Decan

Publié le par Ding

L’ouest du Kosovo est une région belle, mais troublée. Sur les confins de l’Albanie et du Monténégro, la plaine prend fin et une chaîne de montagnes culminant à plus de 2 600 mètres barre l’horizon vers l’ouest. Là où la forêt a subsisté, les paysages sont très beaux avec de profondes vallées qui montent vers les cols frontaliers, des rivières à truites et une épaisse couverture forestière. Des plaques de neige sont visibles sur les hauteurs en ce début de juillet.

La petite ville de Decan est à l’image du Kosovo : assez désordonnée, avec une voirie approximative, mais en pleine construction, l’argent de la diaspora aidant et sans doute aussi d’autre argent d’origine moins avouable : le Kosovo est le pays de tous les trafics.

La région est celle d’où partit la lutte des Albanais contre la domination serbe à la fin des années  80 : les premiers maquis de l’Armée de libération du Kosovo ont commencé dans ces montagnes. Il en reste quelque chose : drapeaux albanais partout en ville, portraits de comandants locaux en armes, et une domination des anciens chefs de guerre reconvertis dans les affaires et le crime organisé. La population serbe, qui a progressivement diminué depuis trois siècles, a complètement disparu de Decan et des villages voisins.

Une petite route quitte la ville à l’ouest et remonte la vallée. La forêt de conifères et son silence contrastent avec l’agitation et la poussière de la ville. Mais cette ambiance pacifique prend bientôt fin : on rencontre une succession de postes de la KFOR – la force de l’OTAN au Kosovo -  qui montent la garde. Barbelés, chicanes, sacs de sable, blindés légers, mitrailleuses pointées vers les véhicules montants : les soldats italiens et espagnols verrouillent l’accès à la vallée.

Là, au milieu d’un véritable camp retranché, le monastère orthodoxe de Decan, classé au patrimoine de l’UNESCO, est un îlot de calme et de paix depuis le XIVème siècle. L’église contient d’admirables fresques byzantines qu’il n’a même pas été nécessaire de restaurer. Le chant des moines et la fumée de l’encens évoquent un autre temps. Vingt-six moines serbes vivent là, dans des bâtiments plusieurs fois centenaires mais rénovés avec tout le confort moderne, avec des pèlerins et quelques réfugiés. L’endroit est admirable de calme et de sérénité, mais l’enfermement est total tant la population albanaise est hostile. Les soldats italiens patrouillent jour et nuit, des projecteurs sont allumés dès la nuit tombante. Les visites chez le médecin et même la simple corvée d’eau à cent mètres du monastère se font sous la protection d’un soldat en armes. Spectacle surréaliste que de ces trois moines en soutane franchissant le pont pour se rendre à la fontaine, sous la protection d’un soldat.

Longue conversation, en anglais, avec l’un des Pères. Il nous explique le souhait de la communauté de rester ici  et de vivre en bonne intelligence avec les musulmans albanais, mais aussi l’hostilité de la population qui rend impossible toute sortie sans escorte. La communauté cuit son pain, élève ses vaches et fait pousser de divines framboises servies par seaux, mais les courses les plus simples doivent être faites en Serbie, au prix d’un  trajet sous escorte.

Dans la nuit, quelques coups de feu. Rien de grave : quelques villageois albanais fêtent la fin de la coupe du monde de football, mais c’est assez pour mettre les soldats en alerte. Nous prenons congé au matin des moines et de leurs gardiens italiens et repartons par la route « pingouin » (nom donné par les militaires de l’OTAN). En nous demandant combien de temps l’Italie et l’Espagne accepteront de maintenir des contingents sur place au prix fort pour que vingt-six moines puissent prier dans ce haut lieu de l’orthodoxie serbe, au milieu de ces Balkans divisés par les passions.

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