Les Tanimbar et les Moluques du sud-ouest
Abstract : the Tanimbar archipelago in Eastern Indonesia and the islands further West from Babar to Wetar known as the Southwestern Moluccas are little known and seldom visited by Indonesians and foreigners alike. Yet they offer a fascinating transition zone between the better known lesser Sunda Islands and the Southwestern Pacific. Travelling between these islands on local cargo ships and waiting for rare land transportation on the islands maybe uncertain and time consuming but will prove highly rewarding.
Un peu de géographie
On imagine parfois les petites îles de la Sonde (de Bali jusqu’à Timor et Alor) et les Moluques (Ambon, Ceram, Banda, Ternate, Halmahera ...) comme deux archipels séparés de l’ensemble indonésien, sans lien ni continuité entre eux.
Une étude un peu attentive des cartes montre qu’il n’en est rien. Le chapelet d’îles qui prolonge Java vers l’est ne s’arrête pas à Alor et Timor, il se poursuit au-delà avec un arc d’îles de taille importante mais peu connues, dont Wetar, le groupe des Leti, Babar et l’archipel des Tanimbar sont les plus significatives. Ces îles prolongent l’arc des îles de la Sonde vers l’est et rejoignent l’arc des Moluques centrales. La continuité existe aussi au plan géologique avec un arc sud non volcanique qui regroupe les grandes îles et un arc nord volcanique qui passe par Romang, Damer et rejoint Banda.
Ces îles, souvent oubliées, présentent sur le plan de la faune et de la flore les caractéristiques de la zone de transition connue sous le nom de Wallacea (du nom du naturaliste A.R. Wallace qui en découvrit le principe au 19ème siècle) entre le monde asiatique et le monde océanien. Malgré de belles forêts qui subsistent aux Tanimbar, à Babar et Wetar, ce sont des contrées assez sèches, à la pluviométrie irrégulière, et à la biodiversité décroissante en allant vers l’est.
Il s’agit aussi d’une zone de transition sur le plan humain, avec des types humains proto-malais et papous de plus en plus visibles, combinés au type malais, au fur et à mesure que l’on progresse vers l’est (mais nombre d’habitants de Wetar présentent des traits qui ne surprendraient pas en Papouasie). Ceci est également vrai plus à l’est que la zone étudiée ici, dans les îles Kei et Aru.[1]
[1] : voir notre article les îles Aru et les îles Kei, paru dans la Géographie, revue trimestrielle de la Société de géographie, n° 1513, juin 2004, pp 76-83.
Ce peuplement est pour l’essentiel côtier. L’intérieur des îles les plus vastes – Yamdena, Babar, Wetar - est montagneux, couvert de forêt et inhabité. Seuls les bûcherons s’y rendent, utilisant le cheval pour se déplacer et tirer les grumes.
Un peu d’histoire
Bien que la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) ait pris pied dans ces îles (à Kisar surtout) au début du 17ème siècle, celles-ci sont demeurées largement hors de tout contrôle étranger jusqu’au début du 20ème siècle. Contrairement à Ambon, Banda ou Timor, ces îles étaient en grande partie dépourvues des épices et du bois de santal qui intéressaient le plus les Européens. Elles étaient de surcroît peuplées de tribus guerrières, en lutte constante entre elles, qui pratiquaient jusqu’au siècle dernier la chasse aux têtes et le cannibalisme et réservaient aux étrangers un accueil souvent hostile. Des équipages européens furent encore massacrés au 19ème siècle. De ces civilisations disparues, fortement segmentées avec des nobles et esclaves, il subsiste quelques souvenirs et vestiges : le souvenir des belles boucles blondes des hommes des Tanimbar qui teignaient leurs cheveux, un travail de l’or raffiné pour les parures des nobles et les échanges de cadeaux à l’occasion des mariages, notamment aux Tanimbar, les trois bateaux mégalithiques de l’île de Yamdena et quelques belles pièces dans certains musées, y compris celui du Quai Branly.
Effigie protectrice (Yamdena, Tanimbar) et bouclier de guerre (Wetar) - Musée du Quai Branly, Paris
Les Japonais débarquèrent à Saumlaki au début de la guerre du Pacifique et se heurtèrent à la résistance héroïque de la milice néerlandaise sous la conduite d’un sergent amboinais, Julius Taija, qui leur infligea en quelques heures de lourdes pertes. L’occupation dura jusqu’à la fin de la guerre avec ses exactions et ses tentatives d’endoctrinement de la population car Mac Arthur contourna les Tanimbar dans sa reconquête des archipels. Un petit monument commémoratif subsiste sur la côte sud de Babar.
