Jingtailing, tombeau Ming et jeu de croquet
Le fameux site des tombeaux Ming , à 45 km au nord-nord-ouest de Pékin, comporte treize tombeaux impériaux, de sorte que les Chinois parlent à son sujet des « treize tombeaux » (sans préciser de quelle dynastie, tout le monde le sait).
Or il existe un autre tombeau Ming, celui de l’Empereur Jingtai, plus proche de Pékin, à quelques kilomètres à l’est des collines parfumées, dans une zone aujourd’hui urbanisée où les cantonnements militaires sont nombreux (l’hôpital militaire 316 est situé juste à côté). Beaucoup de gens ignorent sans doute l’existence de ce tombeau exilé loin du site sacré [1]. C’est une curieuse histoire dont voici le résumé.
L’Empereur Jingtai, Zhu Qiyu de son vrai nom, monta sur le trône en 1450 à l’âge de 22 ans après que son frère aîné, l’Empereur Zhentong, eut perdu une grande bataille et eut été capturé par les Mongols. Jeune et indécis (malheur à la ville dont le prince est un enfant …), il régna sept ans pendant lesquels les Mongols furent tout de même défaits sous les murs de Pékin. En 1457, Zhentong, relâché par les Mongols mais détenu dans la Cité interdite par son cadet, parvint à reprendre le pouvoir de vive force, en profitant d’une grave maladie de Jingtai. Non seulement il rétrograda Jingtai au rang de simple prince mais il fit détruire jusqu’à la dernière brique le tombeau impérial que Jingtai était en train de faire construire pour lui sur le site consacré. Un prince ne pouvait en effet prétendre reposer dans le site impérial.
A sa mort, dont il n’est pas sûr qu’elle ait été naturelle, l’Empereur déchu redevenu prince fut donc inhumé dans un tombeau princier, au pied des collines de l’ouest (la géomancie fut au moins respectée), avec les honneurs simplifiés d’un prince. Zhentong, pour sa part, régna sous le nouveau nom de Tianshun jusqu’à sa mort (à 37 ans) en 1464. Il fut enterré – sur le site impérial bien sûr - dans le tombeau qui fut jusqu’à tout récemment notre préféré (voir l’article « Yuling, la page est tournée »).
La tour de la stèle
Proche de Pékin – dans Pékin, même – et indiqué sur les bonnes cartes, Jingtailing n’est pas pour autant d’accès facile. Rien ne le signale aux visiteurs. Il faut tourner à droite au pied des collines et entrer dans une cité résidentielle dénommée Niangniangfu, construite pour des retraités de l’armée. Ce n’est pas à proprement parler une zone militaire mais les visiteurs, surtout étrangers, n’y sont pas vraiment les bienvenus. A notre première visite, il avait fallu longuement parlementer. Lors d’une visite suivante, nous fûmes chassés manu militari par une sentinelle très jeune qui tremblait comme une feuille d’avoir laissé des diables étrangers s’introduire sur un site interdit.
La stèle
A l’occasion de ces visites, nous avions pu admirer la tour de la stèle extérieure au tombeau, restaurée et en bon état, mais avions ensuite buté, à l’entrée du tombeau, sur une grille obstinément cadenassée protégeant … un terrain de croquet. Peu respectueux de la valeur archéologique du site, les occupants ont en effet aménagé à l’intérieur du tombeau des terrains de croquet pour que les officiers en retraite puissent distraire leur vieux jours. Le mystère du tombeau inaccessible demeurait donc.
Le portail d'entrée
Le 2 janvier au matin, la chance a tourné en notre faveur. Pas de sentinelle pour nous arrêter à l’entrée et la fameuse grille était enfin ouverte. A l’intérieur, une demi-douzaine de retraités disputaient une partie si animée qu’ils ne firent pas attention à l’intrus qui se faufilait. En quelques secondes, l’auteur de ces lignes était dans la place.
Mise à part la grande satisfaction d’y être enfin après ces tentatives infructueuses, il y a fort peu à voir dans le tombeau de l’infortuné Jingtai. Les terrains de croquet - ultime indignité infligée à l’Empereur déchu - occupent deux niveaux.
Aucun édifice n’a survécu une fois passé le portail d’entrée aux tuiles grisâtres (pas de jaune impérial). Dans la partie supérieure du site, quelques vestiges épars sont peut-être les restes d’autels sacrificiels. La stèle intérieure, le mur circulaire gris et la colline tumulaire habituels des tombeaux Ming font défaut ou ne sont plus visibles. Pour tout dire, en dehors des terrains de croquet, le site est à l’abandon. Une plaque à l’entrée, posée par l’administration des monuments historiques, affirme que la structure habituelle des tombeaux impériaux est encore visible. Pour les experts, peut-être.
Vue du portail d'entrée La partie supérieure
Curieux destin que cette vie de Zhu Qiyi, prince devenu empereur et redevenu prince, inhumé loin de ses aïeux sans les honneurs impériaux et qui n’est plus visité aujourd’hui que par de vieux soldats venus jouer au croquet sur sa tombe. Peut-être est-ce pour cacher ce site si maltraité qu’on a pris soin de le clore. Mais au fond, peut-être vaut-il mieux pour les amateurs d’histoire et de vieilles pierres qu’un tombeau Ming reste ainsi à l’abandon et échappe à la rénovation brutale des treize autres [2] et aux cars de touristes.
Pour en savoir plus sur l’Empereur Jingtai et son tombeau :
http://www.mingtombs.eu/emp/07jingtai/jingtai.html
[1] : à ne pas confondre avec le tombeau du Prince Chun, beaucoup plus récent et situé plus au nord - voir l’article « au tombeau du Prince Chun ».
[2] : Jingtailing n’est pas tout à fait le seul tombeau atypique. Sur le site impérial mais à l’écart des autres nécropoles et des touristes, Siling, le tombeau du dernier empereur Ming, n’est que très partiellement restauré et … utilisé comme potager. Nous vous raconterons son histoire une autre fois.