Vacances dans le Sud : le Xishuangbanna
Je vous invite à regarder une sélection de photos dans l'album accessible en clickant ici.
C’est la veille de Noël que je retrouve enfin Romy, à Shanghai. Le soir venu, nous réveillonnons avec un ami français et ma coloc dans un tepanyaki que je ne suis pas prêt d’oublier: sashimis, makis, poissons, noix de Saint-Jacques et viandes de qualité… à volonté ! Le 25 décembre, nous nous envolons tous les deux pour Kunming, capitale de la province du Yunnan. Nous découvrons non sans difficulté que la gare routière d’où part notre bus est à 30 minutes de taxi au sud du centre-ville. Le chauffeur n’est donc pas en train de nous arnaquer, c’est tout simplement que depuis mon dernier voyage en octobre, une autre gare longue distance a été mise en service. Un bon business pour les chauffeurs taxis. Quant à cette gare routière qui n’est qu’une des trois ou quatre gares de la ville, je précise pour ceux qui imagineraient une simple station de bus un peu plus grande que les autres, que le bâtiment en construction a plutôt les dimensions de la Gare de Lyon à Paris, et une architecture d’aéroport moderne. Salles d’attentes, portiques de sécurité, rayons X, multitude d’employés… tout y est.
Notre bus-couchettes quitte Kunming à 14h00 pour un voyage à destination de Jinghong, censé durer neuf heures. Nous arrivons de fait à 1h30 du matin, et passons la nuit à l’hôtel de la gare. Jinghong est la capitale de la préfecture autonome du Xishuangbanna, dans le sud de la province du Yunnan. Cette région traversée par le Mékong jouxte le Laos au sud-est et la Birmanie au sud et au sud-ouest. Le climat y est tropical. Après avoir fait face à des températures négatives à Shanghai dans un appartement sans chauffage central, il est bien agréable de pouvoir dormir la fenêtre ouverte et ressortir les vêtements d’été ! Nous sommes à la période de l’année où le climat y est le plus propice au tourisme : entre 18 et 26°C pendant tout le séjour, sans les pluies de saison humide.
A l’issue de cette courte nuit, nous nous rendons au « Forest Café » qui est réputé dans le Lonely pour organiser des treks. Nous partons avec un groupe dans l’heure suivante pour un village daï de la région de Galamba, à trois heures de bus. Le peuple Daï, présent également en Birmanie et en Thaïlande, représente 30% des habitants du Xishuangbanna. Les Daïs sont ainsi l’ethnie la plus représentée dans la préfecture. Environ un cinquième des habitants appartiennent au peuple Hani. Ces descendants de peuples nomades du Plateau Tibétain vivent aujourd’hui au Yunnan, au Vietnam, au Laos et en Birmanie. Comme les Daïs, leur apparence physique, leurs vêtements et la langue qu’ils parlent les différencient sans ambiguïté des Hans. Ces derniers ne représentent d’ailleurs que 29% de la population du Xishuangbanna.
Cette diversité est présentée dans les documentaires télévisuels chinois que je regarde sur la chaîne anglophone CCTV9 comme une richesse de la PRC. Elle rassemblerait harmonieusement tous les peuples de son territoire. Avant d’accuser le modèle chinois d’écraser systématiquement les cultures minoritaires, il faut avouer que le modèle d’intégration semble moins assimilationniste que le notre. Ainsi, au Xishuangbanna, toutes les inscriptions sont bilingues mandarin / langue daï. Le mandarin est enseigné dans les écoles, mais il n’est pas imposé. D’après notre guide, le statut de « préfecture autonome » n’est pas usurpé. Les minorités ethniques jouissent d’une grande autonomie de fait, ils sont reconnaissants aux autorités de leur rendre le mandarin accessible à des fins d’ascension sociale. Quant à la modernisation de la ville par les autorités, j’imagine que les locaux la voient du même œil que les Ouighours ou les Tibétains, c'est-à-dire sous l’angle de l’amélioration du confort matériel. Du point de vue du touriste étranger, c’est sûr que l’on y voit un massacre de la culture locale. Mais comme nous le verrons plus loin, les villages ne sont pas modernisés dès que l’on quitte Jinghong.
