Un serviteur de l'Etat

Publié le par Ding

Hanoi le 5 juillet 1983

Cette ambassade compte une vingtaine d’agents, dont quelques personnalités qui, dans une large mesure, lui confèrent son atmosphère et sa réputation.

 

Ivan Bastouil, lorsqu'il était ambassadeur en Thaïlande (1986 à 1989 - photo Ramkhamhaeng University Archives)

Ivan Bastouil, lorsqu'il était ambassadeur en Thaïlande (1986 à 1989 - photo Ramkhamhaeng University Archives)

L’Ambassadeur, S.E.M. Ivan Bastouil 1. Breveté à vingt-quatre ans de l’Ecole nationale de la France d’outre-mer (ainsi avait-on, dans un louable souci sémantique, rebaptisé l’Ecole coloniale), il s’embarqua avec trois condisciples sur un bateau qui descendait la côte d’Afrique. Telle était la règle de l’Ecole : en quittant Bordeaux, les élèves ignoraient où ils étaient affectés. L’Etat leur rappelait ainsi, avec une force particulière, qu’ils étaient entièrement à son service et qu’ils pourraient être amenés à servir n’importe où. Comme le paquebot approchait de Saint Louis, un télégramme fut affiché : il allait en Mauritanie. Il dit en avoir été enchanté.

1 : Né le 2 octobre 1927 à Boucau (Basses Pyrénées), mort le 21 mars 2003. Après son départ d’Hanoi en 1986, il fut ambassadeur à Bangkok (1986 – 89) et, brièvement, directeur d’Asie et d’Océanie. Il prit sa retraite en 1990. Les initiales S.E. (pour « Son Excellence ») ne sont pas heureuses car Ivan Bastouil détestait être qualifié d’Excellence (cette note et les suivantes ont été insérées en 2022).

 

Huit mois plus tard, il recevait son premier commandement. C’était dans le nord du pays, une circonscription plus vaste que la France (nettement moins peuplée il est vrai) 2. Il avait tous les pouvoirs : civils et militaires, administratifs et judiciaires. Mais il était seul : ni supérieur ni médecin à moins de huit-cents kilomètres. Les véhicules de l’administration supportant mal ces circonstances extrêmes, c’est à dos de chameau qu’il dut parcourir les centaines de milliers de kilomètres carrés de son domaine. Il en garde, pour toujours, le goût des limousines climatisées, de même que les conserves avariées n’ont pas peu contribuer à renforcer son goût pour la bonne chère. Pour ces jeunes fonctionnaires, l’apprentissage était immédiat : il construisait, administrait, arbitrait entre tribus rivales, jugeait, mettait à prix la tête des pillards du désert, bref représentait seul l’autorité de l’Etat. Il y est resté neuf ans et en a ramené une provision inépuisable d’anecdotes pour charmer les après-dîners de ses visiteurs. Un beau matin de 1960, un avion militaire vint le chercher. L’indépendance était proclamée ce jour-là et il n’aurait pas voulu passer une nuit de plus dans sa résidence. Pour lui, l’ère coloniale était terminée.

 

2  : Il semble en fait qu’Ivan Bastouil ait successivement servi à Tamchekett et à Aioun el Atrouss, dans la région Hodh et Gharbi, dans l’est (non dans le nord) de la Mauritanie. Ceci est attesté dans un article d’un autre administrateur de la France d’Outre-mer, Jean Chevance, très évocateur des conditions de vie et de travail des fonctionnaires français dans le désert de Mauritanie (bulletin des amis de la Mauritanie, n° 23, 15 février 2003).

Il allait cependant en affronter quelques séquelles : l’année qu’il passa dans un cabinet ministériel fut celle du putsch d’Alger et des débuts de l’O.A.S.. Nouvelle provision d’anecdotes, racontées avec cet humour placide qui, non sans modestie, ramène les circonstances difficiles à leur aspect pittoresque.

Puis ce fut la diplomatie. Jakarta d’abord, qui était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Claude Cheysson y était ambassadeur. En 1965, il se trouvait à Bali lorsque le coup d’Etat anti-communiste éclata. Il fut terrible : 500 000 morts, communistes, ou supposés tels, dans le pays ; à Bali, le sang coulait, au sens propre, dans les rizières. Ce fut ensuite Vientiane ; son avion s’y écrasa un jour dans un bosquet de bambous ce qui, raconté par lui, est d’un comique irrésistible. Ce fut encore Kinshasa 3, puis Djibouti. Cette fois-ci, il arriva le jour de l’indépendance. Il n’empêche que Gouled faisait appel à lui pour administrer le pays ou envoyer la Légion 4. A cette occasion, il devint l’ami d’Alain et de Monique Bry, ses voisins en quelque sorte 5.

3 : Son ambassadeur à Kinshasa était André Ross (1922 – 2017, ambassadeur au Zaïre de 1972 à 1979, plus tard secrétaire général du ministère des affaires étrangères (1985 - 1987) et ambassadeur de France dignitaire. Ivan Bastouil est resté toute sa vie très proche d’André Ross et de son épouse « Théia ».

A Kinshasa, Ivan Bastouil eut pour collègue Jean-François Parot (1946 – 2018), qu’il retrouva à Djibouti, puis au Vietnam en qualité de consul général à Ho Chi Minh Ville.

4 : L’indépendance de Djibouti – précédemment territoire français des Afars et des Issas – fut proclamée le 27 juin 1977 à l’issue d’un referendum. Hassan Gouled Aptidon fut le premier président de Djibouti indépendant, jusqu’en 1999. Ivan Bastouil fut ambassadeur à Djibouti jusqu’à la fin de 1981.

5 : Alain Bry (1930 – 2022), diplomate, fut ambassadeur en Ethiopie de 1980 à 1984. Son épouse et lui étaient donc « voisins » de l’ambassadeur de France à Djibouti.

 

 

En février 1982, ce fut Hanoi. Fort de son expérience, de son habitude des hommes et de l’amitié du Ministre (pour qui il est : « mon cher Ivan ») 6, il s’est rapidement fait un nom dans le petit monde diplomatique local et a apporté aux relations franco-vietnamiennes l’impulsion vigoureuse, mais aussi la rondeur et la souplesse dont celles-ci ont bien besoin. Un an plus tard, il recevait un jeune stagiaire qui connaissait à peine l’Asie. Il fut, pour lui, un chef de stage parfait : éducateur infatigable, prodiguant sans relâche les conseils tirés de son inépuisable expérience, accueillant au possible et ne faisant jamais sentir à son jeune interlocuteur combien sa formation à lui avait été plus rude, donc plus profitable, qu’un petit stage sous les tropiques.

(...)

6 : Claude Cheysson (1920 – 2012), ministre des relations extérieures de mai 1981 à décembre 1984, connaissait Ivan Bastouil de longue date puisqu’il avait été son ambassadeur en Indonésie. Le Ministre avait visiblement de l’intérêt et de la sympathie pour le Vietnam ; il avait été conseiller à la présidence du gouvernement du Vietnam, à Saigon, d’avril 1952 à janvier 1954 puis avait pris part à la négociation de Genève sur l’Indochine. Son arrivée au ministère en 1981 avait été perçue comme favorable à la reprise des relations franco-vietnamiennes. Il se rendit au Vietnam en visite officielle en mars 1983.

 

L’Ambassade ne serait toutefois pas ce qu’elle est sans une autre grande figure. J'en reparlerai.

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