Nostalgie : les anciens comptoirs français de l’Inde
Pondichéry : devant l'Alliance française
Abstract : France lost its Indian possessions to Britain in 1763 except for five tiny trading spots known as “comptoirs” which it retained from the Napoleonic wars to 1954. Today Pondicherry remains relatively well known and on the tourist map but the others – Chandernagor, Yanaon, Karikal and Mahé - are largely forgotten, even from the French. We visited all five comptoirs and, to our surprise, found traces of the French presence and many francophiles in all of them.
« Pondichéry, Chandernagor, Yanaon, Karikal et Mahé ». Ces cinq noms évocateurs d’histoire et d’épices ne disent sans doute plus rien aux écoliers français d’aujourd’hui, ni même à leurs jeunes parents. Mais pour les générations précédentes passées par l’école de la République, c’était un morceau de France qui s’ajoutait aux grands espaces des possessions françaises figurés en rose sur les cartes.
Pondichéry reste assez bien connu : les touristes – notamment français – le visitent en nombre et chacun a rencontré des Franco-pondichériens dans l’administration ou dans l’armée. Mais les quatre autres sont largement tombés dans l’oubli soixante ans après leur rétrocession à l’Inde. Que reste-t-il fin 2013 d’une présence française de trois siècles, 250 ans après le Traité de Paris de 1763 ? Nous sommes allés voir les cinq comptoirs et vous livrons ici nos impressions – nécessairement sommaires - dans l’ordre où ces cinq anciens comptoirs sont connus en France (ordre dont nous comprenons mal la logique au demeurant ; si l’un de nos lecteurs en connaît la raison, qu’il veuille bien l’indiquer en commentaire sous le présent article).
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Puducherry (Pondichéry), le plus connu des cinq comptoirs, est de loin le plus important et le plus visité. Il compte quelque 6 000 Français, dont la quasi-totalité sont des Pondichériens de souche ayant opté (où dont les parents ont opté) pour la nationalité française en vertu du droit d’option qui leur a été conféré par le traité franco-indien de 1956 officialisant la rétrocession. Territoire administré par le gouvernement central indien qui y délègue un lieutenant gouverneur et en subventionne le budget, Pondichéry comporte toujours une présence française importante : un consulat général – le seul de la ville – un important lycée, une alliance française notamment.
le consulat général de France, vu du front de mer
Le consulat général pourvoit aux besoins administratifs de nos compatriotes – dont une grande majorité ne parlent pas le français. Il leur verse des allocations d’aide sociale et des pensions et retraites d’anciens combattants, car la communauté compte beaucoup d’anciens militaires. La tâche n’est pas simple, car cette communauté connaît les mêmes problèmes économiques et sociaux que la société indienne dont elle est issue.
l'Alliance française
Pour le visiteur de passage, Pondichéry présente le visage pittoresque d’un petite France coloniale. Ceci vaut pour le quartier français : 2 à 3 km de long et à peine un de large, en front de mer, alors que le reste de la ville présente les apparences – et la réalité - d’une ville indienne ordinaire. Le quartier français vit en bonne partie du tourisme : nombre de maisons coloniales ont été transformées en hôtels, restaurants ou boutiques, souvent avec goût. Elles contrastent avec les bâtiments publics, dont l’entretien est plus négligé. Le quartier français frappe aussi par son ordre et sa tranquillité relatives – peu de voitures, peu de coups de klaxon – qui contrastent avec le chaos ordinaire des villes ou des villages indiens.
Outre l’administration du territoire, deux puissances marquent la ville et le paysage urbain de leur empreinte :
Notre Dame de l'Immaculée Conception
- L'Eglise; elle est partout sous de nombreuses formes : la cathédrale, l'archevêché voisin, l'église Notre Dame des anges et bien d'autres. Ces églises frappent par leurs couleurs vives, leurs statues sulpiciennes et la dévotion des fidèles qui se comportent souvent comme les fidèles hindous des temples voisins. Ces derniers ne dédaignent pas, à l'occasion, d'accomplir quelques dévotions à l'église. La ville est aussi le siège de nombreux établissements d'enseignement catholique. Comme à Goa ou au Kerala, l'Eglise est ici présente en majesté.
