vide dans cette région au peuplement clairsemé ; mais elle est chère avec quatre gares de péage en moins de 100 km.

 

Chifeng, où je passe vers 16 heures est un peu comme Ordos   : une ville champignon qui grandit à toute vitesse et étale sa nouvelle richesse avec des avenues démesurées et des bâtiments administratifs imposants à la limite du raisonnable.

 

Après Chifeng c’est à à nouveau une autoroute toute neuve et presque vide. Malgré les efforts d’irrigation et de reboisement, le paysage change. Les collines se font arides et les arbres plus rares : par endroits, c’est la vraie prairie mongole avec ses vaches, comme sur les cartes postales. A d’autres endroits le sable affleure déjà et on sent que le désert n’est pas loin. En fin d’après midi je m’offre quelques kilomètres de piste dans un paysage semi-désertique : Distrayant, mais il faut se méfier des dunes qui transforment soudain une piste facile en un passage presque infranchissable. Après un ou deux franchissements délicats, je fais sagement demi-tour.

 

Nuit à Balinyouqi, qui devait être une bourgade il y a peu et se donne des airs de petite ville prospère avec ses boutiques à la page.

 

Deuxième jour (22 juillet - 675 km) : cette traversée partielle de la Mongolie intérieure ne demande pas un sens de l’orientation très développé. En sortant de Balinyouqi, on tourne à gauche vers le nord-est et c’est tout droit  pendant 550 km. La route à quatre voies est toute neuve et d’excellente qualité jusqu’à Oulanhot, 470 km plus loin. Les 80 km suivants sont un peu plus cahoteux sur une portion de route plus ancienne, mais la circulation très réduite rend la conduite agréable et bien plus sûre que dans le reste du pays.

 

Une route aussi longue est forcément un peu monotone, mais le décor se renouvelle assez souvent. Le décor dominant est une prairie, tantôt utilisée en pâturages, tantôt plantée en maïs, ce qui veut dire qu’il y a de l’eau. A certains endroits on voit aussi des cultures maraîchères et c’est presque un pays de cocagne avec une abondance de fruits et de légumes sur les étals.  En un ou deux points au contraire le décor est plus sec avec des broussailles et des dunes qui affleurent, mais c’est l’exception. Ce sud-est de la Mongolie intérieure est assez arrosé pour permettre une agriculture prospère. Peu d’arbres ; cependant, de sorte que l’ombre est rare pour s’abriter d’un soleil très chaud. Très peu d’industrie visible dans cette zone à l’écart des richesses charbonnières de la région autonome, mais plusieurs parcs d’éoliennes. Les grands espaces à perte de vue avec une population minime – et qui semble tout à fait chinoise – sont l’aspect le plus agréable et le plus dépaysant pour le Pékinois fraîchement arrivé.

 

Les petites villes traversées – Tianshan,  Oulanhot - illustrent la richesse nouvelle de la Chine. Les quartiers des décennies précédentes sont toujours là avec leurs bicoques de briques et leurs petits commerce : Mais à peu de distance s’élève la ville administrative nouvelle avec ses avenues monumentales que les ouvriers sont en train d’achever et des bâtiments administratifs démesurés. C’est une autre Chine qui sort littéralement de terre, qui veut montrer sa richesse et sa puissance.

 

En fin d’après-midi ; je bifurque vers l’est vers Jalaid Qi (petite ville qui n’a pas encore fait la mue décrite plus haut) et, 110 km plus tard, finis par arriver, à la nuit tombante à Jiangqiao, petite bourgade du Heilongjiang où une modeste auberge me donne un abri très sommaire – mais tout vaut mieux que rouler de nuit.

 

Troisième jour (23 juillet – 475 km) : la première impression de la province du Heilongjiang, donc de Mandchourie, n’est pas très favorable après cette longue tribulation en Mongolie intérieure. Les routes sont moins bonnes,  boueuses et défoncées, les villes et les villages sont plus chaotiques et plus sales, donnant un peu l’impression de revenir en arrière.

 

Après une traversée de rivière sur un pont-bateaux et 80 km de routes secondaires, je parviens à Qiqihar, première grande ville du voyage. Je tourne beaucoup dans la ville pour trouver les deux modestes curiosités offertes aux touristes : un temple bouddhiste (Dacheng) d’une antiquité toute relative puisqu’il fut construit en  1939 sous l’éphémère régime du Mandchoukouo et la mosquée, beaucoup plus intéressante, construite en 1698, avec un curieux toit aux tuiles ornées de micro-pagodes et une belle petite cour aux arbres centenaires. C’est un havre de paix et de tranquillité avec sa petite salle de prière et son minaret qui paraît nain face aux tours d’habitation qui l’entourent. Il y a peu à dire du reste de la ville.

 

27 km au sud-est se trouve la réserve d’oiseaux de Zhalong, au cœur d’un immense marais de 210 000 ha placé sur la route migratoire qui relie la Sibérie à l’Asie du sud-est. Je craignais, vu la saison et l’heure de la journée, de voir beaucoup de touristes et quelques oiseaux en cage ; j’ai la bonne surprise de trouver peu de visiteurs et  trois superbes grues à tête rouge qui se promènent librement à la lisière du marais et justifient à elles seules la visite.