J’en reviens à notre départ en trek. Notre groupe est fort de 7 marcheurs : un couple suédois travaillant à Shanghai, une enseignante américaine vivant à Pékin, un chercheur en mathématiques fondamentales californien d’origine chinoise, un jeune routard canadien voyageant au Yunnan depuis des semaines déjà, Romy et moi. Certains ont signé pour six jours, d’autres moins. Romy et moi nous sommes engagés pour deux jours de marche dans la jungle. Notre guide embauche en fait un autre guide, qui connaît véritablement la jungle. Nous commençons la marche en début d’après midi. Nous suivons une sorte de chemin, au milieu d’une végétation suffisamment dense pour justifier de prendre des photos avec le flash. Le rythme est rapide, le « peloton » s’étire et se casse parfois, mais les pauses sont fréquentes. Nous admirons la hauteur des arbres, l’imbrication des lianes, l’épaisseur des troncs… tout en discutant pour mieux nous connaître.
Nous portons tous un sac à dos relativement léger, sauf notre ami canadien. Il est parti en jean, muni seulement d’une bouteille d’eau à la main. Il n’en est pas moins le plus à l’aise dans cet environnement, et nous remarquons vite son comportement exemplaire. En effet, il ne se contente pas de laisser la nature dans l’état où il l’a trouvée, comme nous autres. Il s’efforce qui plus est de ramasser toutes les ordures qui jonchent le chemin. A la fin de l’étape, son sac en plastique en est plein. De mon point de vue, cette jungle est pourtant relativement propre, ce qui s’explique par le fait que les marcheurs touristes ne sont quasiment jamais des Chinois. Ces derniers n’aiment pas vraiment s’éloigner de leur bus et des sites prévus pour être visités. Les détritus (essentiellement des paquets de cigarettes) doivent donc être le fait des villageois locaux. (Oui, il y a des touristes chinois ne jetant pas de détritus et des touristes occidentaux souillant la nature, je sais).
Les derniers kilomètres avant d’arriver au village où nous devons passer la nuit se font au milieu des plantations d’hévéas. La récolte du caoutchouc est en effet une source de revenue importante pour les autochtones. Nous sommes hébergés par les villageois comme c’était prévu. Les maisons sont construites avec des planches en bois qui laissent passer la lumière. Il n’y a ni plancher ni tapis, et le mobilier rudimentaire (petits tabourets, tables basses) est posé à même le sol terreux. Il n’y a ni douche ni toilettes (« you go to the bushes around the house »). En revanche, une télévision très moderne retient toute l’attention. Le dîner terminé, le groupe est réparti dans les maisons voisines pour la nuit. Nos hôtes discutent entre eux jusqu’à 1h ou 2h du matin. A 4h, ils se chargent de donner davantage de maïs aux porcs qui ont tantôt leur place dans le salon. Et tout le monde est déjà levé quand le coq chante. Mais quand dorment-ils ?
Juste avant de quitter le village, je suis témoin d’une scène qui m’amuse encore. Contemplant l’amoncellement de détritus éparpillés ici et là dans la cour de la maison, notre écologiste canadien achève de remplir son sac poubelle de la veille et s’assure de bien le fermer avant de le laisser dans ce qui deviendra un coin poubelle. Notre ami affairé à cette tâche vaine, le vieux pater familias s’approche pour tenter de comprendre le rituel énigmatique auquel s’adonne ce jeune Laowai. Il se penche au dessus de lui. Son regard interloqué exprime alors toute l’incompréhension qu’il peut y avoir entre nos deux mondes. Malheureusement, je n’ai pas pu prendre de photos de cet instant.
La seconde journée de trek nous fait découvrir une jungle encore plus dense. Nous longeons une rivière, ce qui n’empêche pas d’enchaîner en permanence des montées et des descentes parfois raides. La boue gêne davantage la marche que la végétation, ce qui laisse penser qu’il n’est pas possible de marcher ici en saison humide. Tout comme la veille, la marche ne dure guère plus de cinq ou six heures incluant presque deux heures de pauses au total. Cela n’en reste pas moins une expérience intéressante. Elle s’achève lorsque nous passons la grande arche du ticket office du parc que notre guide nous a fait contourner au départ. Lors du trajet de bus de retour à Jinghong, nous passons devant de hautes pancartes dressées pour cacher la vue sur un lac, afin de la rendre payante. Je m’en étais déjà offusqué lors de mon précédent voyage au nord de la province, mais il va falloir s’y faire.
