Pékin, automne 2023 : 2 – en ville
Arrivé à Pékin début septembre, je suis retourné sur nombre de lieux déjà visités et en ai découvert quelques autres. En voici un aperçu :
- la place Tiananmen, évoquée dans l’article précédent, cœur symbolique de Pékin et du pays; une fois franchis tous les contrôles, on la trouve inchangée avec ses dimensions impressionnantes et les lieux emblématiques qui l’entourent : la porte de Tiananmen (la grande paix céleste), le mausolée de Mao, le grand palais du peuple, le musée national; si ce vaste espace ne peut guère être qualifié de convivial, son succès populaire ne se dément pas : grand affluence et ferveur patriotique évidente à quelques jours de la fête nationale du 1er octobre ;
- pas de surprise et peu à dire sur Sichahai, ce quartier historique au nord-ouest de Tiananmen ; ce quartier ancien construit autour de plusieurs lacs avait été rénové, aseptisé et ouvert au tourisme de masse au début des années 2000 ; il n’a pas changé et les touristes chinois le visitent en nombre ;
- pas de surprise non plus dans les hutong, ces quartiers traditionnels souvent composés d’anciennes demeures seigneuriales réutilisées après 1949 pour du logement populaire avec de nombreuses constructions disgracieuses pour densifier l’habitat ; les quartiers qui n’avaient pas été rasés ont été rénovés au début des années 2000, se sont souvent embourgeoisés et les maisons se sont barricadées derrière des serrures et des digicodes ; il n’existe donc plus de hutong « authentiques », pittoresques mais insalubres ; une vie de quartier subsiste néanmoins qui donne un peu l’idée des quartiers de naguère ;
- nos hutong préférés demeurent au sud-ouest de Tiananmen et de la porte de Qianmen, à proximité de Liulichang, la rue des antiquaires ; les hutong restent un havre de calme et de silence avec parfois de l’herbe qui a repoussé sur les toits ; trop de voitures en stationnement dans ces rues étroites, malheureusement ; attention aux scooters électriques qui se faufilent en silence dans les rues étroites ;
Le quartier de Dongsi avec la résidence du Prince Chongli et le musée des hutong
- je suis retourné sur la trace des demeures princières des ruelles du quartier de Dongsi (notre article de 2012) ; pas de surprise ici non plus : les rénovations se poursuivent et les portes se cadenassent ; à la très vaste demeure du Prince Fujun, sur Chaoyangmen Neidajie, je n’ai pu franchir que le portail d’entrée et ai été bloqué ensuite ; après une longue déambulation, je commençais à désespérer quand une bonne surprise s’est produite : la demeure du Prince Chongli était ouverte (63 et 65 dongsi 6 tiao) ; grâce à la gentillesse des résidents, j’ai pu entrer et l’ai trouvée inchangée, avec ses habitants plutôt âgés et un plaqueminier chargé de fruits ; au 77 dongsi 4 tiao, une demeure a été rénovée en 2018 et abrite un petit musée des hutong ;
- quelqu’un a dû entendre notre appel à protéger les HLM de Pékin malgré leur laideur (notre article de 2012) car il en subsiste beaucoup ; un petit pèlerinage m’a conduit vers le plus emblématique d’entre eux : Anhualou, vestige des communes populaires et de l’utopie maoïste conçu pour une vie entièrement collective (notre article de 2011) ; j’ai pu entrer sans difficulté ; rien n’a changé : les couloirs « en tube » plongés dans l’obscurité, les cuisines d’étages immondes, du bric à brac partout et des slogans politiques d’époque ("Apprendre du Camarade Lei Feng") ou un peu rafraîchis ; assez sinistre, une vraie plongée dans les années noires du grand bond en avant et de la révolution culturelle ;
- dans le parc olympique, je ne connaissais pas le musée du Parti, et pour cause : il a ouvert ses portes en 2021, pour le centenaire du Parti ; l'édifice est à la dimension de l'occasion, avec une richesse iconographique impressionnante ;
Des documents écrits et audiovisuels d'un grand intérêt (y compris le film de la première explosion nucléaire en 1964), au moins pour le visiteur qui connait l'histoire récente de la Chine et comprend le chinois ; la première salle commence par "les humiliations et souffrances infligées par les Occidentaux et les féodaux" (on voit brûler le Palais d'été) jusqu'à l'apothéose de 2021 ;
Sans surprise, le Parti est "l'avant garde de la classe travailleuse et de la nation chinoise", qui a su restaurer la renaissance et la grandeur du pays; c'est une vision millimétrée de l'histoire du pays et du Parti, où toutes les avancées sont exaltées et les difficultés sont traitées par de délicats euphémismes ; les dix années de la révolution culturelle font l'objet d'un panneau très sobre : "le lancement de la révolution culturelle et les efforts pour corriger les tendances de pensée de l'ultra-gauche" ;
On arrive à la Chine aujourd'hui, à la pointe du progrès dans tous les domaines, sous la direction du Parti et de son secrétaire général qui en est "le centre" ; les groupes défilent et aussi des familles, fières de se faire prendre en photos devant les emblèmes communistes ; fierté patriotique et admiration du Parti vont de pair, ce qui est bien le but recherché par les concepteurs du musée ;
- juste à côté du précédent, le nouveau musée de la culture chinoise traditionnelle ; imposant bâtiment de 91 000 m² construit par un cabinet d'architectes allemand (GMP), il ambitionne de présenter la culture et les traditions chinoises depuis l'antiquité jusqu'aux œuvres d'art les plus contemporaines et auxobjets et décors du quotidien, du mobilier à la machine à coudre ; s'il est moins ouvertement politique que le musée voisin, il contribue à forger la fierté pour "un pays prospère, un peuple qui vit dans le bonheur, qui va de l'avant et poursuit une belle vie" ;
Bronze de la dynastie Shang, portraits de famille impériale sous la dynastie Ming, théière du Qinghai, le Président Mao avec ses soldats (sculpture sur ivoire), machine à coudre "Orient rouge", une famille modèle su trois générations dans les années 1950 - noter le poste de radio, la machine à coudre et le portrait de Mao sur le mur.