 

280 km séparent Qiqihar de Harbin. C’est une voie rapide assez dangereuse jusqu’à Daqing, une autoroute toute neuve et bien plus agréable après. C’est le plat pays, sans le moindre relief. De vastes zones de marais qui semblent impropres à la culture mais aussi des champs de maïs,  des pâturages pour bœufs ou moutons et des bois, qui rompent la monotonie. Avec ses vastes avenues financées sans doute par les revenus du pétrole, Daqing, première capitale pétrolière du pays, paraît plus prospère que Qiqihar. Les derricks parsèment la campagne et se trouvent jusqu’en pleine ville. Les usines pétrochimiques sont au sud, bien visibles avec leurs cheminées et leurs torchères.

 

Une fois franchie la rivière Songhua, en fin d’après-midi, Harbin donne tout de suite l’impression d’une vraie grande ville avec ses tours, par rapport à celles visitées depuis trois jours. L’architecture des années 20 séduit d’emblée ne nouvel arrivant. Mais il faut d’abords se loger et la chose n’est pas simple pour le visiteur, motorisé de surcroît. Un petit hôtel qui l’avait donné une chambre bien propre, me chasse même quelques minutes plus tard au motif qu’il n’a pas le droit de recevoir les étrangers de mon espèce ! Je finis par trouver un gîte agréable à l’hôtel Zhongda, en pleine rue piétonnière, et ne suis pas fâché de jeter l’ancre après ces trois grandes journées de route.

 

Quatrième jour (24 juillet – 40 km) : voir l’article Harbin .

 

Cinquième jour (25 juillet – 485km) : la sortie de Harbin en voiture, même un dimanche, avec les principales avenues obstruées par les travaux du métro, est un exercice complexe dont j’ai vu le terme avec soulagement. Merci aux citadins qui ont fait de leur mieux pour m’aider même quand ils ne savaient pas, et merci surtout au soleil qui a été mon meilleur guide.

 

Autoroute très facile car presque déserte jusqu’à Mudanjiang (320 km). Route beaucoup moins agréable ensuite, car la vieille nationale partage le chantier de la future autoroute, ce qui rend le trajet lent, cahoteux et pénible.

 

Ce n’est plus le plat pays d’avant-hier mais un paysage de collines et de vallons.  Le fond des vallons est souvent planté en riz ; à l’approche de la récolte, on se croirait à Bali, mais il faut des variétés spéciales à récolte unique pour résister aux hivers sévères du Heilongjiang. Un peu plus haut se trouvent le maïs, culture dominante, et les légumes. Le sommet des collines est couvert d’une forêt (feuillus pour l’essentiel) qui devient de plus en plus dense et abondante à mesure qu’on chemine vers l’est, au point de donner matière à une industrie du bois importante entre Mudanjiang et Suifenhe. La faible densité de population explique sans doute que la forêt ait bien résisté. Malgré tout, à en juger par l’habitat, la partie orientale de la province semble relativement pauvre.

 

Naguère  petite localité frontalière de l’URSS, Suifenhe a grandi et les tours de trente étages et plus y abondent. La ville vit du commerce et le centre est un invraisemblable emporium qui vend de tout, et d’abord des vêtements, aux Russes de passage. Les prix des vêtements sont affichés en roubles et c’est en russe que les commerçants m’adressent la parole, tout surpris que je ne les comprenne pas. Avec ses enseignes bilingues, Suifenhe rappelle le quartier russe de Pékin en plus grand, avec les mêmes Russes venus commercer et se distraire. Mais, contrairement au premier coup d’œil, toute la ville n’est pas livrée au commerce frontalier. Lorsqu’on franchit la frontière invisible qui sépare le quartier commerçant des quartiers d’habitation, les enseignes russes disparaissent soudain et l’on se retrouve dans une ville 100 % chinoise. Suifenhe a beau être sur la frontière, on y est bien en Chine.

 

Je me prépare à tenter le passage de cette frontière demain matin. J’ai du mal à croire au succès d’une entreprise qui suppose la coopération des douanes des deux pays. J’ai vu des dizaines voire des centaines de Russes dans les rues de la ville mais, en tout et pour tout, un unique camion et aucune voiture immatriculés en Russie. Réponse demain.

 

Sixième jour (26 juillet –  228 km) : plongée dans la bureaucratie dès 8 heures. Je me présente à la frontière pour m’entendre dire que le passage en voiture particulière est exclu, seuls les cars dument accrédités pouvant passer. Une longue séance d’attente et de palabres commence. Les douaniers de Suifenhe, sans en démordre, sont malgré tout de bonne volonté et en réfèrent a leurs supérieurs. Vers midi ils me conseillent d’aller déjeuner – le spectacle d’un étranger à jeun les émeut visiblement plus que celui du même étranger qui attend depuis le matin. On me promet de rappeler s’il y a du nouveau, ce que j’interprète comme un congé poli. Une nouvelle tentative de passage, vers 14 heures, s’étant soldée par un nouvel échec, je renonce à mon rêve russe et prends la route du sud.

 

La portion de route de Suifenhe à Dongning  est peut-être la plus pittoresque depuis le départ de Pékin, dans des montagnes de 800 m à peu près couvertes d’une épaisse forêt : un spectacle qui évoque les Vosges plus que la Chine. Dongning est une petite ville qui vit de l’industrie du bois et du commerce frontalier : les Russes y viennent en nombre et l’ambiance est, à plus petite échelle, la même qu’à Suifenhe.

