Kuelap et Yalape, places fortes de la civilisation chachapoya
Abstract : Kuelap in Northern Peru is a world class archeological site, a former walled city from which Chachapoya leaders ruled from 500 AD to the Inca conquest a thousand years later. Much less known is nearby Yalape which will reward the (slightly) adventurous visitor with its pristine condition and … the likely absence of other visitors.
Le cours supérieur de la rivière Utcubamba (photos 1 et 2) ; vue du site de Kuelap vers l'est (photo 3)
Le Pérou préhispanique ne se réduit pas à Machu Picchu et à la civilisation inca. Dans les vallées du nord du pays, à la jonction de la cordillère des Andes et de la forêt amazonienne, la civilisation chachapoya s’est épanouie pendant plus de mille ans, de 500 à 1500 à peu près. Elle a périclité quand les Incas ont pris le contrôle de la région au 15ème siècle et a disparu vers 1570. De la langue chacha, qui a été remplacée par le quechua des conquérants incas, il en reste que quelques traces en voie d’extinction dans certains villages, des noms de lieux et de famille. La religion des Chachapoyas est en partie connue.
Plusieurs sites archéologiques ont légué de précieuses informations. Les deux principaux sont Kuelap et Yalape, de part et d’autre du cours supérieur de la rivière Utcubamba, à quelques dizaines de kilomètres au sud-ouest de la ville de Chachapoyas.
1 – Kuelap
Perché sur la montagne La Barreta, à 3000 mètres d’altitude, Kuelap (77° 55’O, 6° 25’S) domine de plus de mille mètres la vallée de la rivière Utcubamba, sous-affluent de l’Amazone. Le visiteur qui a fait l’effort de monter jusque-là (l’accès au site est expliqué plus loin) découvre d’abord les murailles massives de l’ancienne ville fortifiées. Il constate assez vite que ces murailles et les constructions à l’intérieur sont pour la plupart circulaires ou curvilignes, pour des raisons pratiques d’intégration au site montagneux et des raisons plus spirituelles, liées aux croyances religieuses.
Comme la grande muraille de Chine, les murailles massives de la ville ont connu des dégâts à certains endroits. La couverture en blocs massifs s’est effondrée, laissant apparaître le remplissage de la muraille.
La construction de ces fortifications massives et la de ville à l’intérieur a demandé la mobilisation de ressources considérables, qui témoigne du pouvoir de l’élite dirigeante. Celle-ci a convoqué à Kuelap (et à Yalape) des artisans et des ouvriers venus de communautés parfois lointaines (système du minta), jusqu’à la plaine amazonienne. Artisans et pèlerins ont apporté leur savoir-faire et leur vision propre. Centre du pouvoir, Kuelap était aussi un lieu d’échange.
Place forte militaire, lieu de pouvoir politique et religieux, Kuelap était tout cela à la fois. On n’y entrait pas facilement. Les visiteurs y accèdent aujourd’hui par l’entrée est, si étroite qu’une seule personne peut passer à la fois. Cette mince fente recueillait les premiers rayons du soleil. Son étroitesse la rendait facile à défendre. Les deux autres entrées de la ville sont légèrement plus larges, mais à peine.
Le monument le plus spectaculaire à l’intérieur des murailles, le Templo Mayor, remplissait une fonction religieuse. De forme circulaire, sans doute positionné selon des considérations astronomiques 1, il contient une cavité inférieure en forme de bouteille (d’où le surnom de Tintero, l’encrier) qui servait d’ossuaire collectif et de lieu de cérémonies. Des offrandes ont été retrouvées à l’intérieur.
Structures circulaires dans la ville (photos 1 à 3) ; ce à quoi pouvait ressembler la ville (photo 4) ; reconstitution d'une case d'habitation (photos 5 et 6)
A l’intérieur des murailles, sur une surface de six hectares, on trouve des centaines de structures circulaires dont une partie seulement ont été fouillées. La plupart devaient servir d’habitations, surmontées par des toits coniques en matière végétale posés sur une charpente légère. Certaines pouvaient avoir une fonction religieuse.