- L’Ashram Sri Aurobindo. L’ashram lui-même, fondé par Sri Aurobindo et dirigé des décennies durant par sa veuve (une Française vénérée par les adeptes qui la nomment « la Mère ») est situé à Auroville, juste au nord de la ville. Mais l’ashram est très visible à Pondichéry même où il dispose d’une représentation – l’accueil y est plutôt intimidant – et de nombreux services. Il est devenu une vraie puissance à l’échelle de la ville.
Séduisante pour le visiteur de passage, Pondichéry est une ville complexe. Le droit d’option reconnu aux Pondichériens y a créé une communauté française unique au monde et, pour la France, une responsabilité lourde et pérenne qui la place au cœur des problématiques complexes de la société indienne et de ses castes désavantagées.
Chandernagor : kiosque sur la rive de l'Hooghly
Chandanagar (Chandernagor) est particulier à tous égards. La ville (150 000 habitants) est située beaucoup plus au nord que les autres comptoirs, à 30 km environ au nord de Calcutta. Elle est située sur la rive droite du fleuve Hooghly, à une centaine de kilomètres de la mer et à l’écart des grandes routes (les autres comptoirs sont en bord de mer ou à proximité). Les Français s’y étaient établis à la fin du 17ème siècle. En 1949, la population opta par référendum pour le rattachement à l’Inde, lequel fut effectif l’année suivante, alors que les autres comptoirs n’ont été rétrocédés qu’en 1954. Pour cette raison sans doute, Chandernagor a été intégré à l’Etat du Bengale occidental et non rattaché au territoire lointain de Pondichéry, comme l’ont été Yanaon, Karikal et Mahé. Pour cette raison aussi, les habitants n’ont pas bénéficié du droit d’option pour la nationalité française. Il n’y a donc pas de communauté française, si l’on excepte un compatriote originaire de Pondichéry et de son épouse. Comme dans les autres comptoirs, on y trouve un tout petit quartier français, havre de calme par rapport à la ville indienne alentour. Nous y avons visité :
- L’église du Sacré Cœur, imposante, consacrée en 1884. Nous y avons été accueillis avec beaucoup de chaleur par le Curé, le Père Orson Wells (authentique), Anglo-indien jovial qui, outre ses tâches pastorales, apporte beaucoup de cœur à la remise en état de son église et se désole que les moyens lui manquent pour ce faire. Plusieurs stèles funéraires, plus ou moins lisibles, se trouvent à l’extérieur. L’intérieur est plutôt sobre. Les archives jésuites indiquent que la vie des missionnaires jésuites des siècles passés n’a pas toujours été simple. La rivalité avec les Augustiniens portugais établis quelques kilomètres au nord à Bandel était si forte que les Jésuites français rapportèrent un jour à leur hiérarchie qu’ils craignaient d’être empoisonnés ! La vie est plus sereine aujourd’hui pour les 120 familles catholiques de la paroisse.
le Père Wells, la crèche de la paroisse
- L’ancien « Palais de Dupleix », qui fut la résidence des administrateurs français de 1816 (rétrocession des comptoirs par les Britanniques à la France) au 2 mai 1950 (rétrocession effective à l’Inde). En état moyen, il abrite l’ « Institut de Chandernagor » : un petit musée (cartes, documents d’époque, mobilier …) et des salles pour l’enseignement du français. Le jardin à la française est bien déchu de son ancienne splendeur.
- Juste à côté, le couvent Saint Joseph (19ème siècle).
- Un petit kiosque construit par un compatriote sur la berge de l’Hooghly, au milieu d’une courte promenade en bord de fleuve.
- Dispersées en ville, et pas seulement dans le quartier français, plusieurs maisons coloniales plus ou moins bien conservées.