 

Petit coup de théâtre vers 15 h 30 : appel de la douane qui consent à titre exceptionnel à laisser passer ma voiture, mais à condition que celle-ci soit confiée à un transitaire. Je remercie pour le geste  mais décline, prévoyant dans le meilleur des cas un temps très important pour ces formalités à l’aller et au retour, sans parler de l’accueil de la douane russe.

 

Après une heure de tractations téléphoniques en bord de route, je poursuis en direction de Hunchun, sous une forte pluie par moments. C’est maintenant la forêt à perte de vue qui couvre les collines, sans plus aucun village ou presque. La route est excellente mais c’est la seule : à droite et à gauche, des pistes forestières détrempées par les pluies. Cette fin du Heilongjiang et ce début du Jilin sont un véritable désert forestier, comme on en trouve peu dans la partie orientale de la Chine.

 

Les premiers villages de la province de Jilin donnent une impression de bout du monde : perdus dans la forêt et pauvres à en juger par leurs maisons basses, leurs rues non cimentées et l’odeur forte des porcheries. Le bois, principale ressource locale, est utilisé pour certaines maisons, les clôtures et les séchoirs à maïs. Le riz est peu ou pas cultivé. Depuis l’entrée dans le Jilin, les panneaux et les enseignes sont à nouveau bilingues, mais cette fois-ci en chinois et en coréen, cette partie du Jilin étant réputée coréanophone.  A Chunhua, gros village perdu dans la forêt, une toute petite auberge m’offre un confort rudimentaire mais une hospitalité souriante. Très bon diner coréen (bien qu’il me soit présenté comme chinois) : brochettes au charbon de bois et chou fermente. J’ai droit en début de soirée à une descente de police en bonne et due forme, courtoise mais visiblement légèrement déstabilisée par l’événement. On me fait promettre de ne pas sortir seul la nuit – sans éclairage public et sous la pluie, les tentations sont limitées -  et nous nous quittons bons amis.

 

Septième jour (27 juillet –  240 km) : la matinée est consacrée à l’exploration d’une petite vallée proche de Chunhua. J’emprunte une piste en voiture tant qu’elle est praticable, jusqu’à un campement de bûcherons, puis continue à pied  dans la forêt. La pente est parfois forte et il fait chaud et humide. Végétation principalement composée de feuillus avec quelques conifères ; la forêt est sans doute exploitée depuis longtemps, car on trouve peu de gros arbres. Peu d’oiseaux, mais de beaux papillons bleus. Je monte jusqu’à la crête, atteinte en 1 h 30, peu après la traversée d’une vaste tranchée genre coupe-feu qui lui est parallèle.

 

En continuant vers Hunchun, les reliefs s’estompent, les plaines s’élargissent et le riz est à nouveau largement cultivé. Après le déjeuner, je me présente au poste-frontière de Changlingzi, à 14 km de Hunchun, pour une nouvelle tentative de passage en Russie qui échoue comme les précédentes, bien que ce poste soit ouvert aux étrangers tiers.

 

Je consacre l’après-midi à la visite du saillant de Fangchuan, pointe de territoire chinois qui s’enfonce entre la Russie et la Corée du nord, le long de la rivière Tumen. On y accède par une zone de collines boisées, puis on longe la rivière dans un paysage souvent marécageux avec plusieurs étangs et, si curieux que cela puisse sembler en cet endroit, des dunes de sable (un entrepreneur avisé n’a pas manqué d’y planter deux yourtes mongoles, bien anatopiques).

 

En arrivant au bord de la rivière Tumen, un pont et un poste-frontière : alors que la Russie n’est pas à plus de 2 km à l’ouest, je découvre sur la rive est la Corée du nord, que je vois pour la première fois. Comme de juste, il y a peu à voir : de rares constructions dont le poste-frontière (je ne vois qu’un ou deux camions franchir le vieux pont, contrastant avec le va et vient de la frontière sino-russe toute proche), des champs de maïs, une carrière de sable (les dunes sont mises à profit) et des collines qui semblent un peu plus déboisées que sur la rive chinoise, rien de plus. On ne voit pas âme qui vive ou véhicule de l’autre côté.

 

La route longe la rivière jusqu’au hameau de Fangchuan (45 km de Hunchun à peu près), offrant de belles vues sur le pays mystérieux d’en face. En sortant de Fangchuan, elle prend fin à l’entrée d’un poste militaire dont la visite est curieusement ouverte aux touristes. La Chine s’arrête là. C’est le point de rencontre des trois frontières. En aval, la rivière fait frontière pendant quelques kilomètres entre la Russie et la Corée du nord jusqu’à la mer du Japon toute proche (on la devine vaguement dans la brume). A quelques kilomètres près, la Chine est donc privée d’accès à cette mer. Du poste chinois, la vue est excellente sur les trois frontières avec les miradors et les casernements russes et le pont, d’un modèle antique, qui relie la Russie à la Corée du nord. Les optimistes veulent croire que la voie ferrée qui l’emprunte permettra un jour de relier Séoul à l’Europe par le train. Sans parler des autres conditions, de gros travaux seront nécessaires pour moderniser cette vieille voie ferrée et, très probablement, construire un nouveau pont.

 

Ce point de jonction des trois frontières présente un côté bout du monde et hors du temps assez sympathique : le Panmunjom du pauvre si l’on veut. Mais il était grand temps de venir : les bulldozers sont à l’œuvre. Dans quelques mois la rive sera, je présume, lotie de deux ou trois hôtels et le charme sera rompu.

