Les autobus de Pékin
La ligne 1 passe devant Tiananmen
Après la limousine « drapeau rouge », carrosse des élites, les autobus pékinois, transport populaire par excellence.
En service depuis 1924 (il s’agissait alors de trolleybus) avec une interruption pendant la guerre civile, les autobus de la capitale ont longtemps eu mauvaise réputation. Lents, inconfortables, glacials l’hiver, étouffants l’été et surtout fréquemment bondés (galerie de photos d’anciens autobus sur le site officiel : link ).
Pour ne rien arranger, le personnel était nombreux (un conducteur et deux receveurs pour les autobus de grande taille) mais rarement aimable : les passagers trop lents à monter, descendre ou s’éloigner des portes de montée étaient souvent houspillés de belle manière. En 1996, la propagande avait choisi pour travailleuse modèle Li Suli, conductrice exemplaire sur la ligne 21, toujours prompte à astiquer son autobus et à indiquer leur chemin aux passagers avec gentillesse et courtoisie : les Pékinois avaient raillé cette nouvelle héroïne du travail socialiste, tant leur quotidien était éloigné de la « civilisation spirituelle » ainsi vantée en haut lieu.
Les étrangers redoutaient particulièrement ce mode de transport car il était fort difficile de s’y orienter à moins de connaître très bien la ville et de lire le chinois. Aujourd’hui encore, les étrangers sont rares dans les autobus alors qu’on en rencontre partout dans le métro.
Cette mauvaise image n’est plus justifiée aujourd’hui, car les autobus de Pékin se sont beaucoup modernisés. Certes, ils sont rarement chauffés et climatisés, sauf ceux de l’opérateur privé Xianglong, ce qui peut rendre le voyage inconfortable au cœur de l’hiver ou en plein été. Certes, il est difficile de trouver un plan des lignes bien conçu (nous sommes toujours à sa recherche) et les panneaux indicateurs figurant aux arrêts sont toujours rédigés en chinois seulement, ce qui est assez dissuasif pour qui ne connaît pas bien la ville et ses lignes d’autobus (il faut consulter le site bilingue www.bjbus.com pour visualiser le trajet de chaque ligne).
Mais les progrès sont réels. Le parc s’est peu à peu modernisé. Les autobus sont neufs et spacieux, au moins en centre ville : il faut aller dans les faubourgs pour retrouver des machines anciennes et bruyantes. Ils sont tous équipés de lecteurs de cartes prépayées (genre Pass Navigo, également utilisables dans le métro et même dans certains commerces), de sorte que le paiement du trajet en espèces est devenus l’exception. Chaque autobus est équipé d’une télévision qui diffuse actualités et informations pratiques. Le Wifi commence à se répandre. Et, chose précieuse pour les étrangers, des plans et des panneaux lumineux annoncent les arrêts en caractères chinois et en pinyin (lettres latines), ce qui facilite beaucoup l’identification des arrêts. De nombreux couloirs d’autobus ont été créés, de sorte que les autobus sont, sinon rapides, du moins moins lents qu’on pourrait le craindre dans une capitale aussi encombrée. Le réseau est très dense avec plus de 800 lignes : on va partout en autobus, en ville et jusqu’au moindre village de la municipalité de Pékin, y compris dans les zones montagneuses.
Les tarifs, inchangés, restent dérisoires. Pour la plupart des trajets urbains jusqu’à 12 km, il faut débourser 1 yuan (12,5 centimes d’euros) si l’on paye en espèces et 4 mao seulement (0,4 yuan, 5 centimes d’euros) si l’on paye par carte prépayée, ce que font l’immense majorité des voyageurs. C’est beaucoup moins cher que le métro (2 yuan soit 25 centimes d’euro) et bien entendu que le taxi (13 yuan au minimum pour une petite course).
Ces tarifs sont extrêmement bas, même rapportés au pouvoir d’achat local (nous n’aurons pas la cruauté de comparer avec ceux de Paris ou de Londres). Ils n’ont pas été revalorisés depuis des lustres, alors que le prix des taxis vient d’augmenter de 30 %. L’autobus est donc à la portée de tous et reste un transport de masse : la plupart des autobus sont des modèles de grande taille, articulés, ou parfois à impériale ; les files d’attente aux arrêts importants n’ont rien à voir avec ce que l’on peut voir en Europe. Mais du coup, l’autobus traine une image peu valorisante héritée du passé : les classes moyennes le boudent et privilégient la voiture ou à défaut le taxi, ce qui explique largement les embouteillages actuels. Petit détail révélateur : il est rarissime de rencontrer un passager en costume et cravate dans l’autobus.
A l’exception d’une petite ligne pour les touristes, les tramways ont disparu depuis les années 60 bien qu’il soit prévu de les rétablir. Les trolleybus restent en revanche assez nombreux dans les quartiers centraux. Les modèles désuets, que l’on voyait encore il y a quelques mois, comme en Russie, disparaissent maintenant des rues. Les trolleybus neufs rivalisent avec l’autobus et présentent le grand avantage d’être silencieux et de ne pas polluer les rues où ils circulent.
Sauf aux heures de pointe où la bousculade peut-être oppressante (moins qu’en métro toutefois), les trajets en autobus sont plutôt agréables. A la différence du métro, on voit la ville et le spectacle de la rue. Et le spectacle est aussi dans l’autobus, lieu privilégié pour observer les Pékinois ordinaires et se familiariser avec le fort accent local. L’étranger est presque toujours accueilli avec gentillesse, ce qui est moins vrai dans le métro. De nombreuses tranches de vie peuvent être observées sur le vif. Les receveurs sont en général moins acariâtres que naguère, mais crieront toujours « wang li zou ! » (« avancez vers le fond ! ») aux heures d’affluence. Ils n’hésiteront pas non plus à apostropher à très haute voix les jeunes pas assez prompts à laisser leur siège à une personne âgée, ce qui est somme toute plutôt sympathique. Signe des temps : leur employeur leur a demandé il y a deux ou trois ans de s’adresser aux voyageurs en disant « Monsieur » ou « Madame » et non plus « Camarade » comme il était de tradition. Les temps changent …
Les autobus pékinois valent donc beaucoup mieux que la mauvaise réputation qui leur colle à la peau. Le jour où ils seront chauffés et climatisés, les utiliser deviendra un vrai plaisir. Mais, alors que tous les prix augmentent, le tarif restera-t-il toujours bloqué à ces dérisoires 4 mao, ultime survivance d’un passé égalitaire révolu ?
Place Tiananmen