Un peu d’administration
Après l’indépendance de l’Indonésie et jusqu’en 2000, ces îles faisaient partie de la régence [1] des Moluques du sud-est (Maluku Tenggara) de la province des Moluques, avec Tual (aux îles Kei) comme chef-lieu. Compte tenu des distances et des difficultés de communication, cette situation ne favorisait guère une administration de proximité. En 2000, une régence « des Moluques du sud-est occidentales » (Maluku Tenggara Barat, MTB) fut créée avec Saumlaki (Tanimbar) pour chef lieu. Une nouvelle scission est intervenue en 2008 avec la création d’une régence « des Moluques du sud-ouest » (Maluku Barat Daya, MBD), qui comprend Babar, Wetar et toutes les îles situées entre les deux, dont le chef lieu a été transféré de Wonreli (Kisar) à Tiakur (Moa) en 2012.
[1] : selon l’usage français habituel, est ici traduit par « régence » le terme indonésien kabupaten ; les provinces indonésiennes (propinsi) sont divisées en kabupaten, eux-mêmes subdivisés en kecamatan (cantons) ; chaque kabupaten est dirigé par un bupati (régent) et un wakil bupati (vice-régent) élus au suffrage universel depuis la fin de la présidence Suharto. La province des Moluques (à distinguer de celle des Moluques du nord) compte actuellement neuf régences et deux municipalités autonomes mais son organisation pourrait encore évoluer.
La régence des Moluques du sud-est occidentales se réduit donc désormais à l’archipel des Tanimbar ; il est envisagé de la rebaptiser ainsi.
Ces scissions successives, comme il s’en est souvent produit en Indonésie depuis quinze ans, ont donc vu la formation de deux petites capitales sous-régionales dont la plus récente, Tiakur, ressemble encore à une ville fantôme avec ses larges avenues que borde encore ... la végétation.
Un peu d’économie
Partie « la plus extérieure » et « la plus isolée » des Moluques, voire de toute l’Indonésie, pour reprendre les deux adjectifs couramment employés à leur sujet, les Tanimbar et les Moluques du sud-ouest pèsent d’un poids économique minime et sont presque entièrement soutenues par le secteur primaire :
- la forêt, exploitée de longue date et parfois surexploitée malgré les mesures officielles destinées à la protéger, à Yamdena notamment ;
- la petite agriculture de subsistance qui fait vivre la très grande majorité de la population ; le maïs est de loin la culture la plus répandue, généralement dans des clairières de défrichement ; le riz est cultivé à petite échelle, sur brûlis et non en rizières inondées ; on trouve également du manioc, du sago, des cocotiers, des palmiers lontar (d’où l’on tire l’alcool de palme), et des arbres fruitiers, des manguiers surtout ;
- la pêche se pratique à petite échelle, sans les pêcheries industrielles que l’on trouve aux îles Aru par exemple ;
- une importante mine de cuivre s’est implantée depuis 2010 à Kali Kuning et Lerokis, sur la côte nord de Wetar, dans une zone à peu près dépourvue de toute autre ressource où des mines d’or étaient exploitées auparavant ; elle est majoritairement détenue par un groupe australien, avec des partenaires locaux.
Les voies de communication et les moyens de transport sont encore très limités, ce qui entrave les échanges économiques et humains :
- Saumlaki est desservie par un nouvel aéroport relié tous les jours à Ambon ; c’est la seule ville aisément accessible en avion ; Tiakur (Moa) et Wonreli (Kisar) sont dotées de très petits aéroports (le premier est à peine terminé) d’où sont assurés quelques vols hebdomadaires vers Ambon et Kupang ;
- La mer est le principal moyen de transport pour ravitailler ces îles très dépendantes de l’extérieur pour leur approvisionnement ; le Pangrango de la compagnie de navigation nationale Pelni assure un service bi-mensuel d’Ambon à Kisar et retour en desservant les îles les plus importantes ; ce service est complété par des cargos dits pionniers (Kapal Perintis) qui desservent aussi les plus petites îles ; ces services pionniers, subventionnés, sont indispensables pour des communautés qui sont loin de s’autosuffire ; organisés par les autorités régionales, ils sont pour l’essentiel agencés autour d’Ambon et de Saumlaki mais quelques liaisons permettent de rejoindre Kupang (Timor-ouest) et Makassar (Célèbes-sud). Depuis l’indépendance de Timor-est, il n’est en revanche plus possible de rallier le littoral est-timorais, y compris l’île d’Atauro, à partir de Kisar et Wetar pourtant toutes proches.
