Ordos

Publié le par Ding

A 800 km à l’ouest de Pékin, sur les confins méridionaux de la Mongolie intérieure, Ordos (« le lieu des nombreux palais » en mongol) est une ville champignon sortie du désert. Il y a vingt ans, c’était une simple bourgade nommée Dongsheng, perdue dans les sables. Aujourd’hui, la ville a plutôt fière allure  avec ses larges avenues, ses tours et sa verdure artificielle. Le centre est une vraie forêt de grues, qui donne une idée de la construction frénétique qui se poursuit en Chine.

 

L’endroit le plus étonnant, et le plus controversé, est la ville nouvelle administrative de Kangbashi, à quelques kilomètres de là : ici, tout est prestigieux sinon démesuré pour une  préfecture de 87 000 km2 et 1,6 millions d’habitants : avenues monumentales, siège administratif de la municipalité digne d’une petite capitale, musée, bibliothèque en forme de livres, statues grandioses évoquant l’histoire et la culture mongoles. Tout est imposant, tout est spectaculaire, mais tout est vide : les habitants n’ont pas suivi et Kangbashi, désert des Tartares urbain, est devenue pour les internautes chinois un symbole de démesure officielle et de mauvais usage des fonds publics. Le responsable local tente pourtant de faire bonne figure. Il assure que sa ville comptera 50 000 habitants fin 2010 et 300 000 à terme, et que la controverse a du bon puisqu’elle lui vaut une bonne publicité. En attendant, cette cité du futur au milieu de nulle part laisse l’impression étrange d’un désert urbain (1).

 

Visite de la mine de charbon de Bulianta, connue pour son usine associée de liquéfaction du charbon: si Ordos est prospère, c’est parce que la ville est juchée sur des réserves carbonifères considérables : le sixième des réserves chinoises dit-on, assez pour plus de soixante ans. La liquéfaction du charbon permet, moyennant beaucoup d’eau, de produire du carburant et des solvants liquides. Même si elle n’est  pas très rentable dans l’immédiat, elle montre la voie pour l’avenir : Ordos se pense comme un vaste laboratoire. Descente en minibus dans les galeries : 7,4 km de route sous terre. Dûment casqués, bottés et vêtus de combinaisons de mineurs, nous cheminons ensuite à pied dans une galerie de 7 m de haut, étayée par des vérins massifs, qui s’enfonce dans la veine carbonifère. Là, une énorme foreuse importée d’Allemagne arrache les blocs de charbon au rythme de 2500 tonnes a l’heure et les jette sur un tapis roulant qui les évacue vers la surface. Pour autant qu’un profane puisse en juger, on est ici dans une mine moderne où la sécurité est prise au sérieux, à la différence des mines privées où les accidents sont si fréquents.

 

Visite du village tout neuf de Wulanmulun. Sans être des rois du pétrole, les mineurs et les paysans d’Ordos profitent visiblement de la prospérité  minière. Wulanmulun est un village modèle, qui évoque un lotissement de banlieue californienne. Les maisons à deux étages peintes en jaune sont divisées en deux appartements de 200 m2 , vendus aux paysans pour à peine 25 000 euros, prix fortement subventionné. L’aménagement intérieur reste simple, mais ce village modèle est à peine croyable dans le contexte local ; il contraste avec les cahutes de briques ou les mineurs et les paysans logeaient auparavant. Pour tout dire, on ne se sent plus en Chine.

 

 La campagne a aussi beaucoup changé. Cette région était désertique il y a vingt ans et les paysans devaient lutter pied à pied contre l’envahissement du sable qui menaçait de tout recouvrir. Depuis, on a beaucoup planté – la mine a l’obligation de planter un arbre pour 10 t de charbon extraites – et la région est aujourd’hui verte à 70 %, dont 23 % de forêt. Pour en arriver là, il a fallu interdire aux paysans de laisser paître le bétail en liberté, car celui-ci détruisait la végétation fragile de la steppe. Ici comme ailleurs, le progrès s’accompagne de la sédentarisation des nomades.

 

A quelques dizaines de kilomètres de là se trouve le mausolée de Gengis Khan. « Mausolée» est un terme trompeur, car le conquérant n’est pas enterré là. Il s’agit d’un de ses anciens campements, entièrement reconstitué pour les touristes. Visite complète avec spectacle de danses mongoles, palais reconstitué, armée mongole de bronze formant un musée de plein air. Gengis Khan lui-même est présenté implicitement comme un héros national, puisqu’après tout les Mongols dominaient la Chine  à l’époque. Tout ceci est intéressant, les danses sont belles, les chanteurs ont des voix profondes de la steppe,  l’architecture mongole est originale mais …tout est faux. Les Mongols nomades n’ayant laissé aucune construction, tout a été construit ex nihilo pour les touristes, formant une sorte de Disneyland mongol. Toutes les précisions données sur l’histoire et la culture locales, si instructives soient-elles, n’effacent pas l’impression d’une culture réduite à l’état folklorique. Les Mongols ne représentent que 10 % de la population de Mongolie intérieure et l’assimilation culturelle et linguistique est avancée. La culture locale est fortement valorisée dans l’architecture et le discours officiel, mais on peut se demander si elle reste vivante – à la différence de la Mongolie voisine.

 

La journée s’achève par la visite d’une filature de cachemire, l’une des industries de la région autonome. Les métiers à tisser sont allemands, la qualité paraît belle et les prix montrent que la production est destinée à l’exportation ou à une élite locale.

 

Le lendemain, une promenade à dos de chameau montre un désert spectaculaire mais promu lui aussi au rang d’attraction touristique. Assez factice donc, mais permet de prendre la mesure des contrastes de la région : du désert total avec ses dunes aux champs de maïs proches du Fleuve jaune en passant par des steppes arbustives et des zones désormais boisées. La Mongolie intérieure est en pointe dans la lutte contre la désertification. Le combat n’est pas gagné, mais l’impression est qu’un effort massif  donne des résultats encourageants.

 

.Peu connue hors de Chine, la préfecture d’Ordos gagne à être connue et affiche son bilan avec fierté: en vingt ans, elle a utilisé sa richesse minière pour produire un charbon plus propre, faire reculer le désert et accéder à une prospérité relative qu’elle étale sans fausse modestie. Base de l’industrie lourde, la Mongolie intérieure consacre des moyens importants à la protection de son environnement. Dans le même temps, elle s’efforce d’exploiter son héritage culturel sans tout à fait convaincre, tant les Mongols sont aujourd’hui fondus dans l’ensemble chinois.

 

 

 

(1) : David Barboza (New York Times) s'est rendu à Kangbashi en octobre 2010 et lui a consacré un article : http://www.nytimes.com/2010/10/20/business/global/20ghost.html?emc=eta1

Publié dans Nouvelles de Pékin

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