Vietnam, 1983
Cela se passait il y a quarante ans. La guerre – ou plutôt les guerres - du Vietnam avaient pris fin depuis moins de huit ans mais le pays vivait à peine mieux. Coupé du monde, qui lui faisait payer son occupation du Cambodge depuis décembre 1979, en butte à l’hostilité de la Chine, des Etats-Unis et, à des degrés divers, des pays d’Asie du sud-est, le Vietnam vivait dans l’isolement et une très grande pauvreté. La vie y était rude. Alors que la Chine de Deng Xiaoping libéralisait son économie depuis 1978, le Vietnam n’émancipait que très doucement son agriculture pour survivre. Pour le reste, la construction du socialisme continuait sans concession sous la férule du Parti. Ce carcan était particulièrement mal vécu dans les provinces du sud réunifiées en 1976, alimentant une émigration importante, illégale (les boat people) ou tolérée.
A Paris, l’Ecole nationale d’administration décida cependant d’envoyer, pour la première fois, un de ses élèves en stage à l’ambassade de France au Vietnam. Un candidat et une candidate se déclarèrent. Homme prudent, le Directeur des stages estima trop aventuré d’envoyer une jeune femme dans ce pays difficile. Le candidat masculin fut retenu pour cette (mauvaise) raison. Il arriva à l’aéroport de Noi Bai, près de Hanoi, au tout début de février 1983.
Ce furent tout de suite un choc et un émerveillement. La première lettre commence par « J’ai enfin trouvé l’Asie telle que je l’avais toujours rêvée ». La dernière lettre, huit mois plus tard, se termine par : « C’est au moment de la quitter que l’Asie est la plus belle ». Tout était dit.
Le Vietnam n’était pas seulement éloigné et d’accès difficile. Il était littéralement – surtout Hanoi et les provinces du nord – hors du temps. Près de trente ans de guerre (1946 – 1975) et huit ans d’isolement presque complet avaient de fait arrêté les horloges, créant un décalage à peine croyable avec le reste de l’Asie du sud-est et du monde. Hanoi était vide de voitures et de motos à tel point que les étudiants, quand il faisait trop chaud, s’asseyaient le soir au milieu des avenues pour réviser leurs cours à la lumière des réverbères. Le soir, la ville tombait dans un silence que n’interrompaient que le coassement des crapauds et le sifflet – combien nostalgique – des trains à vapeur partant vers Hue. Les lecteurs qui ont visité Hanoi ces dernières années mesureront la différence. Les campagnes, très pauvres, avaient peu changé par rapport aux descriptions de Paul Mus, Pierre Gourou ou de Philippe Devillers, mon professeur à Sciences Po.
Le dinh (maison commune) de Dinh Bang, dans la province de Bac Ninh, proche de Hanoi (photo Vietnamdragontravel)
La vie n’était pas toujours simple avec un ravitaillement problématique, une alimentation électrique souvent défaillante et surtout les mille contraintes et vexations qu’un régime communiste fait subir aux quelques étrangers qu’il tolère. Mais la découverte de ce pays magnifique et coupé du monde l’emportait sur tout le reste et constituait une chance exceptionnelle, qui a marqué ceux, peu nombreux, qui ont vécu au Vietnam à l’époque. Est-il besoin d’ajouter que les voyages touristiques étaient alors à peu près inconcevables ?
Outre l’inévitable rapport de stage, exercice administratif obligé, l’auteur a raconté ses huit mois à Hanoi et Ho Chi Minh Ville dans seize lettres familiales. Internet n’existant – évidemment – pas, ces lettres étaient photocopiées et envoyées par la valise diplomatique fermée chaque mardi et mise dans l’avion de Bangkok le mercredi.
Quarante ans plus tard, ces lettres sont mises en ligne quasi-intégralement. Quelques noms propres, pas tous, ont été masqués mais les appréciations ont été conservées, même celles qui trahissaient un peu trop le jeune âge (24 – 25 ans) de l’auteur. Des notes explicatives ont été insérées pour rendre le texte compréhensible, notamment aux plus jeunes qui n’ont pas tout le contexte de l’époque en tête. Quelques photos ont été ajoutées, en petit nombre car l’auteur n’en avait pris aucune pendant son séjour, hélas. Le Vietnam ayant radicalement changé depuis, ce témoignage sans prétention historique éclairera un peu une époque qui semble irréelle tant elle diffère du présent d’un Vietnam à nouveau ouvert au monde.
Bonne lecture !
1er mars : Hanoi : des brasseries d’Indochine à l’ambassade de France
15 mars : Hiver et printemps tonkinois
19 juillet : L’instituteur
2 août : Quelques jours à Vientiane
17 août : La route mandarine 1/2
31 août : La route mandarine 2/2
14 septembre : Ho Chi Minh Ville, une ville socialiste ?