- quinze ans après les J.O. de 2008 et un an et demi après les jeux d'hiver de 2022, le parc olympique a peu changé, si ce n'est que les arbres y ont poussé et que l'on a un peu plus d'ombre ; un contrôle de sécurité est maintenant installé à l'entrée ;
Le public est nombreux à venir voir le "nid d'oiseau" (le stade olympique") et le "cube d'eau" (le stade aquatique) mais les dimensions monumentales du site, sur l'axe central de la ville qui passe par le temple du ciel et la cité interdite, font que l'on ne ressent pas une impression de foule ;
- le parc de Chaoyang, apprécié des citadins, n'a pas beaucoup changé non plus mais, comme certains parcs parisiens de création récente, il se bonifie plutôt à mesure que les arbres poussent ;
La "libération pacifique" du Tibet par l'Armée populaire de libération et la signature de l'accord en 17 points entre le gouvernement central et le gouvernement tibétain le 23 mai 1951
- dans un bâtiment moderne d'allure vaguement tibétaine, un petit musée de la culture tibétaine présente nombre de documents d'intérêt historique ; sans surprise aucune, il ne s'écarte en rien de la ligne officielle sur les méfaits du féodalisme et les attaques impérialistes avant 1949, la "libération pacifique" du Tibet en 1950 (objet d'une exposition complète), les procédures de réincarnation des "bouddhas vivants" (thème sensible puisqu'il induit la légitimité du Dalai Lama et du Panchen Lama, autre exposition) et les "réalisations splendides" du Tibet depuis 70 ans sous l'égide du Parti ;
- le jardin botanique national, au pied des collines parfumées, à l’ouest de la ville ; il est moins spectaculaire qu’au printemps, quand les arbres sont en fleurs, mais il est vaste, bien organisé, didactique et reposant ; je l’ai exploré cette fois-ci jusqu’à son extrémité, y compris le temple dit du Bouddha couché (Wofosi) ;
- dans le district de Shijingshan, un peu à l'ouest des collines parfumées, se trouve le tombeau de l'eunuque Tian Yi (1534 - 1605) ; entré à neuf ans à la cour des empereurs Ming, il servit avec distinction trois empereurs successifs qui appréciaient sa loyauté, son intelligence et son impartialité vis-à-vis des intrigues de la cour ; il obtint le poste considérable de directeur des cérémonies ; à sa mort, à 72 ans, l'empereur Wan Li observa un jeûne de trois jours en signe de deuil et lui fit construire un tombeau pour lui seul, alors que les eunuques étaient en général inhumés dans des tombeaux collectifs ; pas sur le site des tombeaux impériaux, bien sûr, sans les tuiles jaunes réservées aux empereurs (voir l'article suivant) mais un tombeau conforme au plan traditionnel, sur le flanc sud des collines qui le protègent des mauvais esprits ; quatre autres eunuques devenus moines ont rejoint plus tard le site funéraire, le monticule de Tian Yi étant au centre ; le site a souffert de pillages dans les années troublées du début de la république mais sa structure est intacte ; la crypte principale ne contient que des débris de cercueil ; dans une crypte secondaire repose le corps momifié d'un fonctionnaire du 18ème siècle retrouvé à proximité ; le site abrite aussi d'intéressantes sculptures trouvées dans les environs , plus de détails dans cet article ;
En visitant le tombeau de Tian Yi : le monticule de Tian Yi, au centre n'est pas décoré ; ceux des quatre autres eunuques, sur les côtés sont plus petits mais ornés de bas-reliefs.
- le quartier (Moshikou Dajie) a été rénové est devenu touristique ; un peu plus haut, dans les collines boisées, trois temples détruits "avant la révolution" ont été reconstruits récemment (Longquan, Fahai et Yongji) ; Fahai, le plus important, est le seul ouvert aux visites ; construit sous les Ming il a dû être très beau mais sa reconstruction à neuf nuit à son charme autant qu'à son authenticité ; les plus célèbres de ses fresques murales n'étaient pas visibles lors de ma visite, j'ai dû me contenter des autres.