En Basse Casamance

Publié le par Ding

Souvenir d'un festival culturel à Oussouye

Souvenir d'un festival culturel à Oussouye

Abstract : Sandwiched between the Gambia and Guinea Bissau, the Lower Casamance region is very different from the center and the north of Senegal. Rivers and mangroves provide hundreds of miles of waterways, rich with fish and birds. It is a fertile region with ricefields and orchards not to be found in the arid north. Unlike the rest of Senegal, Casamance is 90 % Roman catholic with a strong presence of the Church. A month before Senegal’s presidential election, Casamance was calm but a little tense, many people feeling their region is not receiving the support it deserves.

Enclavée entre la Gambie au nord et la Guinée Bissau au sud, la région de Casamance s’étire le long du fleuve du même nom. Bien qu’elle soit visitée par de nombreux touristes, il n’est pas simple d’y accéder actuellement. Depuis les émeutes de mai et juin 2023 (voir le Monde du 12 juin), les liaisons maritime et aérienne vers Ziguinchor, la capitale régionale, sont suspendues sine die. Je m’y suis donc rendu par la route « trans-gambienne » au départ de Kaolack, avec une traversée de la Gambie sur une vingtaine de kilomètres et un franchissement du fleuve Gambie sur le pont de Sénégambie, qui fait gagner des heures par rapport au bac d’antan. Ce bref transit par la Gambie est assez bureaucratique avec de nombreux contrôles mais ne pose pas de difficulté majeure. Une fois en Casamance, la route est en chantier sur plusieurs dizaines de kilomètres, si bien que le voyage total depuis Dakar (470 km) prend dix bonnes heures.

En Basse CasamanceEn Basse Casamance
En Basse Casamance
En Basse CasamanceEn Basse CasamanceEn Basse Casamance

La Basse Casamance est une région entre terre et eau. L’estuaire reçoit plusieurs affluents, il est bordé de lagunes et de vastes mangroves à palétuviers. Entre celles-ci, des chenaux étroits, les bolong forment des labyrinthes dans lesquels ne peuvent naviguer que des pêcheurs ou des piroguiers expérimentés. La Casamance est rizicole mais n’exporte pas son riz car on y pratique une seule récolte annuelle. Parmi les autres productions, les fruits, les légumes de toutes sortes, l’huile de palme. Du petit élevage aussi, avec une race de vaches à longues cornes pointues. Les produits locaux, sur les marchés, sont bien moins chers que les fruits et légumes importés qui leur font concurrence.

La cathédrale Saint Antoine de Padoue à Ziguinchor (photo 1) ; les autres photos sont prises à Oussouye.La cathédrale Saint Antoine de Padoue à Ziguinchor (photo 1) ; les autres photos sont prises à Oussouye.
La cathédrale Saint Antoine de Padoue à Ziguinchor (photo 1) ; les autres photos sont prises à Oussouye.La cathédrale Saint Antoine de Padoue à Ziguinchor (photo 1) ; les autres photos sont prises à Oussouye.

La cathédrale Saint Antoine de Padoue à Ziguinchor (photo 1) ; les autres photos sont prises à Oussouye.

Les Diola, ethnie dominante ici, sont majoritairement catholiques. Eglises, dispensaires, écoles et lycées catholiques sont partout alors que le Sénégal dans son ensemble est musulman à 90 %. Les 10 % restants se partagent entre musulmans et animistes (« des païens qui adorent les esprits » m’explique un guide local). Un roi coutumier réside toujours à Oussouye, à côté d’un bois sacré interdit aux non-initiés. Un de ces prédécesseurs s’est laissé mourir de faim quand il fut arrêté par les Français en 1903.

Alice Sitoe Diatta, "reine" de Casamance (photo 1 à Ziguinchor, à gauche photo 2 à Oussouye)Alice Sitoe Diatta, "reine" de Casamance (photo 1 à Ziguinchor, à gauche photo 2 à Oussouye)

Alice Sitoe Diatta, "reine" de Casamance (photo 1 à Ziguinchor, à gauche photo 2 à Oussouye)

Bien que j’aie sagement évité les sujets politiques dans cette période pré-électorale, le particularisme casamançais affleure souvent dans les conversations, avec le sentiment que « Dakar » ou « les Wolof » se soucient peu des besoins de la région. Alice Sitoe Diatta (vers 1920 – 1944), « reine » et prêtresse qui galvanisa les esprits contre la présence coloniale, reste révérée et représentée un peu partout.

Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.
Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.
Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.
Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.

Zinguinchor : le mémorial du naufrage du Joola en photo 2.

Ziguinchor : le Marché Saint Maur des Fossés, dont l'appellation s'explique par un jumelage (photo 1) ; les photos 2 et 3 résument le dilemme de beaucoup de jeunes : partir vers l'Europe, légalement ou non, ou rester et entreprendre ?
Ziguinchor : le Marché Saint Maur des Fossés, dont l'appellation s'explique par un jumelage (photo 1) ; les photos 2 et 3 résument le dilemme de beaucoup de jeunes : partir vers l'Europe, légalement ou non, ou rester et entreprendre ?Ziguinchor : le Marché Saint Maur des Fossés, dont l'appellation s'explique par un jumelage (photo 1) ; les photos 2 et 3 résument le dilemme de beaucoup de jeunes : partir vers l'Europe, légalement ou non, ou rester et entreprendre ?

Ziguinchor : le Marché Saint Maur des Fossés, dont l'appellation s'explique par un jumelage (photo 1) ; les photos 2 et 3 résument le dilemme de beaucoup de jeunes : partir vers l'Europe, légalement ou non, ou rester et entreprendre ?

Ziguinchor (familièrement « Zig »), ancien comptoir portugais puis français, a aujourd’hui des airs de petite préfecture tropicale endormie. La ville est située sur la rive sud de l’estuaire de la Casamance, accessible aux navires de mer bien qu’elle soit éloignée de cent kilomètres de l’océan. Le naufrage du Joola, en 2002, qui fit plus de 2 000 morts, est encore dans toutes les mémoires. Un mémorial vient d’être inauguré en ville, sur la rive du fleuve.

Ziguinchor : le port de pêcheZiguinchor : le port de pêche
Ziguinchor : le port de pêche
Ziguinchor : le port de pêcheZiguinchor : le port de pêche

Ziguinchor : le port de pêche

Le matin, le port de pêche est en pleine activité avec mulets, capitaines de belle taille et crustacés proposés à la clientèle. Ensuite la ville s’assoupit un peu. Elle est vaste cependant et s’étend de plus le long de la route qui mène à Sao Domingos, en Guinée Bissau voisine. Les rues principales sont goudronnées, les autres sont sablonneuses, avec des égouts à ciel ouvert depuis l’échec d’un projet d’assainissement.

Ziguinchor : le jardin et les décombres de l'Alliance franco-sénégalaiseZiguinchor : le jardin et les décombres de l'Alliance franco-sénégalaiseZiguinchor : le jardin et les décombres de l'Alliance franco-sénégalaise

Ziguinchor : le jardin et les décombres de l'Alliance franco-sénégalaise

L’Alliance franco-sénégalaise de Ziguinchor est assez loin du centre. A ma surprise je la trouve dévastée par deux incendies perpétrés les 15 mai et 1er juin derniers, lors des émeutes. Il reste un beau jardin et une ou deux cases inspirées des cases traditionnelles de Casamance. Le reste a été dévasté. Le récit qui m’en est fait est peu clair et ne permet pas de comprendre à quel camp se rattachaient les incendiaires. Il faudra des mois ou davantage pour reconstruire si l’Alliance trouve les fonds nécessaires et si les prochaines élections présidentielles, le 25 février, ne donnent pas lieu à de nouvelles violences, sachant que le principal opposant sénégalais est originaire de Ziguinchor.

En pirogue de Ziguinchor à AffiniamEn pirogue de Ziguinchor à Affiniam
En pirogue de Ziguinchor à AffiniamEn pirogue de Ziguinchor à Affiniam
En pirogue de Ziguinchor à AffiniamEn pirogue de Ziguinchor à Affiniam

En pirogue de Ziguinchor à Affiniam

Les routes étant peu nombreuses et les transports routiers limités, c’est par la pirogue villageoise que je gagne la rive nord de l’estuaire. L’embarcation avec ses trente passagers fait route vers l’ouest et traverse l’estuaire en diagonale. En rejoignant la rive droite, elle embouque un bolong (voir glossaire infra), jusqu’à retrouver un large affluent. Beaucoup d’oiseaux. On accoste au débarcadère d’Affiniam après 1 h 12 de navigation.