Frises décoratives (photos 1 à 5) ; bas-reliefs figurant des serpents (photo 6) et un condor à queue de félin et pattes de serpent (photo 7)
Plusieurs de ces structures étaient ornées d’une frise décorative. Les deux motifs les plus connus, emblématiques de la culture chachapoya, sont le losange qui représenterait l’œil du puma et le zigzag représentant le serpent. Quelques blocs de pierre comportent des sculptures zoomorphes, notamment à l’entrée orientale de la ville.
Kuelap a été découvert par hasard en 1843 par un juge venu de la ville de Chachapoyas, elle-même fondée en 1538. Le site a été étudié et fouillé à partir de 1860. Deux archéologues, le général français Louis Langlois et Adolf Bandelier, américain, ont fait beaucoup progresser la connaissance du site dans les années 1930.
2 – Yalape
Yalape (77° 53’O, 6° 18’S), est situé sur le flanc de la colline Puma Urco entre 2700 et 2892 mètres d’altitude. Cette colline est située à l’est de la rivière Utcubamba alors que Kuelap est à l’ouest. Les deux sites sont visibles l’un de l’autre par beau temps, m’a-t-on dit.
Un peu plus petit que Kuelap, Yalape est aussi un site important de la civilisation chachapoya. Vu sa taille, plus de quatre hectares, il s’agissait d’une ville fortifiée, construite de 1100 à 1470. Il y a paraît-il 250 édifices recensés mais beaucoup disparaissent sous la végétation. Les murs sont presque tous de forme arrondie. Les frises ornementales, lorsqu’elles sont visibles, sont semblables à celles de Kuelap.
Le site était fermé lors de ma visite le 23 décembre (le lundi ? en permanence ?) mais j’ai pu le visiter sans trop de mal en me frayant un passage sur un sentier d’accès plus ou moins envahi par la végétation. Je n’ai pas rencontré âme qui vive. Pas un déchet non plus. Le site ayant été fouillé a minima et très peu restauré, largement enfoui sous la végétation, les rares visiteurs peuvent ressentir un peu de la joie qu’ont dû éprouver les archéologues au Machu Picchu ou à Kuelap en découvrant ces vestiges ensevelis sous l’herbe.
3 – Visiter Kuelap et Yalape
Les deux sites sont remarquables mais leur visite se mérite :
- ils sont situés dans une vallée au nord du Pérou, accessibles par des routes médiocres ; le petit aéroport de Chachapoyas est à recommander pour des visiteurs dont le temps est compté ;
- Kuelap est soumis au même système que Machu Picchu pour éviter le surtourisme : 432 billets sont en vente chaque jour à raison de 72 chaque heure de 9 heures à 14 heures ; lors de ma visite, le 24 décembre, nous n’étions pas dix visiteurs sur le site ; il est néanmoins recommandé de réserver des billets en ligne ; fermeture le lundi ;
- du village de Nuevo Tingo (alt. 2000 m), on peut monter à Kuelap :
- à pied : dix kilomètres et mille mètres de dénivelé net ;
- en voiture par la route provinciale 111 : 34 kilomètres, un peu plus d’une heure ;
- en minibus puis télécabine, construit par la société française Poma ; le trajet, dans des cabines prévues pour huit passagers, est spectaculaire avec le franchissement d’une vallée et 750 mètres d’une montée très raide ; les vues plongeantes sont très belles mais les personnes sujettes au vertige risquent de passer vingt minutes difficiles ;
- à l’arrivée de la route et du télécabine, il faut prendre un sentier de 1400 mètres de long et 100 mètres de dénivelé, ou louer un cheval.
Yalape est un site presque sauvage : une clôture mais ni gardien ni billet d’entrée. Avec un peu de chance, on visite le site seul. Pour s’y rendre, le plus simple est de louer un taxi à Chachapoyas et de prendre la route 110 sur 17 kilomètres. Cette route n’est pas goudronnée mais des travaux sont en cours. Est-il besoin de préciser que cette absence de tourisme organisé et une végétation exubérante contribuent pour beaucoup au charme de la visite ?
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