 

Nuit à Hunchun, ville commerçante et industrielle où les inscriptions sont en chinois, en russe et en coréen. Tous les clients de mon hôtel sont russes. La réceptionniste m’avait d’abord adressé la parole en russe. « Vous savez, me dit-elle en chinois après avoir compris sa méprise, ici nous considérons comme russe toute personne qui ressemble à un Européen. » 

 

Huitième jour (28 juillet –  223 km) : il a plu à seaux toute la nuit et la pluie ne cesse pas de la journée, au point que les rivières ont gonflé et que la circulation est nettement ralentie. Ceci limite les possibilités de tourisme. Je prends route à petite vitesse vers Tumen et Yanji. Jusqu’à Tumen, l’autoroute est en construction ; il faut prendre une nationale au revêtement médiocre. La route longe par endroits la rivière Tumen. On peut ainsi très bien voir la rive nord-coréenne toute proche, escarpée et presque déserte.

   

  L’endroit le plus surprenant est à 14 km de Hunchun : un pont routier désaffecté enjambe la rivière ; il est en très mauvais état, partiellement affaissé, mais un piéton téméraire pourrait traverser car rien n’en interdit l’accès. La Corée du nord est là, toute proche. Trois ou quatre personnes vaquent sur la rive opposée. Le passage d’une sorte de draisine montre que la voie-ferrée sur l’autre rive est toujours en service (l’ancien pont ferroviaire est en revanche détruit). Je n’en saurai pas plus sur ce pont du non-retour.  

 

La pluie m’empêche de visiter Tumen et Yanji autrement qu’en voiture. Il y a sans doute peu à voir de toute façon. La gare de Tumen donne une impression de semi-abandon. D’un côté, quelques trains quotidiens desservent Pékin, Changchun, Dalian et quelques autres villes, toutes chinoises. De l’autre la voie unique passe sous un portique monumental marqué « Chine » gardé par un policier, enjambe un pont frontalier sur la rivière et disparaît en Corée du nord. J’ignore si elle est souvent empruntée par des trains de marchandises, mais j’en doute.  

 

Après le déjeuner à Yanji,  j’emprunte la route S 202 (à quatre voix, très bonne) vers Longjin et Helong. Bien qu’il ne soit que 15 h 30, je préfère m’arrêter car il n’y aura plus de ville ensuite et le problème du logement pourrait être ardu. Il n’est déjà pas simple à Helong,  mais je trouve le gîte dans une petite auberge. De l’extérieur, c’est dans un HLM gris et peu avenant. Mais l’étage a été rénové, les chambres ont Internet et sont tout à fait propres et modernes. Les étrangers n’y descendent pas souvent, mais la police locale veut bien donner son accord après que je suis allé me faire connaître.  

 

Neuvième jour (29 juillet –  230 km) : le temps s’est heureusement rétabli : assez beau le matin, superbe en montagne l’après-midi. Il était temps, car les pluies d’hier avaient gonflé les rivières au point de provoquer des débuts de crues. Nombre de coulées de boues gênent le passage sur les routes.

 

Une succession de routes secondaires vers le sud à travers des collines  progressivement couvertes de forêt me conduit à Nanping, petite bourgade en bord de rivière. Un pont, un poste-frontière, la Corée du nord est à nouveau juste en face et je vais la longer pendant 130 km à peu près. Le début est le plus sportif et le plus divertissant, car la piste (plus de route digne de ce nom) longe la rivière dans une gorge étroite et abrupte où les pluies d’hier ont provoqué des coulées de boues et des chutes de pierres en cours de déblaiement. Ca passe sans grande difficulté en crabotant mais c’est une belle partie de piste et de boue pendant 16 km. En naviguant ainsi dans les fondrières, j’ai la surprise de découvrir une petite ville nord-coréenne avec quelques industries, juste en face. La piste étant en surplomb côté chinois, on la voit à merveille. Je l'identifierai plus tard comme étant Musan, près de la mine de fer du même nom.

 

On  retrouve le ciment au village de Luguo : toute la portion centrale de la route frontalière est cimentée à neuf et en excellent état. Nouveau poste-frontière (Guchengli) dans une petite bourgade (Chongsan), 36 km après Nanping, et un troisième semble-t-il à Shuangmufeng, en pleine forêt dans une zone inhabitée, 54 km plus loin. A chaque fois, le passage semble très réduit. Au fur et à mesure que l’on s’élève, la rivière frontalière devient un gros ruisseau, gonflé par les pluies il est vrai. Un ou deux villages de l’autre côté, plus pauvres sans doute que du côté chinois avec des maisons en mauvais état, mais la différence ne semble pas énorme.

 

La région se dépeuple surtout de plus en plus, les cultures font place à la forêt et on traverse à nouveau une région tout à fait déserte. Une vaste forêt est occupée par un camp militaire, qui se traverse sans difficulté. Je suis contrôlé deux fois mais avec urbanité. La présence de l’étranger dans cette zone très reculée étonne visiblement, mais ne soulève aucune réaction négative.

 

La route se transforme à nouveau en piste, dégradée par les pluies récentes. On ne voit littéralement plus personne, hormis de rares véhicules. La forêt est belle (1000  m d’altitude à peu près),  l’impression de solitude et de liberté dans ces grands espaces est profonde.

