Voyage en famille en République Dominicaine
Vue par les uns comme l'un des pires exemples de tourisme de masse, recherchée par les autres pour son offre abondante d'hôtels all-inclusive et de lieux festifs, la République Dominicaine est souvent réduite à ses plages les plus fréquentées par les touristes occidentaux. Pourtant, cette destination offre de nombreuses possibilités de voyages, dont Punta Cana n'est pas une étape nécessaire. Elle nous invite à nous plonger dans une civilisation pré-colombienne, celle des Tainos, dans l'histoire de la découverte du Nouveau Monde, puis dans celles de l'esclavage et de la colonisation. Ses habitants d'aujourd'hui semblent porter un peu de toutes les cultures qui ont interagi au cours de cette histoire douloureuse, ce qui ne manque pas de rendre le voyage intéressant et coloré. L'île abonde d'une nature luxuriante faite de plages paradisiaques, dont certaines accessibles au prix de quelques efforts sont peu fréquentées, de forêts tropicales au fond desquels se cachent des grottes, et même de montagnes. La plus haute, le Pic Duarte, dépasse les 3000m d'altitude.
Les déplacements d'une partie à l'autre du pays sont longs et peuvent être éprouvants, aussi le choix d'un programme pour des vacances de 10 jours en famille a impliqué des renoncements. Notre voyage s'articule autour de trois destinations: la capitale Saint Domingue, le secteur de Las Galeras au nord-est de l'île dans la péninsule de Samana, et la ville balnéaire de Bayahibe, en bordure du Parc National de l'Est situé dans la partie orientale de la côte sud. Nous renonçons en particulier pour cette fois au district de Barahona où j'avais espéré un temps aller visiter les plantations où pousse l'un de mes cafés préférés.
Sur les traces de Christophe Colomb
Notre voyage démarre en quelque sorte sur les traces du célèbre navigateur. Il y a un peu plus d'un an, nous nous trouvions au pied de son sarcophage dans la Cathédrale de Séville. Je relatais sur ce blog les réflexions contrastées que le personnage nous inspire. Cette année, c'est à Madrid que nous le retrouvons. Au profit d'une longue escale, nous nous rendons au centre-ville pour visiter le Musée National d'Archéologie. À deux pas de là se trouve l'imposant mémorial de la découverte du Nouveau Monde. Un vol transatlantique plus tard, nous sommes à Saint Domingue, sur la côte sud de l'ancienne Hispaniola. À l'embouchure de la rivière Ozama, face à un cargo au mouillage, il est aisé d'imaginer la flotte de Colomb lors de son deuxième voyage qui a amené les premiers colons du Nouveau Monde dans cette partie de l'île.
La baie est encore surplombée aujourd'hui par l'Alcazar de Diego Colomb, fils aîné du navigateur, qui, malgré les déboires relatifs de son père dans les années qui suivirent ses découvertes, parvint à s'imposer après sa mort comme Gouverneur, puis Vice-roi des Indes. Ce palais où Diego Colomb puis ses descendants vécurent jusqu'en 1577 se dresse toujours au bout de la grande Plaza de la Hispanidad dans l'actuelle "Zone Coloniale". La visite de ce lieu emblématique nous fait découvrir chaque pièce et son mobilier d'époque. Il faut croire que le corsaire anglais Francis Drake n'a pas tout pillé après avoir lancé son attaque depuis l'Ozama !
Promenade dans la Zone Coloniale
À l'autre extrémité de la place, nous visitons avec intérêt le Museos de las Casas Reales qui retrace l'histoire de la ville. On y voit des objets témoignant de toutes les époques, allant des verroteries des Espagnols à la collection d'armes du dictateur Rafael Trujillo, en passant par une pharmacie mêlant médecine occidentale d'époque et plantes médicinales dominicaines de la médecine Tainos.
En en ressortant, nous nous trouvons sur la première rue pavée du Nouveau Monde: la Calle Las Damas. Cette "rue des dames" permettait à Maria de Tolède, épouse de Diego Colomb, et sa suite, de marcher entre l'Alcazar et la cathédrale sans avoir à redouter la boue des pluies tropicales. Nous avons plus tard visité la cathédrale, première des Amériques. De l'architecture à l'ornement, tout ici fait penser à ce que nous avons visité en Andalousie l'année dernière.