- L’île principale des Tanimbar comporte désormais une bonne route nord-sud, dite trans-Yamdena, qui longe sa côte orientale ; les autres îles ne sont que partiellement desservies par des routes goudronnées de sorte que l’accès à certains villages reste difficile ; au manque de routes s’ajoute un manque criant de voitures et une absence quasi-complète de transports en communs, sauf à Yamdena ; la moto a détrôné le cheval comme moyen de transport par excellence entre les villages.
L’électricité reste contingentée. L’électricien national PLN dessert les villes et les villages à l’exception des plus reculés mais la fourniture quotidienne d’électricité est variable, de 10 à 22 heures par jour. Cette électricité est pour l’essentiel produite à partir de générateurs diesel encore que des centrales solaires aient fait leur apparition aux Tanimbar et à Wetar.
Le téléphone portable fonctionne plus ou moins alors que son fonctionnement est la norme en Indonésie comme ailleurs. Des relais sont implantés sauf dans les villages reculés mais des pannes peuvent priver des villages entiers pendant des semaines. Même lorsque ces relais sont en bon état, leur fonctionnement peut pâtir des coupures d’électricité comme c’est le cas à Tepa (Babar).
Le ministère des communications finance des programmes pour amener Internet dans les villages par des stations fixes ou mobiles ; les résultats sont encore inégaux en raison de l’état du réseau et des compétences locales.
Des maisons traditionnelles à Kisar. Il en subsiste très peu alors qu’elles sont mieux adaptées à la chaleur que les maisons modernes en ciment et tôle ondulée.
Demain, un peu de tourisme ?
Alors qu’il s’est réimplanté dans le reste des Moluques depuis les violences du début des années 2000, le tourisme reste à peu près inexistant aux Tanimbar et dans les Moluques du sud-ouest. Le guide Lonely Planet a supprimé en 2013 le court chapitre qu’il consacrait auparavant à Saumlaki de sorte qu’il faut se référer à de vieux guides ou à des blogs plus ou moins fiables pour trouver des informations parcellaires et obsolètes.
A cette première difficulté s’ajoutent l’insuffisance des moyens de transports décrite plus haut et une infrastructure hôtelière réduite à quelques auberges modestes et au logement chez l’habitant dans les zones reculées. Pour visiter ces îles il est primordial de disposer d’assez de temps pour attendre les dessertes maritimes et d’accepter un inconfort plus ou moins grand suivant les lieux visités.
Pourtant, ces « îles perdues » ont beaucoup à offrir à ceux qui font l’effort nécessaire : plages superbes et désertes, forêts encore préservées, le lac Tihu dans les montagnes de Wetar (attention aux crocodiles, cependant), les vestiges non négligeables des civilisations disparues et de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, et surtout la chaleur de l’accueil des îliens qui se mettent en quatre pour venir en aide au rare visiteur de passage. Le journal de voyage de l’auteur en donne un aperçu ainsi qu’une page plus technique consacrée aux conditions de voyage dans ces îles. Quand les sentiers battus auront tout recouvert, jusqu’au paradis que demeure l’Indonésie de l’est, ces îles en « ar » - Wetar, Kisar, Babar, Tanimbar – seront peut être l’un des derniers refuges des voyageurs libres.
Voyez aussi :
- le journal quotidien du voyage;
- le mode d'emploi des Tanimbar et des Moluques du sud-ouest si l'envie de visiter la r gion vous vient.
- et un lien externe si vous aimez les oiseaux : le compte rendu par Craig Robson d'un voyage ornithologique aux Moluques de l'agence spécialisée Birdquest Tours en novembre 2016, Tanimbar comprises; très belles photos; une version française avec une partie des photos est en ligne sur ornithomedia.com .