 

Tout change soudain, au cœur de la forêt, lorsqu’on atteint une sorte de canyon volcanique qui est la première curiosité de Changbaishan. Trois cars de touristes coréens apparaissent soudain, c’en est fini de la solitude.

 

Après une visite rapide du canyon en question (pas mal), je gagne Changbaishan proprement dit. Je dois laisser ma voiture  à l’entrée (altitude : 1200 m). Un autobus puis un 4x4 me conduisent au sommet su cratère, à 2650 m d’altitude.

 

Le lac est en effet spectaculaire : c’est un lac de caldeira de 9 km2 à 2190 m d’altitude, de couleur bleu verte, les bords du cratère formant une succession de pics à 2600-2700 m. Les roches volcaniques donnent une succession de couleurs, du rouge au jaune soufré en passant par le noir basaltique. Une partie du pourtour du lac est herbue, ajoutant une touche verte moins austère. Il est difficile de localiser la frontière avec précision (elle coupe le lac en deux), une sorte de ruban gris du côté est servant peut-être d’ouvrage de protection. Vers l’extérieur, vue très dégagée sur la forêt et au-delà sur les plaines du Jilin qui se perdent dans la brume.

 

C’est donc un fort bel endroit, qui peut se comparer aux volcans indonésiens ou hawaiiens. Mais le prix à payer est élevé : il l’est au sens propre (248 RMB au total, soit 29 euros) ; il l’est surtout au figuré, car le touriste est proprement parqué. Au sommet, il est confiné dans une sorte d’enclos de quelques hectomètres de long (il est vrai que le site serait dangereux pour des visiteurs indisciplinés). Il lui faut en plus se satisfaire des autocars et des voitures qui font attendre come bon leur semble (près de deux heures pour descendre) et partager ce sommet auguste avec quelques centaines d’autres visiteurs, majoritairement coréens, qui expriment leurs impressions du mont Paektu (nom coréen du volcan) à pleine voix.

 

Si le cratère est le clou du spectacle, on peut voir de nombreuses curiosités annexes : sources chaudes, chutes d’eau, etc. Au total, un très bel endroit, l’un des rares de Chine de l’est qui soit vraiment en haute montagne. Il faut juste faire son deuil d’une marche d’accès (interdite) et de la solitude au sommet.

 

Nuit à Baihe, à 30 km au nord, dans une petite auberge – à nouveau dans un HLM – dont je semble être l’unique client. Le journal télévisé de ce soir ne parle que de pluies torrentielles et d’inondations un peu partout ; je mesure la chance que j’ai eue pour cette journée exceptionnelle, clou de ce voyage.

 

Dixième jour (30 juillet – 365 km) : journée sensiblement compliquée par les questions d’orientation et de signalisation.

 

Tout se passe bien au début. Au départ de Baihe, je prends la nouvelle route circulaire du parc de Changbaishan. Elle ne figure pas sur ma carte mais elle est toute neuve, excellente, et permet de bien profiter de la forêt (d’abord des feuillus puis de plus en plus de conifères). Les choses se compliquent 8 km avant Mianjiang car la dernière portion de route n’est pas encore ouverte sans que cela ait été signalé. Ceci impose un long détour vers le nord, au milieu des chantiers d’autoroute, presque jusqu’à Fusong où je retrouve la nationale 201.

 

Ayant manqué une bifurcation non signalée vers midi, je dois aller jusqu’à Baishan, région industrielle fort peu attrayante que je n’avais pas prévu de visiter. Je m’y égare à nouveau longuement,  faute de GPS et de signalisation, avant de trouver enfin la petite route vers le sud vers Sandaogou où j’arrive à 17 heures.

 

Sandaogou est un gros village au bord de la retenue Longshan du fleuve Yalu, qui matérialise la frontière jusqu’à son embouchure.

 

De Sandaogou, je commence à suivre la piste vers l’est, en corniche le long du lac, qui doit me conduire jusqu’à Ji’an, à 102 km. Tout recommence comme hier matin avec la piste, la boue et de belles vues plongeantes sur le lac. Mais au premier village (Erdaogou, 9 km) j’apprends que la route est désormais coupée et qu’il n’est plus possible de rejoindre Ji’an, pourtant signalée, tant qu’un nouveau tunnel ne sera pas achevé. La nuit va tomber et je suis pris au piège au milieu de nulle part.

 

Je retourne à Sandaogou et, sur la foi d’une affiche touristique, commence à remonter la rive du lac vers l’amont à la recherche d’un hôtel annoncé. En fait, celui-ci n’existe pas encore. A la nuit tombante, dans un village, un petit restaurant au bord d’un torrent m’offre une hospitalité spartiate pour la nuit. Je dors dans la salle à manger, sur un lit commun chauffé selon l’usage de Chine du nord. Deux énormes chiens montent la garde. Sur l’autre rive du lac, à 1 km, la Corée du nord.

 

Morale de cette journée : ne se fier ni aux cartes, ni aux affiches, ni aux panneaux indicateurs lorsqu’il y en a.

 

Onzième jour (31 juillet, 98 km) : Il a beaucoup plu cette nuit et il va pleuvoir l’essentiel de la journée.

 

Je tente de remonter le Yalu/Longshan vers l’amont par la route qui le borde, bien qu’elle ne figure pas sur ma carte. Il faut rapidement y renoncer : les chutes de pierres sont incessantes sur les passages en corniche et la progression devient dangereuse, me rappelant de mauvais souvenirs de Spiti (avril 2006). Je fais donc demi-tour et regagne Sandaogou.

