Retour aux villages des fourmis

Publié le par Ding

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Résumé des articles précédents : la « tribu des fourmis » désigne un phénomène sociologique apparu en Chine il y a quelques années : de jeunes provinciaux diplômés s’établissent dans des grandes villes sans permis de séjour, espérant trouver de bons métiers et de bons salaires. Mais les emplois qu’ils trouvent effectivement, souvent dans le secteur des hautes technologies, sont mal payés (autour de 200 € par mois) et ne leur permettent pas de louer des logements urbains, beaucoup trop chers pour eux. Ils se retrouvent en grand nombre dans des villages suburbains où ils s’entassent dans des logements exigus et dépourvus de tout confort. Près de Pékin, le village de « fourmis » le plus connu a été Tangjialing, concurrencé depuis 2010 par Shigezhuang. Au printemps 2010, les autorités municipales, peu flattées sans doute par la renommée médiatique de Tangjialing, avaient décidé de détruire cette ville champignon. Voir les articles  chez les fourmis  et Les fourmis migrent au nord .

Depuis l’été 2010, le phénomène des « fourmis » a perdu de sa visibilité médiatique – on en parle beaucoup moins – mais il n’a pas disparu. Il semble au contraire qu’il ait essaimé dans d’autres grandes villes. Un article paru il y a quelques jours dans la presse taïwanaise [1] estimait la population concernée à 3 millions, dont 150 000 à Pékin. J’ai donc souhaité y retourner pour observer les changements récents.

L’approche de Tangjialing n’a pas changé depuis ma première visite : après avoir arpenté les rues bien ordonnées du parc technologique de Zhongguancun, on remonte vers le nord par une route presque campagnarde bordée de grands arbres.

Mais à l’arrivée sur le site du célèbre village, le choc est brutal.

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Tout a été détruit, comme annoncé l’an dernier par les autorités. Des immeubles de quatre étages et plus qui avaient recouvert le vieux village, il ne reste qu’un champ de ruines, comme si Tangjialing avait été rasé par un bombardement. Seules deux maisons restent plus ou moins intactes au milieu du champ de gravats. Du célèbre village et de toute la vie qui l’habitait, il ne reste rien.  

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Rien, si ce n’est un panneau surréaliste, qui montre la cité du futur qui doit s’élever là avec ses tours d’habitation, ses larges avenues et ses espaces verts. Dans ce paysage désolé, il faut faire effort pour y croire.

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Après quelques kilomètres de marche dans une étendue indécise qui semble hésiter entre ville et campagne,  on parvient à Shigezhuang, visité en août 2010. Les approches ont changé : un métro aérien tout neuf – la ligne de Changping - a été inauguré il y a quelques mois, un centre commercial attire une clientèle aisée et des tours poussent à grande vitesse.

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Mais le village de Shigezhuang lui-même n’a guère changé. C’est toujours un dédale de rues étroites entre des immeubles bon marché construits à la hâte dans lesquelles s’entasse une population jeune et désargentée. D’innombrables restaurants et petits commerces donnent aux rues couleur et animation, atténuant ce que ces cubes de ciment mal finis ont naturellement de rebutant. Les légumes et les fruits y sont bien moins cher qu’à Pékin intra muros : 2 à 3 RMB par livre (0,5 à 1 €/kg).

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Des jardins d’enfants – sans doute illégaux – accueillent les enfants de  migrants qui n’ont pas droit aux écoles publiques. Le linge sèche partout au soleil, comme si l’on avait fait la dernière grande lessive avant l’hiver.

L’impression d’ensemble est bien la même que l’an dernier. Shigezhuang a sans doute grossi avec la fin brutale de Tangjialing [2] mais le village-champignon ne donne plus l’impression d’un chantier à ciel ouvert avec des grues et des tas de briques. Sa croissance s’est sans doute stabilisée. Aucun progrès n’a été fait sur le ramassage des ordures : celles-ci s’entassent un peu partout et génèrent par endroits des odeurs fortes.  L’approche de l’hiver se fait sentir : des tas de charbon (dont l’usage est autorisé ici alors qu’il est interdit en ville) s’empilent le long des immeubles, de petits chauffages électriques d’appoint ont envahi les devantures, en l’absence de chauffage urbain.

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Malgré la laideur et l’anarchie d’une architecture désordonnée, malgré la saleté des tas d’ordures, Shigezhuang est gai et coloré comme le fut Tangjialing. La fourmilière dégage une vie et une énergie, celle des jeunes Rastignac prêts à tout pour réussir et rejoindre le rêve urbain. Sur une place minuscule, des enfants jouent et des personnes âgées – il y en a même ici – font leur gymnastique comme en ville.

Mais Shigezhuang n’est-il pas menacé à son tour par le sort de Tangjialing ? Les tours en construction le dominent déjà comme des sémaphores de mauvais augure.

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[1] : “China's 'Ant tribe' surges to 3 million strong”, China Times, 30 octobre 2011, http://www.wantchinatimes.com/news-subclass-cnt.aspx?id=20111030000008&cid=1503

[2] : ceci a été confirmé le 22 novembre par un reportage du Global Times link (http://www.globaltimes.cn/NEWS/tabid/99/ID/685068/Should-I-go-or-should-I-stay.aspx )

Publié dans Nouvelles de Pékin

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