Yanam, ex-Yanaon, est une très petite ville située sur l’un des bras de l’estuaire du fleuve Godavari à 500 km environ au nord-est de Pondichéry. Son petit port est donc bien abrité des tempêtes du grand large – contrairement à Pondichéry ou Karikal – encore qu’il ait été frappé par un typhon cette année. Les Français s’y établirent au 18ème siècle mais le comptoir changea de mains plusieurs fois : les Britanniques en prirent le contrôle à trois reprises avant de le rendre à la France en 1816. Yanaon resta française jusqu’en 1954. Enclavée dans l’Etat d’Andhra Pradesh, la ville est rattachée administrativement à Pondichéry, sans bénéficier semble-t-il de privilèges fiscaux particuliers.
Bien que Yanaon compte une petite communauté française, les traces de la présence française y sont discrètes. Il est vrai que nous n’avons pas eu la chance d’y rencontrer de Français ou de francophones. Nous avons néanmoins trouvé :
- L’église Sainte Anne, récemment repeinte en couleurs multicolores, où l’on trouve quelques pierres tombales de Français (dont un enfant en bas âge), gravées en français ou en latin, qu’aucun fidèle ne doit plus comprendre aujourd’hui ;
- Juste à côté se trouve une sorte de bungalow vaguement colonial, qui a dû être la résidence de l’administrateur français et abrite aujourd’hui des bureaux ;
- Une maison coloniale en mauvais état se trouve à quelque 300 m de là.
- Le « cercle de Yanaon » (en français dans le texte) est un petit club pour les fonctionnaires locaux. Il occupe un petit bâtiment construit en 1982 et agrandi en 2004.
- La petite promenade en front d’estuaire (Ferry rd), ne présente aucune trace rattachable à la France. Elle est dominée par un grand Jésus sur une montagne, façon Rio de Janeiro (« the Mount of Mercy »). Comme le reste de la ville, on y trouve de très nombreux bustes de personnalités indiennes, érigés par l’administration de Pondichéry. Yanaon est particulièrement bien dotée à cet égard.
Karaikal (Karikal) est situé sur la côte de Coromandel, à 120 km au sud de Pondichéry. C’est une ville de 300 000 habitants, dont 600 Français. Nous sommes accueillis dès notre arrivée par un compatriote – ancien militaire – et visitons le petit quartier où la France a laissé les traces les plus visibles :
- L’Eglise Notre Dame des anges, remarquable avec son clocher (voir photo ci-dessus) et sa peinture bleue et blanche (elle était beige à l’époque française). Elle fut construite il y a 300 ans mais sa configuration actuelle remonte à 1891. Quelques plaques funéraires évoquent des compatriotes enterrés aux 18ème et au 19ème siècle. Les curés de la paroisse furent français du 18ème siècle à 1958. la paroisse compte aujourd’hui 6 000 familles.
- Les deux écoles françaises :
- le « collège d’enseignement secondaire » est en faite une école publique indienne où le français est enseigné. Il compte 37 élèves et conduit les enfants jusqu’au brevet. Les salles de classe sont dans l’état que l’on peut attendre d’une école publique en Inde, mais avec des portraits naïfs de Victor Hugo et Chateaubriand. La Directrice nous accueille en anglais mais certains élèves, qui ont vécu en France, nous parlent un excellent français.
- L’école élémentaire de Karikal est une école maternelle et primaire française qui compte une soixantaine d’enfants. Elle est installée dans les locaux de la « maison de France », ancienne annexe du consulat de Pondichéry. Sans être luxueuse, elle est en bien meilleur état que la précédente. Nous y sommes accueillis par le Directeur et le Président de l’association des parents, tous deux parfaits francophones.
- La « maison du préfet », aujourd’hui siège de l‘administration locale. Karikal est rattachée au territoire de Pondichéry mais ne semble pas bénéficier de privilèges particuliers, les magasins de spiritueux en sont à peu près absents.
- Devant la maison du préfet, un petit monument aux morts inauguré en 1990, naïf à souhait, « en mémoires (sic) des enfants de la ville de Karikal morts pour la France afin que le drapeau français flotte éternellement ».
Le reste de la ville ne présente rien de très particulier, si ce n’est quelques enseignes en français sur des commerces.