 

N’ayant  plus d’autre possibilité, je reprends la route de Baishan prise hier. Tout va bien pendant 28 km. Au village de Hongtuai, dans le district de Badaojiang, les choses se compliquent : un affluent de la rivière principale est sorti de son lit et a tout inondé. Les rues sont sous l’eau et celle-ci a envahi la plupart des maisons. Les villageois sont dans la rue et colmatent comme ils peuvent sans perdre leur calme.

Si les autorités sont déjà mobilisées, comme il est probable, elles œuvrent dans la discrétion. Aucun policier ni cadre n’est visible, le bureau de la sécurité publique, de grandes dimensions, est d’ailleurs fermé.

 

La hauteur d’eau n’excédant pas 30 cm, cette crue ne serait pas suffisante pour bloquer le passage. Mais l’affluent suivant, 2,5 km plus loin, a emporté le pont sur lequel j’étais passé hier. Il roule des eaux orange avec fracas dans le trou béant. La route est coupée.

 

Je tente deux autres petites routes, l’une vers le nord-ouest (Liudaojiang), l’autre vers le sud-ouest (Guosong). Toutes les deux sont également coupées : portions emportées par des cours d’eau furieux, coulées de boue, arbres abattus. Le piège est refermé et il est étanche.

 

Une petite boutique de Hongtuai m’offre une chambre réduite à sa plus simple expression, mais qui a le mérite d’exister. L’électricité fait défaut dans tout le village. En fin d’après-midi, des travaux ont commencé sur le site du pont détruit mais avec des moyens limités qui donnent à craindre qu’il faille du temps.

 

Douzième jour (1er août, sur place) : toujours pas d’électricité ni d’eau potable, comme il est habituel lors des crues. Le beau temps est heureusement de retour, mais il ne suffit pas à réparer les routes détruites. Les villageois en profitent pour faire sécher dans les rues tout ce qui a pris l’eau hier : meubles, appareils ménagers, denrées agricoles, pétards. La rue principale devient un bric-à-brac coloré.

 

J’explore à pied, sans réel espoir mais méticuleusement, les moindres chemins autour du village à la recherche d’un passage possible. Il n’y en a pas.

 

Je retourne dans l’après-midi sur le chantier du pont. Des moyens beaucoup plus importants sont maintenant à l’œuvre et la construction d’un pont provisoire est presque achevée. C’est un mélange de technique (pelles mécaniques, bulldozers) et de cantonniers maniant la pelle et les sacs de terre. J’ai une pensée pour leurs collègues nord-coréens qui sont sans doute en train de faire le même travail quelques dizaines de kilomètres plus au sud, sans les mêmes moyens. Le travail est rondement mené mais les conditions de sécurité font frémir : personne ne porte de casque, les pelles mécaniques font des moulinets à moins d’un mètres des têtes des cantonniers ou des passants qui traversent le pont non encore achevé. Le pont provisoire est constitué de quatre conduites de ciment placées dans le lit du ruisseau, flanquées de sacs de terre et couvertes d’une couche de terre compactée. La construction des bretelles d’accès est un gros travail, mais qui avance vite grâce à une noria de camions.

 

La circulation reprend vers 18 h 45. Je résiste à la tentation de partir sur la champ pour ne pas conduire de nuit, au risque de me maudire en cas de forte pluie détruisant le nouvel ouvrage cette nuit. Je passe donc une seconde nuit à Hongtuai. Par chance, un groupe électrogène me permet de reprendre la saisie de ce petit journal. Hongtuai n’est plus coupé du monde.

 

Treizième jour (2 août, 393 km) : départ à 5 h 30. En franchissant le pont provisoire, je pousse un soupir de soulagement, nuancé d’un peu de nostalgie, car les villageois de Hongtuai m’ont accueilli deux jours durant avec gentillesse, sans chercher à aucun moment à profiter financièrement de la situation.

 

Je dois faire un long détour par le nord (Baishan, Tonghua) avant de reprendre la route du sud vers Ji’an. C’est une route lente, sans même parler de la traversée de Tonghua à l’heure de pointe du matin. Elle passe par une zone minière sale et polluée, en fort contraste avec ces forêts qui font l’attrait du sud de la province. Tonghua connaît aujourd’hui même une sérieuse pénurie d’eau potable après la rupture de canalisations provoquée par les pluies.

 

 Peu avant d’arriver, je traverse la réserve de la montagne des cinq femmes (Wunushan) que je retrouverai demain au Liaoning. C’est l’occasion d’une jolie marche en forêt (220 mètres de dénivelé), qui fait oublier le caractère modeste du but de promenade : une hutte où ont dû habiter des combattants anti-japonais (pas plus de deux ou trois, vu sa taille).

 

Ji’an présente deux particularités : sa promenade sur le bord du Yalu et les ruines environnantes. Le fleuve est gonflé par les pluies récentes. Le contraste est grand entre une petite ville chinoise qui se développe, se rénove, construit des quartiers neufs sur la rive et dont les citadins viennent faire bombance dans les restaurants de fruits de mer de la berge – et la rive nord-coréenne principalement agricole avec un village, quelques hameaux et malgré tout une usine (peut-être une cimenterie) dont  la cheminée fume, signe d’activité. Le contraste entre l’opulence nouvelle et le dénuement que l’on devine en face est bien visible malgré la largeur du fleuve.

