La muraille dans tous ses états

Publié le par Ding

Mis à jour le 9 janvier 2012

 

Il n’aura pas échappé aux lecteurs attentifs de ce blog que nous aimons la grande muraille, que nous y allons souvent et que nous la photographions volontiers. Elle nous plaît par son élégance, sa variété presque infinie, les atteintes que l’histoire lui a portées, les souvenirs qui s’y rattachent, le terrain de promenade qu’elle nous offre. Nous ne nous en lassons pas et l’aimons sous tous ses aspects, sauf sur les sites qu’une restauration sans nuances et une fréquentation touristique trop importante ont véritablement gâchés (Badaling, au nord-ouest de Pékin, en est le plus triste exemple).

 

Plusieurs articles illustrés de photos y étaient jusqu’ici consacrés sur ce blog. Ceci présentait au moins deux inconvénients : le risque d’une lecture assez  répétitive et, plus matériellement, la saturation d’un blog sur lequel le nombre de photos en ligne est limité.

 

Nous avons donc décidé de regrouper nos photos préférées dans un album Muraille d'été, d'automne, d'hiver, de printemps Muraille d'été, d'automne, d'hiver, de printemps  que nous vous invitons à consulter, et de supprimer presque tous les articles précédents sur ce thème.

 

Sans tomber dans une érudition qui dépasserait nos connaissances et pourrait lasser le lecteur, la présentation de cet album de photos est l’occasion de quelques commentaires simples qui redresseront peut-être certaines idées reçues, car la grande muraille est à la fois un des monuments les plus connus au monde et les plus méconnus :

 

-          « la muraille s’étire d’est en ouest sur 5 000 km, de Shanghaiguan (Hebei) jusqu’à Jayuguan (Gansu) » : c’est largement faux, ou en tous cas simplifié à l’excès : la muraille mesure en effet non pas 5 000 km (d’où son nom chinois : « la muraille de 10 000 li »), mais plus de 6 000 ; ce n’est pas un monument linéaire : elle se divise en tronçons multiples qui forment un véritable réseau de murs, un peu comme la piste Ho Chi Minh qui n’est pas une route mais un réseau de pistes ; il y a donc, fréquemment, des « carrefours de muraille », où une muraille secondaire se détache de l’édifice principal ; il faut donc parler des murailles de Chine.

 

-          Shanghaiguan est l’endroit très connu (un peu trop restauré hélas) où la muraille plonge dans la Mer jaune (voir l'article A la plage ), mais elle n’est pas  l’extrémité orientale comme on le dit souvent : on trouve des tronçons plus à l’est dans la province du Liaoning ; certains tout près de Shanghaiguan (Jiumenkou, un peu trop restauré aussi, où la muraille présente la particularité assez rare d’enjamber une petite rivière), d’autres beaucoup plus loin : nous avons visité Hushan (la montagne du tigre), à 25 km au nord-est de Dandong, où la muraille plonge à pic dans les eaux du Yalu, frontalier de la Corée du nord. (voir  Journal de Mandchourie, quatorzième jour). Qui sait si la muraille, monument chinois par excellence, ne se prolonge pas discrètement jusqu’en Corée, dans l’ancien royaume du Koguryo ? A l’ouest, on trouve des vestiges de muraille au-delà de Jayuguan [1] –voir ci-après).


 -          « La muraille est construite en pierres » : cela semble l’évidence, et pourtant ce n’est pas toujours vrai : dans les steppes de Mongolie intérieure où la pierre manquait, la muraille est une grosse levée de terre battue, que l’érosion a rendu fort peu spectaculaire. La muraille Ming est construite en pierres (taillées ou non) mais aussi en briques.  Il a même existé des murailles en bois : les archéologues en ont retrouvé une tout récemment près de Dandong. Construite en saule sous les Qing, cette clôture remplaçait une muraille de pierre écroulée. Antérieurement, sous les Ming, il semble qu’il ait existé des murailles en chêne. A l’extrême ouest, près de Dunhuang (province du Gansu), à 300 km à l’ouest de Jayuguan, on trouve en plein désert les vestiges d’une muraille de sable et de paille, fortement érodés par le vent ; elle remonte aux Han (- 206 + 220), donc bien plus ancienne que la muraille Ming à laquelle nous sommes habitués.

