Autour du monde en 888 jours : une longue genèse, un grand projet, beaucoup d'incertitudes
Voiliers bugis sur le port de Paotere (Makassar, Célèbes) en janvier 1992 (photo de Michel Borysewicz). Plus jeunes, nous avons longtemps rêvé d'en faire construire un et de courir les mers à la voile, sans carbone.
« Il faut d'abord savoir ce que l'on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut ensuite l'énergie de le faire. » Clemenceau
Abstract : After travelling by car from Beijing to Paris in 2013 and 2014, we decided to plan a longer, round the World roadtrip. To make it more challenging and planet friendly, we chose to do it low carbon, using an electric vehicle (EV). We made this fateful choice knowing only too well that charging an EV is all but impossible in many countries.
Then came the COVID 19 pandemic and the war in Ukraine which, in addition to the immense suffering they caused and continue to cause, closed the borders. Were our plans doomed once and for all ?
Maybe, but we decided to go ahead with a revised plan : from France to Senegal first, with our old 4WD car. And then to proceed to the Americas with our brand new electric campervan. That is, if we manage to ship our vehicle across the Atlantic, which is problematic at this time after several cargo ships carrying EVs were gutted by fire.
An ambitious plan, don’t you think, facing daunting obstacles for sure. Shall we succeed ? At least, we will try.
Le 25 avril 2014, nous étions de retour de notre périple de Pékin à Paris par la route des Indes. Comblés par ce voyage extraordinaire mais dévastés par la perte de notre Clément, nous avions pris la résolution philosophique de poser nos valises et, tels Candide, de cultiver notre jardin.
Cette résolution, nous l’avons appliquée y compris au sens propre puisque nous avons fait l’acquisition d’un beau jardin, auquel nous consacrons beaucoup de temps et d’énergie. Il était cependant inévitable que les envies de voyage reviennent et elles sont revenues très vite : ce furent Lombok fin 2014, l’Uttarakhand en 2015, les Moluques du sud-ouest, le Zanskar et le Ladakh en 2016, la Papouasie en 2017, l’Altaï en 2018, le Pacifique en 2018 et 2019. Mais l’idée d’un vrai grand voyage vint aussi sans tarder, puis se précisa : un nouveau voyage par la route – nous n’avons pas, hélas, le savoir-faire qu’il faudrait pour faire naviguer un bateau – un tour du monde qui serait le couronnement des périples précédents et les relierait entre eux.
Peu à peu, un itinéraire idéal se dessina : l’Europe, la Sibérie, la Chine du nord au sud, puis l’Asie du sud-est jusqu’à Timor, l’Australie, la Nouvelle Zélande, les Amériques de la Terre de feu à l’Alaska et quelques semaines en Afrique pour terminer. Un programme pour deux à trois ans en prenant notre temps, mais avant qu’il soit vraiment trop tard « pour réparer des ans l’irréparable outrage ».
Une autre idée vint bientôt enrichir ou percuter le projet initial : renoncer à la voiture traditionnelle qui aurait consommé des milliers de litres de carburant pour une telle expédition [1] et opter pour un voyage bas carbone, en voiture électrique. Le monde avait changé, le défi climatique éclipsait tous les autres. La COP 21, malgré toutes ses limites, avait transformé en profondeur notre regard sur le monde. Un tour du monde à l’essence, même s’il demeurait infiniment plus simple et plus réaliste, cessait d’être une option acceptable.
[1] : Olivier Archambeau, explorateur et ami dont il sera question dans le prochain article, avoue avoir consommé 23 000 litres de gas-oil et 270 litres d’huile moteur pour plus de 160 000 km autour du monde au début des années 1990 avec un fourgon Renault B90 4x4 qui n’était sans doute pas le plus sobre des véhicules thermiques, il est vrai. Voir 600 jours de route, une aventure géographique, Expéditions Géographiques Françaises, Paris, 2002, p 425.
Ce beau projet était à peine à l’état d’ébauche que les ennuis ont commencé. Ils se sont succédé en quatre vagues :
- Malgré l’urgence climatique, la voiture électrique reste un luxe limité assez largement aux pays développés, y compris la Chine, et aux grandes villes. Une fois un véhicule convenable trouvé, la question des bornes de recharge se pose et tourne bientôt à l’obsession, sinon au cauchemar. Dans la plupart des pays que nous comptions parcourir, les bornes de recharge sont absentes, ou si espacées qu’elles ne permettent pas de parcourir de longues distances. Une voiture hybride n’étant pas vraiment une solution crédible pour un grand voyage (ce point sera développé dans le prochain article), il était clair que notre tour du monde bas carbone se présentait mal. Disons le tout de suite, ce problème n’est pas résolu et fait peser une hypothèque majeure sur l’entreprise. Même si nombre de pays très en retard jusqu’ici annoncent depuis peu de grands investissements dans les bornes de recharges, à l’instar de l’Australie et de l’Indonésie.
