Ani, le choc des empires

Publié le par Ding

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Abstract : on a desolate plateau on the southern flank of the Caucasus, Ani became the prosperous capital of an Armenian kingdom in 961 AD. It was then known as “the city with 1,001 churches”. Devastated by an earquake and the Mongol invaders, it was all but forgotten until it was “discovered” in the late 19th century. Few churches, mosques and palaces remain today, but they form an extraordinary site right on the turkish-armenian border.

 

S’il avait fallu un autre site pour tourner le désert des tartares [1], Ani, à l’extrême est de l’Anatolie, aurait fait merveille. Qu’on imagine un vaste plateau sans un arbre, brun au sortir de l’hiver, parcouru par de rares troupeaux de vaches et de moutons, cultivé avec parcimonie. Les hivers y sont redoutables et il y fait encore froid fin mars. Le soleil est rare, la région est souvent couverte d’un épais plafond de nuages, les orages y sont fréquents et destructeurs. Le Mont Ararat et le déluge de Noé ne sont pas si loin au sud-est. Autour du plateau, les montagnes proches  ne dépassent guère 3 000 m mais elles sont enneigées. Mis à part le petit village kurde d’Ocakli, ses maisons basses, ses tas de bouse séchée et sa mosquée, on voit à peine âme qui vive aussi loin que peut porter le regard.

 

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Nommé d’après une déesse perse plus ou moins identifiée à Aphrodite, peuplé depuis le néolithique, les poteries retrouvées sur le site en témoignent, Ani eut son heure de gloire à partir de 961, quand un roi bagrate (arménien) en fit sa capitale. Capitale d’Arménie pendant quelque 60 ans, enrichie par le commerce de la route de la soie, surnommée « la ville aux 1 001 églises », Ani passa ensuite de mains en mains et sa prospérité souffrit des massacres et des destructions qui en résultèrent : les Byzantins, les Seldjoukides d’Iran, le royaume de Géorgie et des émirs kurdes y régnèrent successivement. La ville fut néanmoins agrandie pour accueillir une population croissante (jusqu’à plus de 100 000 âmes) et les lieux de culte s’y sont multipliés : églises arméniennes, mosquées et même un temple zoroastrien du feu (voir notre journal d’Iran, étape de Yazd).

Deux catastrophes survinrent au 14ème siècle qui lui portèrent le coup de grâce : un séisme la détruisit en 1319 et les Mongols de Tamerlan ravagèrent une bonne partie de ce qui restait. La ville abandonnée tomba dans l’oubli jusqu’à l’arrivée d’un archéologue russe en 1893. La province de Kars, où se trouve Ani, était russe à l’époque et n’est redevenue turque qu’en 1921. Le site a entre-temps souffert de la guerre turco-arménienne de 1918. Nombre d’objets de valeur furent évacués vers l’Arménie ou pillés.

Peu nombreux, les vestiges qui demeurent aujourd’hui après certains travaux de restauration sont remarquables :

 

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- Les murailles de la ville (photo ci-contre) reconstruites et décorées par les sultans seldjoukides.

- Un palais seldjoukide (un peu trop) restauré au siècle dernier.

- L’église Saint Grégoire de Gagik 1er, construite à partir de 998, dont la coupole s’est effondrée (elle ressemblait paraît-il à Sainte Sophie de Constantinople) et dont il ne reste que des vestiges.

 

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- L’église Saint Grégoire d’Aboughamrentz, dite aussi église de Polatoglu (photo ci-dessus), avec sa forme très caractéristique des églises arméniennes.

 

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- La citadelle, perchée sur une colline dominant la gorge de la rivière Akhurian.

 

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-   En contrebas, perchée sur un piton dominant la rivière, l’église Kyzkalezi, où une vierge aurait jadis été séquestrée.

- La mosquée Menücer, construite en 1072 par des Turcs seldjoukides. C’est une vraie mosquée et non une ancienne église, mais le caractère composite des styles de ce qui en reste traduit sans doute le travail de maçons arméniens.

