Anhualou, Fusuijing, vestiges d’une utopie

Publié le par Ding

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Photos-Guangqumen-011011-033.jpg 14 Guangqumennei Dajie: une adresse banale dans l’ancien arrondissement de Chongwen, aujourd’hui Dongcheng, à Pékin. Le passant non averti pourrait très bien ne pas prêter attention à un immeuble HLM vieux d’un demi-siècle, que rien ne semble distinguer de milliers d’autres. Sa longueur sur l’avenue est peut-être un peu supérieure à la moyenne mais il ne compte que neuf étages, bien moins que les immeubles plus récents du quartier. D‘apparence massive (20 000 m², 295 appartements) et de facture plus soviétique que d’autres, il a été repeint en rose, sans doute lors de jeux olympiques de 2008 mais ce badigeon a perdu de sa fraîcheur en trois ans de pollution. Rien d’inhabituel, donc.

 

Et pourtant, Anhualou – c’est le nom actuel de l’édifice – est à sa manière chargé d’histoire. Le mouvement des communes populaires, lancé en 1958, est surtout connu pour ses effets dans les campagnes où il se traduisit par une collectivisation complète. Mais il eut une traduction concrète à Pékin avec la construction en 1960 de trois ensembles d’habitation dont deux sont encore là aujourd’hui.

 

Anhualou, qui s’appelait à l’origine Guangqumen Dalou, fut pensé comme une commune populaire en ville, où la vie serait totalement collective comme dans les campagnes de l’époque. Son architecte eut le souci de penser un lieu d’habitation conçu pour le communisme. Mixité sociale complète avec de hauts cadres voisins de simples ouvriers et surtout architecture conçue pour une vie en commun : à chaque étage, de longs couloirs comme des coursives de bateau (les architectes chinois parlent « d’immeubles en tubes »), donnant sur des appartements exigus et dépourvus de cuisine (mais équipés de sanitaires). La cuisine était collective puisque les habitants, comme dans les villages, n’étaient pas censés cuisiner chez eux mais être nourris par la collectivité. L’idée était de libérer les femmes des tâches ménagères en assurant tous les services nécessaires à la vie et de rompre avec la vie familiale traditionnelle en faisant de chacun, parents et enfants, des membres de la commune populaire. Des espaces collectifs étaient prévus pour les activités culturelles et sociales, qui ont été transformés depuis en appartements.

 

Les années suivantes furent rudes : famine de 1960 qui mit la cuisine collective à l’arrêt, révolution culturelle qui soumit les occupants aux violences des gardes rouges.

 

Cinquante ans plus tard, Anhualou est assez banal vu de dehors mais saisissant pour qui y pénètre. Comme il est habituel dans les HLM pékinois, les parties communes n’ont fait l’objet d’aucun entretien et sont  à l’abandon, sales et couvertes de graffitis.  L’impression est particulièrement forte dans les longs couloirs qu’aucune lumière n’éclaire : l’obscurité y est presque complète, un bric-à-brac est entreposé là depuis on ne sait quand. L’immeuble semble peu habité mais il n’est pas désert : il est encore loué pour des sommes qui semblent dérisoires aujourd’hui - alors que les loyers étaient considérés comme chers dans les années soixante, rapportés au montant infimes des salaires de l’ époque. Quelques occupants dévisagent avec surprise l’étranger qui s’aventure ici.

 

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La fameuse cuisine collective du rez de chaussée, emblème de la commune populaire, n’existe plus : elle a été transformée en local pour les bicyclettes. D’autres, plus petites, ont été aménagées dans les étages. Elles sont encore utilisées car les appartements en sont dépourvus mais n’ont pas été nettoyées depuis des années, si elles l’ont jamais été. L’huile dégouline des murs, son odeur rance imprègne les lieux.