 

Les vestiges archéologiques de l’ancien royaume de Koguryo, sans être très spectaculaires, sont très nouveaux pour l’observateur habitué des monuments chinois : un tombeau, dit « du Général » en forme de pyramide à degrés (flanqué du tombeau beaucoup plus petit d’une concubine) ; la stèle du Roi Haotaiwang, sorte d’obélisque en pierre noire sur laquelle sont gravés 1775 caractères chinois ; et plusieurs tombeaux tumulaires répartis autour de la ville, dont celui de Haotaiwang précité dont la chambre funéraire est accessible. Le royaume de Koguryo (apogée aux IV –Vèmes siècles, s’étendait sur la Corée et le Hebei et le Liaoning actuels. Sa lointaine histoire a donné lieu il y a quelques années à une polémique sino-coréenne, les Coréens n’acceptant pas que la Chine revendique comme sienne une dynastie qu’ils tiennent pour constitutive de leur identité. De fait  les vestiges de Ji’an sont à moins de 3 km du Yalu frontalier. A en juger par les billets de banque déposés à titre d’offrandes, une bonne moitié des visiteurs sont sud-coréens.

 

Sortant je Ji’an, je longe le Yalu sur une dizaine de kilomètres vers l’aval, jusqu’à Pingan. Le temps est magnifique mais très chaud. La rive nord-coréenne présente son visage désormais habituel : peu peuplée avec quelques villages seulement, des champs de maïs en bordure de fleuve et montant haut (plus haut que du côté chinois) à l’assaut des collines. La forêt reprend ses droits au point où je cesse de suivre le Yalu pour obliquer vers le nord-ouest.

 

L’après-midi se passe dans un paysage de collines, avec une succession de petits cols. La route est assez pittoresque. La plus belle portion résulte même d’une erreur d’orientation : induit en erreur par un panneau trompeur au village de Dalu, je m’engage dans un vallon en impasse sur les confins occidentaux du Jilin. Charmant vallon bucolique avec uen petite rivière  bien claire et des villages bien préservés, mais piste cahoteuse et de plus en plus étroite. Je finis par comprendre mon erreur et en suis quitte pour une longue marche arrière puis tout le vallon en sens inverse. Quelques minutes plus tard, ayant trouvé le bon vallon, je quitte le Jilin – dont j’ai beaucoup profité - pour le Liaoning

 

Les 30 derniers km sont pénibles : la route S 201,  excellente jusqu’ici, devient soudain exécrable et les camions très nombreux. C’est avec soulagement que j’arrive à Huaren où un hôtel sans charme me procure néanmoins un niveau de confort sans commune mesure avec celui des trois nuits précédentes, à commencer par le luxe inestimable d’une douche.

 

Quatorzième jour (3 août, 265 km) : la journée commence par la visite du site koguryo de Wunushan à une douzaine de kilomètres au nord de Huanren. La ville ancienne est perchée sur une montagne tabulaire à 821 m d’altitude, que l’on gravit par un escalier en forte pente : excellente position défensive, renforcée par des portes d’accès. Le site est beau, avec une vue sur toute la région. En dépit du travail des archéologues, il reste cependant très peu de choses de la cité disparue : quelques fragments de murs, un vieux puits et quelques traces de bâtiments sur le sol, à peine visibles pour le profane.  Un temple taoïste a construit sous les Qing, mais un panneau indique sobrement qu’il a été « supprimé en 1966 ». Heureusement, un petit musée bien conçu, au pied de la montagne, permet d’en savoir davantage sur la civilisation disparue. Les légendes sont prudentes, sans doute pour ne pas susciter de passions chinoises ou coréennes.

 

Une route assez lente, à travers des collines boisées, me conduit à Kuandian, puis à Qingzhen où je retrouve le Yalu. Un pont à moitié détruit, une île chinoise mais dont l’accès est néanmoins interdit aujourd’hui et le paysage habituel sur la rive d’en face. Un peu en aval, un grand barrage relie les deux rives.

 

25 km avant d’arriver à Dandong, « la montagne du tigre » (Hushan) . sur une petite colline au bord du fleuve se trouve un site restauré de la grande muraille, qui plonge littéralement dans le Yalu. Bien que la muraille restaurée n’ait jamais le charme de la muraille naturelle, c’est un bel endroit, visité surtout par des touristes sud-coréens. Il s’agit, à ma connaissance, du site le plus à l’est de la muraille, bien plus à l’est que Shanghaiguan (Hebei) où la muraille rejoint la mer (voir l’article A la plage ).

 

Le Yalu, à cet endroit, se divise en plusieurs bras entre lesquels se trouvent de vastes îles plantées de maïs. Pour une raison que j’ignore, ces îles sont nord-coréennes, de sorte que la colline où prend fin la muraille n’est séparée de la Corée du nord que par un très petit bras, de 20-30 m de large. On approche donc le pays voisin « à un pas » (yibukua) et on le voit à merveille du haut de la butte. Le village le plus proche frappe par ses tons gris et blancs, sans les couleurs des villages chinois si proches.