Au-delà de ses édifices historiques, la Zone Coloniale est en elle-même une curiosité. Lors de mes premiers pas dans la rue au petit matin en quête d'un distributeur de billets, mon attention s'est portée sur ce qu'elle avait de moins pittoresque: des détritus éparpillés, et partout des poubelles non ramassées en proie aux corbeaux et au vent. L'odeur des poubelles en climat tropical se mélange à celle des pots d'échappement, la pollution venant autant de très vieilles voitures, de gros SUVs clinquants et de deux-roues bruyants. Ces stimuli peu engageants ont néanmoins un effet ambigu sur mon ressenti: ils réveillent en moi avec une nostalgie paradoxale des sensations associée à notre vie d'antan en Inde. Et qui sait si mon inconscient n'associe pas cette atmosphère à des souvenirs encore plus lointains... Plus attrayant, et évoquant aussi l'Inde, il y a les fleurs de bougainvilliers qui colorent le paysage urbain. Enfin, les façades elles-mêmes sont ornementées et parfois teintées de couleurs qui rappellent certains quartiers de Séville. Certains murs sont "tagués" de manière plus ou moins esthétique, avec des couleurs vives. Des éléments de culture nord-américaine sont aussi visibles : basketball, baseball, coca-cola... Les rues à Saint Domingue, comme ailleurs en République Dominicaine, sont aussi des lieux de vie où les Dominicains se laissent aller librement à leur goût pour la musique et la danse. Que la musique sorte d'un amplificateur portatif, d'une voiture, ou directement des instruments, elle est omniprésente.
Las Galeras, dans la péninsule de Samana
Le lendemain matin, nous quittons Saint Domingue pour Las Galeras. Il y a différentes manières de parcourir ces 200 km, des plus économiques et aventureuses, aux plus chères et confortables. Nous optons pour une solution intermédiaire: l'autocar climatisé de la compagnie Caribe Tours entre le terminal des bus de Saint Domingue et la ville de Santa Barbara de Samana, puis un taxi que nous trouvons sur place pour effectuer la fin du trajet.
Las Galeras est un village de bord de mer, ou une petite ville si l'on veut (6000 habitants). Il se situe littéralement "au bout de la route" dans le sens où il débouche sur la côte nord de la péninsule et où aucune autre route ne part d'ici. On s'y trouve relativement loin des grands hubs touristiques de l'île. Si beaucoup de touristes de Punta Cana font des excursions à la journée à Samana pour observer les baleines, faire du quad ou encore de la tyrolienne dans la forêt, les tours opérateurs semblent épargner Las Galeras. Comme le prévient un site web dédié au tourisme dans la région, le visiteur doit être conscient que l'offre de bars et de discothèques est moins pléthorique qu'ailleurs, et annonce qu'il n'y a pour le moment qu'un seul resort all-inclusive.
Pour autant, il ne faut pas s'imaginer un petit village de pêcheur vivant en dehors du tourisme. Il y a de nombreux hôtels et la rue principale est parsemée de restaurants pour touristes et de rabatteurs faisant mine de s’intéresser à nous pour nous vendre des tours. La plupart des hôtels et des restaurants semblent tenus par des étrangers qui ont élu demeure en République Dominicaine, principalement des Italiens et des Français. Les plages proches du village sont très fréquentées, et les hors-bords qui promènent les touristes sont une vraie nuisance pour qui voudrait nager paisiblement le long de ce qu'il reste de la barrière de corail qui ferme le lagon. Ils passent à toute vitesse à grand bruit, et ceux qui les conduisent s’inquiètent peu du danger qu'ils représentent.
Marche, plage, et snorkeling
Le véritable intérêt de prendre base à Las Galeras, c'est d'être à pied d’œuvre pour entreprendre de nombreuses marches hors des sentiers battus, avec à la clef des plages sauvages paradisiaques. Si "l'enfer, c'est les autres", le paradis peut être une plage où l'on se sent seul au monde. Et chaque demi-heure de marche supplémentaire en rapproche ! C'est à ceci que nous avons consacré nos quatre jours sur place. Pourtant nous n'avons pas atteint la plus lointaine de ces plages, Playa Rincon, là ou Christophe Colomb a connu ses premiers heurts avec les « Indiens » au retour du premier voyage. Comme d'habitude, nous avons du trouver des compromis avec nos enfants, en plus de devoir porter Diane sur notre dos le plus souvent, et le matériel de snorkeling (palmes, masques, tubas) de toute la famille.