-  Quelques quartiers d’habitation  dont les fondations et le bas des murs sont encore visibles.

 

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-  L’ancienne cathédrale (photo ci-dessus), construite de 987 à 1010, ancien siège du catholicos d’Arménie. Le plus grand et le plus bel édifice religieux de la ville, elle fut transformée plusieurs fois d’église en mosquée et vice-versa, au fil des conquêtes successives. Elle est aujourd’hui connue comme la mosquée Fethiye.

 

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-   L’église Saint Grégoire de Honentz (photo ci-contre; oui, il y a trois églises dédiées à Saint Grégoire à Ani) avec son clocher tronqué, une grande inscription en langue arménienne sur les murs et des fresques encore assez visibles (les seules du site).

-         L’église du Rédempteur, du 11ème siècle, détruite par la foudre en 1957 et en cours de restauration.

Ces monuments, très beaux en eux mêmes, sont particulièrement évocateurs par leur dispersion sur ce vaste plateau herbeux entouré de montagnes enneigées. Les restaurations ont été respectueuses des outrages du temps, sauf pour le palais seldjoukide qui jure un  peu avec le reste. Les touristes, au moins à cette saison restent très peu nombreux et aucune construction commerciale ne vient gâcher le site.

 

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A quelques mètres à l’ouest des ruines, la vue plonge dans une gorge abrupte au fond de laquelle coule la petite rivière Akhurian. L’ancien pont qui franchissait jadis celle-ci est en ruines. La Turquie s’arrête là. Sur l’autre rive, c’est l’Arménie qui semble déserte. Jusqu’en 1991, l’U.R.S.S. commençait là, au point que l’accès à Ani était sévèrement réglementé en vertu d’un protocole spécial et l’est resté jusqu’au début de ce siècle.

 

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L’observateur non averti pourrait au demeurant penser que rien n’a changé avec l’Arménie indépendante : sur la rive d’en face s’élèvent plusieurs de ces miradors métalliques semblables à ceux qui jalonnaient le rideau de fer et la frontière soviétique de l’Europe jusqu’à la mer du Japon. Deux drapeaux, arménien et russe, sont visibles au loin.

 

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Le seul établissement humain sur l’autre rive est un petit casernement gris (visible ci-contre) qui abrite, nous dit-on, des gardes-frontière russes. La Turquie et l’Arménie ont essayé plusieurs fois de se réconcilier mais les lourds contentieux qui les opposent ne l’ont jamais permis. La frontière reste donc fermée. Il faut faire le détour par la Géorgie pour se rendre d’ici en Arménie toute proche.

Les empires ne se font plus la guerre mais Ani porte la marque de leurs rivalités anciennes et actuelles. C’est le genre d’endroit que notre fils Clément aurait aimé, un lieu saturé d’histoire ancienne et de géopolitique d’aujourd’hui. Les églises arméniennes d’Ani suppléent en partie celles que nous aurons aimé visiter au nord-ouest de l’Iran. Elle font aussi écho au quartier arménien que nous avions visité à Ispahan (voir notre journal, 1er au 3 mars).

 

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Par désir d’informer ou par une ironie surprenante de la part des officiels chargés du site, un panneau en  bordure des ruines pointe vers l’est et indique « route de la soie ». Aucune route de la soie ne passe plus par Ani, adossé à une frontière close. Nous n’y avons rencontré aucun touriste chinois.

 

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Voyez aussi notre journal quotidien de voyage : Journal Pékin Paris (2013-2014) : 6 - en Turquie et après

et nos photos de Turquie :  Pekin-Paris-4-Oman EAU - 5 - Iran - 6 - Turquie et après Pekin-Paris-4-Oman EAU - 5 - Iran - 6 - Turquie et après

 

[1] : le film de V. Zurlini (1976) fut tourné en Italie et à Bam, dans le sud-est de l'Iran.

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