 

Le contraste est réel mais il est peu de chose par rapport à celui que l’on observe en arrivant à Dandong. La rive chinoise du Yalu est désormais lotie de tours résidentielles toutes neuves d’une trentaine d’étages, qui forment un vrai « skyline » à l’américaine. En face, à 1 km environ, les immeubles de Sinuiju ne dépassent pas trois étages de pauvre facture et remontent visiblement aux années 50 ou 60. Deux siècles, deux mondes. L’impression est peut-être encore plus forte en soirée. Les deux ponts qui relient les deux rives (l’un intact et utilisé, l’autre à moitié détruit) sont brillamment éclairés de toutes les couleurs. Dandong s’est offerte une promenade de bord de fleuve où les passants déambulent par milliers le soir, un peu comme sur le Bund de Shanghai. Mais au lieu de voir les tours de Pudong sur l’autre rive, on en voit rien ou presque. Tout est noir sauf un unique néon près du poste-frontière et quelques pâles ampoules à peine visibles dans la nuit. Débauche de lumières contre cœur des ténèbres : la comparaison est sans doute un peu forcée, car on trouve à Dandong quantité de HLM des années 50 qui ne dépareraient pas sur l’autre rive. Peut-être y a-t-il à Sinuiju des sites un peu plus avenants que ce que l’on voit d’ici. Mais le contraste est trop éclatant pour ne pas symboliser le succès de la Chine et l’arriération nord-coréenne. Pour ajouter une touche d’ironie au tableau, c’est un immense Mao le bras levé qui accueille les visiteurs en sortant de la gare internationale de Dandong. Qu’en pense-t-il ?

 

Un détail enfin : aucun panneau indicateur ne signale le point le plus important de la ville : le poste-frontière. Dans une rue centrale se trouve un vaste porche sur lequel est écrit (en chinois) : « Chine Dandong ». On pourrait croire une maison de commerce car des camions entrent et sortent au rythme de plusieurs par minute. C’est en fait l’accès discret au pont tout proche qui constitue l’artère vitale du pays voisin.

 

Quinzième jour (4 août, 616 km) : départ de Dandong à dix heures après une vidange de la voiture qui prend du temps. Autoroute facile dans un décor vallonné jusqu’à Liaoyang. On traverse par moment des sites industriels de grande taille conformes à la réputation du Liaoning.

 

Si surprenant que cela puisse paraitre en Chine, je perds beaucoup de temps à trouver de l’essence à Liaoyang, dont certains faubourgs de HLM gris et décrépits donnent l’image de la Chine avant les réformes.

 

Une fois rejointe l’autoroute Shenyang-Pékin, en début d’après-midi, les conditions de route deviennent très difficiles. Il pleut à seaux et un brouillard parfois épais tombe sur la plaine. Les camions sont de plus très nombreux et il faut se frayer un passage entre les gerbes d’eau qu’ils soulèvent. Je ne parviens donc à Yixian que vers 16 h 45. Le temps de m’orienter dans cette petite ville chaotique, les deux curiosités essentielles ont fermé : le temple Fengluo, imposant vu de l’extérieur, et le musée des fossiles de Yizhou fondé par un archéologue allemand qui a trouvé des restes de dinosaures. J’ai pour seule consolation la porte nord de la ville, non restaurée et bien à l’état nature ; c’est peu pour in détour de 100 km.

 

Après 130 km d’autoroute particulièrement difficiles, j’arrive à Xingcheng à la nuit tombée. La ville ancienne n’offre aucune ressource hôtelière (et les commerces y sont fermés la nuit, donnant l’impression  d’une ville morte). C’est un hôtel sans charme proche de la gare qui m’accueille après cette étape éprouvante.

 

Seizième jour (5 août, 412 km) : la pluie est tombée toute la nuit et Xingcheng est en partie inondée. Pour passer sous les voies de chemin de fer, il y a 60-70 cm d’eau, ce qui est limite, même pour une bonne voiture.

 

La visite de la ville est donc un peu morose. Xingcheng, c’est un peu le Pingyao du pauvre (voir l’article Shanxi ) : la vieille ville est entourée d’une muraille Ming, mais presque tous les bâtiments à l’intérieur sont modernes et sans intérêt, sauf deux rues commerçantes restaurées. Il reste une tour de la cloche, quelques édifices un peu anciens, résidences de notabilités locales, dont le plus intéressant est le temple de Confucius, restauré de fond en comble mais tranquille – je suis là avant les groupes de touristes – et agréable. Si les hutong sont trop récents pour êtres intéressants, l’envers du décor est comme souvent digne d’être vu : un vieux portail, quelques arbres adossés à la muraille, c’est sur cette vision que se termine cette courte visite.

 

Route à nouveau très pénible pendant 100 km pour sortir du Liaoning, avec une pluie très forte et des embouteillages causés par les travaux. Au milieu de centaines de camions, c’est assez cauchemardesque. Et puis comme par enchantement, la pluie s’arrête à Shanghaiguan, à l’entrée dans le Hebei (visité en décembre 2009; voir l’article A la plage  précité) et un soleil superbe, bien inattendu, brille sur Pékin dans l’après-midi. Le voyage se termine comme il avait commencé, sur le troisième périphérique, où un bel embouteillage a été préparé pour m’accueillir. Entre celui du premier jour et celui-ci, j’ai visité une région autonome et trois provinces (sans compter le Hebei) et parcouru quelque 5 400 km.

 

 

Les impressions d'ensemble du voyage sont récapitulées dans l'article Impressions du nord-est chinois .  Les photos se trouvent dans l'album  Mongolie intérieure, Mandchourie Mongolie intérieure, Mandchourie .

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