Lundi matin, j’imite Romy qui opte pour un petit déjeuner local, à savoir une soupe pho bien épicée. Nous louons ensuite des VTT (les seuls en état que nous trouvons) pour nous rendre à Mandian Waterfall. Il s’agit d’une chute d’eau en pleine forêt, recommandée par le Lonely. La petite route qui mène à Mandian est très jolie. A l’ombre des plantations d’hévéas, la route monte et descend continuellement au dessus de bananeraies qui s’étendent sur des kilomètres. La rivière qui coule plus bas est propice aux massifs de bambous et aux retenues d’élevage de poissons. Puis la route cesse d’être bitumée, mais la piste est ferme. Nous arrivons enfin au village de Mandian à l’entrée duquel un homme en uniforme nous demande de laisser nos vélos et d’indiquer sur un registre les motifs de notre venue.
La marche d’accès à la cascade est censée durer 30-45 minutes. Malheureusement, nous nous trompons de chemin car il n’y a pas la moindre indication. Il nous faut redescendre au village et traverser la rivière au bon endroit. Le sentier est abrupt, et nous nous faufilons entre les branches de la jungle en cherchant des indices pour nous assurer que nous n’en avons pas perdu la trace. Ces indices sont bien souvent des détritus. Le Lonely ne laissait pas penser que l’accès était si compliqué, voire dangereux en cas de pluie. Le chemin étroit surplombe parfois un ravin profond si bien qu’il faut s’accrocher fermement aux branches pour qu’un dérapage ne se solde pas par une chute.
La cascade est belle de par le fond de clairière dans lequel elle coule. Sa taille n’est quant à elle pas très impressionnante. Les très grands arbres qui nous entourent s’accrochent on ne sait trop comment aux parois verticales de la clairière, hautes de plus de 30 m. Nous ne sommes pas seuls. Des jeunes Daïs sont venu pique-niquer. Ils ont coupé des troncs de bambous à la machette dans lesquels ils font cuire du riz gluant. Ils font aussi griller un pigeon et en cuisent un autre dans de la bière. Fort généreusement, ils nous offrent une partie de leur repas sans que nous ne puissions leur rendre la pareille. Leur agilité pour courir dans la jungle en tongues et escalader les rochers est admirable.
De retour à Jinghong en fin de journée (contrairement à Shanghai, la nuit tombe après 19h00 !), nous en profitons pour nous faire masser dans une « école de massage » où la plupart des masseurs sont des non-voyants. Il s’agit d’un massage chinois qui ne nécessite pas de retirer ses vêtements. Et qui peut être parfois douloureux.
Mardi, nous prenons un bus pour arriver deux ou trois heures plus tard à Damenglong. On est ici dans la partie la plus méridionale du Xishuangbanna, à quelques kilomètres de la frontière birmane. Romy me fait d’emblée remarquer que l’ambiance y est très différente. Nous sommes dans une petite ville organisée autour de deux rues perpendiculaires. Le revêtement est en très mauvais état, voire inexistant. Les voitures sont peu nombreuses, tout le monde semble se déplacer en moto. Les deux restaurants de la ville sont des salles en béton ouvertes sur l’extérieur, avec des tables basses et des petits tabourets. On choisit dans un présentoir ce que l’on veut manger en fonction de ce qu’il y a, et le tout est cuisiné au feu de charbon. La viande n’est pas laissée à l’air libre. Elle est protégée des mouches et du soleil par une feuille de bananier.
Nous sommes frappés du nombre de dispensaires de soins médicaux. De nombreuses personnes sous perfusion y sont alitées ou assises au soleil. Ainsi, l’on peut voir six ou sept personnes perfusées à l’ombre d’un arbre dont le tronc et les branchages servent de tringle pour accrocher les poches de perfusion. Mais pourquoi tous ces malades ? S’agit-ils de réfugiés birmans ?