 

-          « la muraille défendait la Chine du nord contre les invasions barbares ». C’est vrai de la muraille construite par les Ming aux XVème et XVIème siècles, la plus connue, la seule qui subsiste de manière bien visible, celle que nous visitons semaine après semaine et où sont prises nos photos. Elle fut construite pour arrêter les incursions des Mongols et des Mandchous (ces derniers franchirent la muraille à Shanghaiguan – couloir d’invasion naturel, en bord de mer – et s’emparèrent de Pékin en 1644, mettant fin à la dynastie). Pourtant, bien avant les Ming, les Chinois construisaient des murailles et en construisaient dans tout le pays : on fait généralement remonter leur construction à l’époque des royaumes combattants ( - 475 à – 206), lorsque la Chine était divisée en principautés rivales. Les dynasties suivantes continuèrent. L’Empereur Qin Shi Huangdi ordonna le premier la construction d’une fortification unique pour protéger son empire contre les invasions du nord. Mais ces murailles antiques n’ont en général pas survécu à l’injure du temps et seules les archéologues peuvent aujourd’hui nous dire leur emplacement. Entre Jinan et Taian, au Shandong, nous avons franchi, sur une ligne de crête une muraille construite sous les Qi (entre 479 et 577) : ce n’est plus aujourd’hui qu’une extumescence à peine visible. Même la muraille Ming a été oblitérée par l’histoire et l’érosion en bien des points et il faut recourir à des technologies sophistiquées pour retrouver certains tronçons.

 

-          « la grande muraille est visible de la lune » : il s’agit d’un mythe ancien (il remonte au XVIIIème siècle, nul n’ayant évidemment pu le vérifier à l’époque), aujourd’hui reconnu comme tel par tous sinon les plus crédules ; même la possibilité de voir la muraille depuis un satellite en orbite autour de la terre est controversée.

 

On parle souvent de la Cité interdite, mais c’est aujourd’hui la muraille qui est interdite, du moins sur les tronçons non restaurés et officiellement ouverts au tourisme, de loin les plus nombreux. L’interdiction d’accès aux sites non restaurés est en vigueur dans la municipalité de Pékin et dans la province limitrophe du Hebei (c’est moins clair ailleurs). Elle peut se comprendre tant il est vrai qu’un tourisme de masse dégrade des ruines fragiles et que la marche sur les portions non restaurées peut être dangereuse : on chemine souvent en bordure du vide. La règle n’en est pas moins frustrante pour le visiteur prudent et respectueux de l’intégrité et de la propreté des vestiges. Force est de constater que l’interdit est plus ou moins respecté et que les villageois riverains ferment parfois les yeux moyennant une petite gratification. Les cyniques diront que las panneaux bleus rappelant l’interdiction d’accéder à la muraille sont parfois bien utiles pour localiser celle-ci.

 

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Si l’interdit ne vous dissuade pas et si vous êtes prêt à tenter l’aventure, voyez la page : La muraille : nos sites favoris .

 

Pour en savoir plus sur la muraille, son histoire, les hommes qui y consacrent leur énergie et les conditions difficiles dans lesquelles les travaux de restauration sont effectués aujourd'hui encore, voyez le dossier publié en janvier 2012 dans l'édition dominicale du China Daily :

 

link http://www.chinadaily.com.cn/china/weekendextra/2012-01/08/content_14400683.htm

link http://www.chinadaily.com.cn/china/weekendextra/2012-01/08/content_14400667.htm

link http://www.chinadaily.com.cn/china/weekendextra/2012-01/08/content_14400724.htm





 



[1] : le site de Jayuguan présente la particularité sans doute unique d’avoir été restauré par un entrepreneur privé et non par les autorités locales ; l’intéressé – un agriculteur – a cependant rencontré de sérieuses difficultés avec les autorités, assure perdre beaucoup d’argent et cherche à se débarrasser de cet investissement peu rentable (source : Agence Chine nouvelle du 22 novembre 2011, http://news.xinhuanet.com/english2010/indepth/2011-11/22/c_131262965.htm ) .

 

Publié dans Nouvelles de Pékin

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