En ce qui concerne le snorkeling justement, il faut reconnaître que les fonds sont quelque peu décevants. Depuis le rivage, les masses sombres qui ressortent dans la mer bleue turquoise donnent l'impression de récifs coralliens pleins de vie. Mais en réalité, il s'agit pour l'essentiel de roche et de coraux morts il y a longtemps, quelquefois envahis par des algues. Il y a quand même des coraux par endroits avec leur lot de poissons, mais pas le foisonnement qui justifierait de venir pour le seul snorkeling.
Boca Chica, un mauvais souvenir
Notre séjour à Las Galeras terminé, nous repartons en direction du sud pour nous rapprocher de notre prochaine destination. Nous faisons étape à Boca Chica, une station balnéaire prisée par les Dominicains, la communauté italienne de l'île, et certains touristes de passage. Qui plus est, nous y débarquons un samedi soir, lorsque la fête bât son plein. Je suis contraint de partir à la découverte de la ville pour y trouver l'un des rares distributeurs de billets qui me permettra de payer mes trois prochaines nuits d'hôtel. En effet, c'est une pratique courante des hôtels dans ce pays que de réclamer le paiement en espèces. Ceci m'a valu de devoir me promener avec l'équivalent en pesos de presque 400 dollars américains dans chaque poche ! La présence d'un vigile armé d'un fusil à pompe rassure peut être pendant le retrait, mais pas après...
Entre le stress lié à cette situation, la musique à fond partout dans la ville, la foule, le ballet de SUVs aux conducteurs parfois alcoolisés et la fatigue du voyage, le retour à l'hôtel paraît interminable. Arrivé à environ 1 km de mon but, je réalise qu'il n'y a aucun commerce autour de l'hôtel. Et j'ai peu envie de revenir dîner dans cette ambiance avec les enfants. N'osant pas leur annoncer qu'il n'y aura pas de dîner, je me résous à repartir en quête de provisions pour cuisiner. Au final, j'aurais passé deux heures fort désagréables dans les rues de Boca Chica. Et la fin de ma soirée à rechercher une solution pour quitter cet endroit le lendemain sans céder aux tarifs exorbitants des taxis. S'il s'agit là de problèmes de riches et que je ne suis pas à plaindre, je raconte cet épisode assez représentatif d'autres moments du voyage pour montrer que voyager par soi-même a aussi ce type de contraintes.
Bayahibe, ou comment passer entre les mailles du tourisme de masse
Bayahibe est une autre station balnéaire très touristique de la côte sud de la République Dominicaine. Elle se situe à 140 km à l'est de Saint Domingue et à 75 km au sud-ouest de Punta Cana. Réputée plus calme et plus familiale que cette dernière, j'étais pleinement conscient de mettre les pieds dans une zone très touristique pour ces trois derniers jours de voyage. J'ai fait ce choix essentiellement pour accéder aux sites de snorkeling les plus réputés de République Dominicaine : les îles de Saona et de Catalina, accessibles en bateau, et les récifs accessibles depuis le rivage.
Si j'avais fait plus de recherches lors de la préparation du voyage, je serais arrivé à la conclusion qui s'est imposée sur place: ces excursions en bateau sont des attrape-touristes qui ne correspondent pas du tout à ce que nous recherchons. Nous n'allons pas payer pour nous entasser sur un bateau et rejoindre une île vers où convergent des centaines d'autres bateaux ! Il faut dire que ces excursions sont aussi proposées aux touristes de Punta Cana qui débarquent en bus par centaines et reviennent le soir. Pour autant, comme nous allons le voir, cela valait le coup de venir à Bayahibe.
Il existe une petite plage à la sortie de Bayahibe dont la bande de sable ne dépasse pas 150 m. Elle est comme encastrée dans une côte rocheuse âpre. En ce dimanche après-midi pendant que les enfants profitent de la piscine, je pars en reconnaissance des fonds marins accessibles depuis cet endroit. La plage est noire de monde, essentiellement des familles dominicaines qui profitent de leur dimanche. Il paraît difficile de se frayer un chemin jusqu'à la mer. Je suis étonné d'une telle concentration car Bayahibe et ses environs offrent par ailleurs des kilomètres de plages de sable blanc. Une partie de la réponse se se situe peut-être dans la privatisation d'une grande partie du littoral (ou du moins de son accès) par les complexes hôteliers. En dépit d'un panneau qui interdit la musique à haut volume, plusieurs familles ont tiré des câbles ou apporté des batteries pour pouvoir alimenter des sonos dignes d'une boîte nuit. Beaucoup de voitures sont aussi équipées pour envoyer des décibels et ne s'en privent pas depuis là où elles sont garées.
