La limousine « drapeau rouge »
Dans les premières années de la République populaire, les dirigeants chinois devaient se contenter, faute de mieux, de limousines historiques offertes par le grand frère soviétique. De la place Tiananmen au Potala de Lasa, on retrouve donc des photos de Mao ou de Zhou Enlai roulant dans des voitures soviétiques déjà datées pour l'époque, principalement des ZIS (Zavod Imeni Stalin) soviétiques, lourde machine inspirée des Packard américaines des années 40.
Ces "cadeaux" de l'URSS ne pouvaient contenter longtemps Mao, qui trouvait déjà la tutelle soviétique bien pesante. L'usine d'automobiles numéro 1 de Changchun, en Mandchourie, reçut pour mission de produire une limousine authentiquement chinoise pour transporter dignement ce qu'on appelle ici les dirigeants d'Etat et leurs hôtes étrangers, rares à l'époque. En 1958 sortit la première limousine Hongqi (drapeau rouge), le modèle CA 72, inspiré lui aussi d'une voiture américaine (Chrysler).
En 33 ans d'existence, il ne fut produit que 1600 Hongqi environ, mais avec d'assez nombreux modèles (CA 770, CA 771, CA 7200, etc. pour les initiés). Il fallut bien sûr très vite un modèle décapotable pour les défilés officiels.
Il y eut des versions allongées presque jusqu'à l'absurde, comme si la Chine de Mao voulait rivaliser avec les stars d'Hollywood.
Une version ambulance, impossible à distinguer de l'extérieur, fut produite pour porter en cas de besoin un dirigeant sur une étroite civière.
Les experts reconnaissent les versions à des détails : telle est un peu plus haute, telle a un pare-choc un peu différent. Mais, pour le non-initié, la Hongqi c'est une silhouette massive, des phares ronds, un petit drapeau rouge en plastique sur le capot et surtout l'impressionnante calandre dont d'aucun disent qu'elle représenterait un éventail chinois (c'est contesté).
Le meilleur endroit pour admirer ces merveilles disparues est le musée de la voiture classique de Pékin (Laoyeche bowuguan, site Internet en chinois link), au village de Yangsong, près de Huairou. C'est l'oeuvre d'un collectionneur passionné, M. Luo Wenyou, dont le hangard abrite aussi de vieilles américaines, des camions militaires d'époque et même ... une 2 CV et une 4L minuscules par comparaison. Un must pour les amateurs, surtout ceux qui sont déjà allés au musée de la police et aux musées des chemins de fer , autres classiques du genre que nous vous avons déjà racontés.
En 1982, hélas, l'aventure parut terminée. L'énorme moteur à huit cylindres était poussif mais dévoreur de carburant. Les hauts cadres plébiscitaient depuis longtemps les grosses cylindrées Audi et Mercédès. La "drapeau rouge" historique ne fut plus produite mais, triste décadence, des modèles japonais de bas de gamme furent produits sous la marque Hongqi : on en trouve parfois parmi les taxis pékinois.
La vieille limousine connut un retour éphémère en mai 1997 : le Président Chirac, en visite d'Etat, avait demandé à rouler soit en voiture française, soit en voiture chinoise. Zhongnanhai (le Kremlin chinois) ressortit des garages deux superbes "drapeau rouge" CA 770 de la grande époque qui firent le bonheur des adficionados le temps de la visite. Puis elles disparurent et l'on put croire l'aventure terminée pour de bon.
Il arrive toutefois (relisez Marx, le 18 brumaire de Louis Bonaparte) que l'histoire se répète. Le monopole des grosses berlines allemandes a dû finir par indisposer en haut lieu. Le 1er octobre 2009, pour le 60ème anniversaire de la République populaire, on vit le Président Hu Jintao défiler dans une "drapeau rouge" d'un nouveau modèle (L9, 12 cylindres, immatriculée "2009" : heureux hasard) , sans la silhouette désuète d'antan, mais toujours avec la fameuse calandre en éventail.
Le "vrai" retour de la "drapeau rouge" date cependant du début 2013 avec la version L5, plus courte: les ministres chinois sont invités à en faire leur voiture officielle, les dignitaires étrangers (dont le Président Hollande en avril) y ont à nouveau droit, et l'on commence à en voir ici et là dans Pékin. La "drapeau rouge" moderne a certes bien changé et n'a plus son charme rétro. Mais les phares ronds, le petit drapeau rouge en plastique et la calandre sont bien là. Bienvenue, donc, à la limousine aux caractéristiques chinoises pour sa deuxième vie.
Une Hongqi L5 à Pékin, juin 2013