Dubaï (février 2014), le Taj Mahal d'Agra (janvier 2014), Honolulu ( (photo www.goodfreephotos.com ), lieux emblématiques du tourisme mondialisé
- En mars 2020, la pandémie de COVID 19 a fermé toutes les frontières pour deux bonnes années, quelques-unes étant encore fermées – ou entre-ouvertes – courant 2023, bloquant tous les déplacements et invitant à repenser en profondeur le tourisme et les voyages. L’incident n’est-il plus aujourd’hui qu’un mauvais souvenir malgré sept millions de morts et un coût économique et social colossal ? Rien n’est moins sûr. La COVID peut revenir avec de nouveaux variants. D’autres pandémies peuvent réveiller demain les rats et les envoyer mourir dans une cité heureuse [2]. Et, plus prosaïquement, fermer à nouveau les frontières et rendre impossibles les grands voyages.
[2] : « ... peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.» Albert Camus, la peste, dernière phrase du roman publié en 1947.
Irkoutsk commémorait ses 350 ans lors de notre visite en 2011. Nous renonçons à regret à y retourner, guerre en Ukraine oblige.
- Le 24 février 2022, la Russie a attaqué l’Ukraine, ramenant une nouvelle fois la guerre et ses horreurs en Europe. Sans même aller aux hypothèses extrêmes d’escalade, cette guerre d’agression a été le coup de grâce de notre grand projet qui prévoyait une traversée de la Russie et de la Sibérie pour commencer notre tour du monde. Pour faire bonne mesure, la crise multiforme qui sévit en Iran a rendu la traversée de ce pays à ce point risquée qu’il n’est pas raisonnable d’y songer. Les routes d’Europe vers l’Asie sont aujourd’hui coupées.
- Depuis l’été 2022 enfin, plusieurs incendies de grande ampleur affectant des cargos ont conduit les armateurs à interdire ou à restreindre fortement le transport maritime des véhicules électriques et hybrides, surtout des véhicules déjà immatriculés. Ce développement a tout remis en question, car il est impossible de voyager d’un continent à l’autre sans recourir à la voie maritime. Si nous trouvons néanmoins un bateau pour traverser l’Atlantique, le risque existe de ne plus en trouver pour continuer le voyage ou pour revenir en Europe et de se trouver pris au piège. C’est une menace nouvelle et sans doute la plus sérieuse sur notre projet de grand voyage.
Fallait-il renoncer ou attendre peut-être longtemps des jours meilleurs : un monde en paix, en bonne santé et raisonnablement électrifié ? Si nous étions jeunes, ce serait peut-être le meilleur parti à prendre. A 64 et 65 ans, nous n’avons plus le luxe d’attendre trop longtemps. Nous avons donc repensé notre projet de fond en comble, l’avons réduit et hélas un peu re-carboné, mais nous y croyons toujours. Voici où nous en sommes.
Le choix du véhicule
Après des années de réflexion, notre choix s’est porté sur une camionnette électrique Opel Vivaro-e que nous avons fait aménager en camper van, la forme la plus compacte du véhicule de loisirs. Le sujet étant complexe, nous y reviendrons dans le prochain article.
L’itinéraire
Compte tenu des fortes contraintes expliquées plus haut, nous avons dû revoir entièrement notre itinéraire :
- Changer de sens : la route de l’Asie étant actuellement fermée, nous partirons par l’Afrique, jusqu’à Dakar, et continuerons si tout va bien vers les Amériques et l’Océanie ; l’Asie viendra en dernier, si les frontières sont ouvertes ;
- Renoncer aux contrées où les bornes électriques font défaut : la Russie, l’essentiel de l’Amérique du sud ;
- De France au Sénégal, nous nous résignons à utiliser notre vieux 4x4 diesel : très difficile de traverser le sud du Maroc, le Sahara occidental et la Mauritanie avec un véhicule électrique.
Ceci nécessite aussi quelques explications. Nous y reviendrons dans un article séparé.
La passe de Khyber au Pakistan, août 1997 ; Persépolis, en Iran ; deux pays que nous espérons bien visiter quand les conditions le permettront.
Pour conclure
Le lecteur l’aura compris : nous avons un grand projet et de grandes ambitions mais restons lucides. Les obstacles sont nombreux et redoutables, de l’impossibilité de se procurer de l’électricité à de nouvelles pandémies ou de nouvelles guerres qui fermeraient à nouveau les frontières. Tel le savant Cosinus [3], nous accumulerons peut-être les faux départs. Au moins, nous gagnerons en expérience sur ce qu’est vraiment la transition vers la mobilité bas-carbone.
Notre départ de Haute Provence est prévu vers le 1er décembre. A suivre très bientôt dans notre journal de voyage et de futurs articles.
Prochains articles, dans quelques jours : le choix et la préparation du véhicule ; notre itinéraire.
[3] : Christophe, L’idée fixe du savant Cosinus, Armand Colin, Paris 1900. Le héros rêva longuement de faire le tour du monde, multiplia les projets et les faux départs et ne sortit finalement jamais de Paris.