Mahe (Mahé) est le seul des cinq comptoirs qui se trouve sur la mer d’Oman, donc sur la côte ouest de l’Inde (côte de Malabar). Elle tire semble-t-il son nom de François Mahé de la Bourdonnais, qui la reprit aux Marathes en 1741. La Compagnie françaises des Indes orientales y avait construit un fort dès 1724, en accord avec un rajah local. La ville changea de mains à six reprises entre Français et Britanniques de 1761 à 1816. Elle demeura ensuite française, comme les autres comptoirs, jusqu’en 1954, date de sa rétrocession à l’Inde. Comme Yanaon et Karikal, elle est rattachée au territoire de Pondichéry bien qu’elle soit entièrement enclavée dans l’Etat du Kerala. La petite ville de Mahé et les villages voisins comptent un peu plus de 40 000 habitants, qui vivent sur 9 km ². Une goutte d’eau à l’échelle de l’Inde ou même de l’Etat du Kerala (près de 35 millions d’habitants).
Le voyageur pressé pourrait ne rien voir du passé français de Mahé. Il ne pourrait manquer, cependant, de noter le très grand nombre de magasins d’alcools : les taxes sont moins élevées dans ce territoire sous administration fédérale. On trouve de nombreuses stations service pour la même raison : l’essence coûte quelques roupies de moins que dans le Kerala voisin. Mais attention : les accès à Mahé sont contrôlés et les voyageurs doivent déclarer leurs achats d’alcool en regagnant le Kerala tout proche.
L’église Sainte Thérèse (d’Avila) est l’un des monuments caractéristiques de Mahé, avec sa pendule venue de Paris. Sa présence ne dénote pas en soi le caractère anciennement français de la ville, car les églises sont nombreuses au Kerala.
Il faut aller dans le petit parc Tagore, en bord d’estuaire, pour trouver le témoignage le plus sûr du passé français de Mahé : une petite statue de Marianne, « personnification de la République française ». Dans un souci d’équilibre politique, elle voisine avec une colonne « aux combattants de l’indépendance de Mahé ». Cette minuscule promenade en bord d’estuaire, avec la lumière de l’après-midi, est assez plaisante. Elle est bordée par quelques maisons coloniales qui remontent visiblement à la période française. Les enfants des écoles parlent plus anglais que français, mais ils nous font fête.
Notre visite n’aurait pas été complète si, dans une petite rue, nous n’avions trouvé la petite Alliance française de Mahé. Ses dix élèves ne sont pas encore là car ils arriveront après l’école, mais le professeur, âgé de 75 ans, nous en fait les honneurs dans un français impeccable.
Mahé : la promenade au bord de la rivière
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Les quatre petits comptoirs sont donc de beaucoup plus petite taille que Pondichéry. Le quartier français s’y réduit à quelques édifices. Ils sont peu connus et peu visités, bien que la France ne les néglige nullement (ses représentants s’y rendent régulièrement). Contrairement à ce qui s’écrit parfois, la France y a néanmoins laissé sa marque et le passé n’y est pas oublié. Nous craignions, en commençant ce petit pèlerinage, de ne rien trouver ou presque en dehors de Pondichéry. Nous avons été heureusement surpris.
Bien entendu, la France n’a pas été le seul pays à posséder des comptoirs en Inde. Portugais, Danois, Suédois, Allemands et d’autres – sans parler bien sûr de la puissance coloniale britannique – ont possédé des comptoirs et des missions religieuses en Inde, parfois à quelques kilomètres des comptoirs français. Sans avoir été les possessions en titre d’un pays européen, certaines villes indiennes portent encore la marque de leur passé de comptoirs : Fort Cochin ou Calicut par exemple (voir notre journal) . A l’exception des possessions portugaises de Goa, Damman et Diu qui se sont perpétuées jusqu’en 1961, les autres comptoirs ont été récupérés bien plus tôt par l’Empire britannique. La singularité française a été de durer jusqu’en 1954 et, en raison du droit d’option, de donner naissance à une communauté française qui survivra longtemps à la souveraineté française.
élèves du collège francophone de Karikal
- Vous pouvez aussi consulter le journal quotidien de notre voyage : Journal Pékin Paris (2013-2014) : 3.2 - en Inde
- Ainsi que nos photos d'Inde :
Pekin-Paris-3A-Inde