Affiniam
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Affiniam

Affiniam

Pas de rue goudronnée ni de voitures au village d’Affiniam, dont les maisons s’étalent sous des baobabs et des fromagers gigantesques. Quelques cultures maraîchères qu’il faut arroser à la main dans une terre sablonneuse. Des vaches, des porcs et des chèvres. Affiniam est entourée de lagunes et, comme beaucoup de villages du sud-Sénégal, doit faire face à la salinité croissante des terres. La coopération chinoise a construit un barrage pour tenter de prévenir les remontées d’eau salée.

Affiniam : le campement Diaméor Diamé accueille les visiteurs ; il a été construit en 1978 sur le modèle des cases traditionnelles circulaires à impluvium.Affiniam : le campement Diaméor Diamé accueille les visiteurs ; il a été construit en 1978 sur le modèle des cases traditionnelles circulaires à impluvium.

Affiniam : le campement Diaméor Diamé accueille les visiteurs ; il a été construit en 1978 sur le modèle des cases traditionnelles circulaires à impluvium.

Le village, à majorité catholique bien qu’on y trouve une mosquée, est bien organisé : il possède une caisse de protection sociale et un campement villageois en terre cuite qui accueille les visiteurs dans des chambres quasi-monacales autour d’un patio circulaire à impluvium, à l’image des cases traditionnelles de Casamance. Endroit idéal pour explorer la campagne voisine avec ses lagunes ou pour souffler, tout simplement. Le wifi est en panne, parfait pour se désintoxiquer.

Senghalen : bosquet d'anacardiersSenghalen : bosquet d'anacardiers

Senghalen : bosquet d'anacardiers

De retour sur la rive sud, je me rends au village de Senghalen, près d’Oussouye, où se trouve une rareté : une unité artisanale de transformation de la noix de cajou (« noix d’acajou » sur certaines pancartes). Joseph, 82 ans, son fondateur, m’explique que la culture de l’anacardier est une affaire portugaise : partie du Brésil, elle a essaimé vers des territoires lusophones, dont Goa et la Guinée Bissau, d’où elle a gagné la Casamance voisine dont le climat est favorable. A Oussouye, on récolte trois fois par an car les conditions sont optimales. La majorité de la production casamançaise (50 tonnes) est exportée brute vers l’Inde et traitée au Kerala.

Senghalen : Joseph, les échantillons de noix de cajou, les fours de torréfactionSenghalen : Joseph, les échantillons de noix de cajou, les fours de torréfaction

Senghalen : Joseph, les échantillons de noix de cajou, les fours de torréfaction

Chez Joseph et son fils Paterne, tout le traitement est fait sur place et à la main : les noix sont cuites à la vapeur, décortiquées, torréfiées, dépelliculées et emballées. C’est un travail intensif qui emploie quinze salariés et des journaliers. Les noix sont accommodées de diverses manières : nature, salées, sucrées, au poivre, au piment, au miel. La pomme de l’anacardier est consommée nature ou transformée en confitures, en eau de vie ou en jus. La clientèle est constituée des touristes qui viennent en Casamance. Pour exporter, il faudrait changer d’échelle et les moyens manquent malgré quelques aides étrangères. Le quasi-monopole de l’Inde ne semble pas menacé sérieusement.

La plage de Cap Skirring
La plage de Cap SkirringLa plage de Cap Skirring
La plage de Cap SkirringLa plage de Cap SkirringLa plage de Cap Skirring

La plage de Cap Skirring

Surprise le lendemain en arrivant à Cap Skirring, sur la côte. « Cap », comme disent les résidents et les habitués, a été lancé par le Club Med dans les années 1970 sur une des plus belles plages du Sénégal. Le littoral est loti d’hôtels et d’auberges, sans compter restaurants et boites de nuit. Des étrangers, dont quelques-uns venus en camping-car, mais pas tant que ça pour la saison : ici comme ailleurs, les hôteliers constatent que l’approche des élections présidentielles sénégalaises a découragé beaucoup de touristes. Sur la plage, jeunes et moins jeunes, Sénégalais et Européens créent une ambiance assez surprenante, bien éloignée de la Casamance rurale et catholique pourtant si proche.