 

 

 

 

 

 

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Malgré l’individualisme ambiant, toute vie collective n’a pas disparu d’Anhualou. Comme dans beaucoup de HLM pékinois, un service d’ordre débonnaire est assuré par des volontaires du troisième âge reconnaissables à leurs  brassards rouges. Ils veillent, entre deux bavardages, à l’ordre public.

 

 

 

 

 

 

 

L’espace collectif par excellence est l’aire de jeu et de gymnastique située derrière l’immeuble. Des jeunes s’amusent mais ils sont peu nombreux. Photos-Guangqumen-011011-041.jpg Quelques femmes jouent au volant. Les vieux, les plus nombreux, jouent aux cartes ou au ma-jong. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Un oiseau chanteur s’ébroue dans sa cage, survivant de ceux, bien plus nombreux, que l’on pouvait voir à Pékin il y a quinze ans. 

 

 

 

 

 

 

 

  De grands arbres dominent l’aire de jeu, le soleil de l’après-midi vient chauffer les vieux os et une certaine douceur de vivre contraste ici avec les couloirs lugubres d’Anhualou.

 

 

 

Photos Gongmenkou 041011 035Dans une petite rue (Gongmenkou 3 Tiao) de l’arrondissement de Xicheng, Fusuijing Dalou présente les mêmes proportions massives et la même couleur rose qu’Anhualou  et écrase de sa masse les petites maisons basses environnantes. L’immeuble domine le quartier, avec le dagoba tibétain du temple tout proche de Miaoying. Comparé à Anhualou, il lui manque cependant la façade symétrique à la soviétique, son plan est en T au lieu d’être un corps de bâtiment le long d’une rue.

 

 

 

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Ceci mis à part, les similitudes sont nombreuses : même hauteur, mêmes couloirs en forme de coursives, mêmes escaliers à l’abandon avec pourtant des ascenseurs qui semblent fonctionner, même agencement des lieux en vue d’une vie collective, mêmes espaces de détente à l’extérieur.

 

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Fusuijing est cependant encore plus à l’abandon, s’il est possible. Ses habitants ont reçu en 2005 l’ordre de déguerpir et l’immeuble est aujourd’hui presque vide. Pas entièrement, toutefois, car tous n’ont pas obéi et quelques dizaines de familles sont demeurées dans leurs appartement vétustes. Pour cette raison sans doute, Fusuijing Dalou n’a pas été détruit, contrairement à ce qu’affirment certains articles mal informés.

 

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Les fenêtres des escaliers ont été murées à l’exception d’un petit soupirail. Dans les couloirs obscurs, tout est silence et abandon. Quelques slogans sur les murs témoignent  cependant d’un passé militant.

 

 

 

 

 

 

Fusuijing : un couloir "en tube"

 

 

 

 

 

 

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Slogan à la gloire du Président Mao

 

Ma seule rencontre, dans les étages, a été un chat qui garde peut-être les lieux. Le jardin lui-même, à l’abandon, fait figure de petite jungle urbaine. Combien de temps les locataires opiniâtres tiendront-ils ?

 

Vestiges d’utopie, Anhualou et Fusuijing font figure d’épaves qui n’intéressent guère que les architectes et les historiens. Pourtant, malgré les souffrances du passé et la vétusté d’immeubles devenus insalubres, le souvenir d’une époque égalitaire où l’argent n’était pas la mesure de tout éveille la nostalgie de plus d’un résident. Quelques voix s’élèvent aujourd’hui pour demander la protection de ces lieux de mémoire avant qu’ils soient livrés à la pioche des démolisseurs. Seront-elles entendues ?

 


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Pour en savoir plus deux articles intéressants :

-          China Heritage Quarterly : http://www.chinaheritagequarterly.org/articles.php?searchterm=017_lieux.inc&issue=017

-          Global Times : http://www.globaltimes.cn/NEWS/tabid/99/ID/677114/Commitment-and-ideology-revisited.aspx

Publié dans Nouvelles de Pékin

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