Je préfère donc m'éloigner de la plage, quitte faire face à de vraies difficultés pour me mettre à l'eau et en ressortir depuis la côte rocheuse sur laquelle on ne peut même pas marcher pieds nus sans s’écorcher. Mes efforts sont finalement récompensés quand je découvre des fonds marins bien plus intéressants que ceux que nous avons vus jusqu'à présent ! Même si j'ai déjà vu mieux dans ma vie, les coraux sont présents en nombre et en diversité, tout comme les poissons qu'ils abritent. En revanche, il y a un bruit d'hélice de bateau quasiment permanent sous l'eau du fait des centaines d bateaux qui partent et reviennent de la marina avec leurs touristes. La plupart restent loin, mais les bruits se transmettent sous l'eau. Ce qui connaissent ce bruit ne manqueront pas de le repérer dans la vidéo ci-dessous. Pauvre vie marine... Le reste de notre séjour, jusqu'aux ultimes heures avant de reprendre l'avion, nous reviendrons en famille pour profiter de ce site, la plage étant peu fréquentée en semaine.
Forêt tropicales et grottes
L'autre bonne surprise de Bayahibe, ce sont deux randonnées à pied que nous avons pu faire dans la forêt tropicale pour accéder à des grottes. La première grotte, la Cueva de Chicho, abrite un cénote, c'est à dire un gouffre rempli d'une eau douce translucide. L'eau est si pure que sur les bords peu profonds il est difficile de savoir si on va poser le pied dans l'eau ou hors de l'eau. Il n'y a ni éclairage ni aménagement particulier, et le peu de lumière du jour qui pénètre par l'ouverture de la grotte ne laisse quasiment rien entrevoir. Je dispose heureusement d'une lampe torche puissante qui nous permet d'apprécier la beauté du lieu et de nous y baigner à tour de rôle. C'est peut-être l'une des expériences les plus mémorables de ce voyage que de se baigner seul ici dans une obscurité qui devient totale dès qu'on s'éloigne du faisceau de la lampe !
La deuxième grotte, la Cueva del Puente, n'a pas d'eau, mais offre une succession de "pièces" avec de grands volumes et des galeries adjacentes dans lesquelles les enfants peuvent se faufiler. Pour le plus grand plaisir de Diane, il y a des familles de chauve-souris suspendues dans les cavités du plafond. Les deux grottes ont abrité des Indiens Tainos et leurs parois sont réputées avoir conservé des pétroglyphes visibles, mais nous ne les avons pas trouvés.
Conquista Park: à la mémoire de la civilisation Tainos
C'est justement avec les Tainos que notre séjour se termine. Nous nous rendons à Conquista Park, à une dizaine de kilomètres de Bayahibe. Pour donner une autre anecdote sur les effets du tourisme, les chauffeurs de taxi contactés par notre hôtel pour nous y emmener ont demandé des prix se situant entre 80 et 100 dollars américains pour une vingtaine de kilomètres aller-retour. Après quelques péripéties, nous parvenons à nous y rendre pour une cinquantaine d'euros, là où le calcul d'Uber en laisse envisager une dizaine.
Le parc semble peu connu et nous en sommes ses uniques visiteurs. Il consiste en un circuit pédagogique qui retrace l'histoire des Tainos depuis leur arrivée sur l'île jusqu'à leur quasi disparition sous l'effet de la brutalité de la conquête espagnole. Une succession de mises en scène avec des statues, commentées par un audio-guide qui ne s'est pas privé de reprendre la musique de Vangelis du film 1492, nous racontent l'histoire de cette civilisation. L'histoire est tragique et n'élude pas la responsabilité de Christophe Colomb lui-même, mais le parcours cherche néanmoins à nous laisser repartir avec une note positive en insistant sur tous les éléments de la culture Tainos qui ont survécu jusqu'à nos jours, à commencer par une série de mots que nous employons quotidiennement.
Ainsi s’achève un beau voyage, de ceux que la dépendance aux vols longs courriers interdit de répéter trop souvent.