Kabrousse : la plage et le cap Roxo ; une sous-préfecture aux champs ; le bar NirvanaKabrousse : la plage et le cap Roxo ; une sous-préfecture aux champs ; le bar NirvanaKabrousse : la plage et le cap Roxo ; une sous-préfecture aux champs ; le bar Nirvana

Kabrousse : la plage et le cap Roxo ; une sous-préfecture aux champs ; le bar Nirvana

Cette ambiance festive, qui évoque un peu Goa en Inde, s’arrête cependant à Kabrousse (alias Cabrousse), quatre kilomètres au sud, tout près du cap Roxo qui marque la frontière. C’est le point le plus méridional du voyage. Au centre du village, un dernier bar pour déguster une Gazelle (voir glossaire) est nommé le Nirvana (sic). Vers l’ouest, une piste sablonneuse difficile se fraie un chemin entre les rizières. Elle sert de terrain de jeu à quelques compatriotes venus en quads.

 

Boudiediet, sur la frontière de Guinée-BissauBoudiediet, sur la frontière de Guinée-Bissau
Boudiediet, sur la frontière de Guinée-BissauBoudiediet, sur la frontière de Guinée-Bissau
Boudiediet, sur la frontière de Guinée-BissauBoudiediet, sur la frontière de Guinée-BissauBoudiediet, sur la frontière de Guinée-Bissau

Boudiediet, sur la frontière de Guinée-Bissau

Quatre kilomètres plus loin, au village de Boudiediet, cette piste bute sur un large affluent de la Casamance qui vient de Guinée Bissau et coule vers le nord. Pour continuer, il faudrait traverser en pirogue, ce qui n’est possible qu’à pied ou en moto. Un petit village de pêcheurs qui fait sécher ses poissons au soleil. Une petite mosquée, une minuscule épicerie qui vend des bouteilles de jus de gingembre. La frontière avec la Guinée Bissau passe là. Les cases les plus au sud (16° 40’ 16’’O, 12° 21’ 30’’N) et les rizières qui les entourent ne sont sans doute plus au Sénégal. Pas une habitation, pas un village visibles au sud. Les vastes étendues boisées du parc national de Varela, dans le nord de la Guinée Bissau. Comme une invitation à poursuivre un jour vers la capitale Bissau, vers les 88 îles Bijagos avec leurs deux parcs nationaux marins, qu’un résident de Ziguinchor m’a chaudement recommandées, et au-delà.

En Basse Casamance
En Basse CasamanceEn Basse Casamance
En Basse CasamanceEn Basse Casamance

Pour nos lecteurs qui ne connaissent pas le Sénégal, un glossaire succinct :

  • une bambinerie vend des articles pour les bébés et les très jeunes enfants ;

  • un bolong (prononcer « bolon ») est un chenal entre deux rives de mangrove ; s’il est très large il peut être désigné comme un marigot ;

  • un campement est un endroit où les voyageurs peuvent loger sous des tentes ou dans des chambres bon marché ;

  • une coépouse est l’épouse d’un homme polygame (exceptionnel en Casamance, région catholique) ;

  • une dibiterie est une boucherie-rotisserie ; on en trouve partout, de Dakar au plus petit village ;

  • un garage est une gare routière ;

  • la Gazelle est la bière sénégalaise la plus répandue ; juste après vient la Flag ;

  • le goudron désigne toute route bitumée (comme en Mauritanie) ;

  • le koxeur, dans un garage (voir plus haut), est celui qui encaisse l'argent et répartit les passagers entre les véhicules ; c'est un personnage influent ; mieux vaut être en bons termes avec lui ;

  • un sept places est un taxi collectif, par exemple une 504 Peugeot familiale des années 1970 ou 1980 (photo 2 ci-dessus) ;

  • un talibé est un jeune élève d’une école coranique ; de l’arabe طالب, taleb (étudiant), cf. les taliban afghans ou pakistanais ; les jeune talibé sont souvent contraints de pratiquer la mendicité au profit de leur marabout et parfois maltraités ; omniprésents Dakar et dans le nord du pays, absents ou presque de Casamance, région catholique ;

  • un toubab est un Européen, un blanc.

Cap Skirring

Cap Skirring

#adm888

Voyez aussi notre journal quotidien de voyage, avec d'autres photos de Casamance.

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