L’après-midi venu, nous nous rendons à pied dans un village situé à deux kilomètres, au pied d’une colline en haut de laquelle se trouvent un temple et une pagode du XIIIème siècle. La succession de marches qui y mènent sont à l’ombre des hévéas. En prenant de la hauteur se dégage une belle vue sur la grande vallée de rizières. Non loin de la pagode, l’on peut admirer un Bouddha doré de plus de 10 m de haut.
Dans l’impossibilité de louer des vélos, nous choisissons mercredi de louer une petite moto. N’en ayant jamais conduit auparavant et n’osant pas l’avouer au loueur, nous lui demandons de montrer à Romy comment elle fonctionne. C’est finalement assez simple dans la mesure où les vitesses se passent sans avoir à débrayer. Je n’ai pas trop de mal à conduire, Romy, assise derrière, me donnant des conseils pour le passage des vitesses. Nous roulons ainsi prudemment jusqu’à un village proche où est censé vivre une communauté dont les femmes se rasent la tête. Nous ne verrons pas de telles femmes, mais l’architecture traditionnelle des maisons justifie notre venue. Le temps s’améliore, et nous repartons vers le sud pour aller jusqu’à la frontière, le poste étant nommé 2-4-1. En route, nous évitons une collision avec deux buffles traversant subitement la chaussée. Puis nous réalisons que la jauge d’essence n’a pas bougé. Nous avons juste de quoi aller à la pompe. Le loueur me fera d’ailleurs un rabais pour lui avoir rendu un réservoir bien plus rempli qu’au départ.
La matinée de moto terminée, nous reprenons le bus pour Jinghong où nous arrivons en fin d’après-midi. Nous traversons la ville à pied jusqu’au jardin botanique très réputé. Nous avions voulu le visiter deux jours auparavant. Une fois devant les grilles, j’avais renoncé en raison du prix abusif du ticket d’entrée (40 Yuans, plus cher qu’une nuit d’hôtel). Je me résigne donc, et nous passons un agréable moment à nous perdre dans les jardins de plantes tropicales jusqu’à la fermeture. Le parc serait quasiment désert s’il n’y avait pas ces couples chinois venus se faire photographier en robe de mariée et en costume blanc au bord des pièces d’eau.
Pour notre dernier repas au Xishuangbanna, je convaincs Romy d’opter pour un vrai restaurant qui nous changera des bouibouis et des brochettes. La chance semble être avec nous lorsque l’on nous présente un menu en anglais. Je choisis un plat intitulé « chicken with lemon grass and garlic ». On finit par me servir un plat froid. Je ne trouve pas de morceaux de poulets et dois recracher tout un tas de morceaux durs et caoutchouteux non identifiés (nous sommes dehors et il fait nuit, donc je n’y vois pas grand-chose). La serveuse me confirme que c’est bien ce que j’ai commandé. Romy commence à comprendre, et en me rapprochant de la lumière je réalise qu’elle a raison : j’ai commandé un plat de pattes de poulet comme les Chinois en raffolent… Ces maudits traducteurs du menu n’ont pas jugé utile de préciser la partie du poulet dont il était question. Romy m’offre alors généreusement la plupart de son plat de riz et se rattrape sur un pamplemousse chinois qu’elle a porté tout l’après-midi.
Après cette déconvenue culinaire, nous regagnons la gare routière à l’autre bout de la ville. Nous nous réveillons le lendemain matin à Kunming où nous passons la matinée avant de reprendre l’avion pour Shanghai. Je fais découvrir Pudong à Romy au gré d’une ballade en roller. Nous trouvons pour notre dernier repas de l’année un restaurant du Henan qui s’avèrera être plutôt une réussite. A 23h30, nous traversons le Huangpu sur le ferry qui nous paraît étonnement calme pour un 31 décembre. De retour chez moi, nous réalisons que nous avons raté à une demi-heure près les feux d’artifice dont nous aurions profité à merveille depuis le pont du ferry. Voilà pour nos derniers jours de 2009 vécus sous le signe de nos retrouvailles et d’un voyage plutôt exotique.