Hiver et printemps tonkinois

Publié le par Ding

Hanoi, le 15 mars 1983

Si le printemps officiel du calendrier vietnamien commence début février et dure trois mois, le printemps réel est, au nord, beaucoup plus bref ; au sud, c’est encore plus simple : il n’y a ni hiver, ni printemps.

Bâtiment officiel surmonté d'un portrait d'Ho Chi Minh (photo Daniel Delomez)

Bâtiment officiel surmonté d'un portrait d'Ho Chi Minh (photo Daniel Delomez)

Nous sortons de l’hiver. Le Tonkin est la seule province d’Asie du sud-est qui connaisse une vraie saison froide : 13 à 15° le jour, 10° la nuit à Hanoi, moins en montagne. C’est une saison bien triste : on ne voit pas le soleil pendant près de trois mois, le ciel est complètement bouché et il pleuvine plusieurs heures par jour. C’est une bruine impalpable, contre laquelle le parapluie ne peut rien mais qui a le don de transpercer. L’humidité est intense et froide. Les Vietnamiens, qui ne sont pas chauffés et vivent dans de mauvais logements, n’arrivent pas à se réchauffer en dépit de leurs pauvres bonnets et malgré les épaisseurs de laine qu’ils accumulent : l’autre jour, un ouvrier du chantier de l’Ecole des langues en avait sept ! C’est, pour eux, la saison la plus pénible. La ville, malgré son charme intrinsèque, devient lugubre : les couleurs sont éteintes, les suintements et les moisissures sont partout. C’est le célèbre crachin d’Hanoi, contre lequel la météo locale n’a rien pu faire sinon le baptiser, très joliment, « petite pluie, d’intensité pluviométrique négligeable ».

La baie d'Halong l'hiver (photo Indochina Junk)

La baie d'Halong l'hiver (photo Indochina Junk)

De la baie d’Halong elle-même, je n’ai eu que quelques aperçus, très beaux au demeurant, entre les bancs de brouillard. « Je ne sais rien de plus sinistre que le Tonkin en cette saison et je conserve, d’excursions effectuées à pareille époque (…), un souvenir morne et tragique » (C. Palazzoli 1).

 

1 : Claude Palazzoli (1938 – 1981, ancien conseiller culturel à l’ambassade), Le Viêt Nam entre deux mythes, Economica, Paris 1981, chapitre 2. La phrase continue ainsi : « … un souvenir morne et tragique : filaos frêles, effilochés dans les campagnes obscurcies, bambous gluants, glauques silhouettes, passants rapides derrière les glaces embuées de la voiture. Avec le Sud, où jamais l’été ne finit, quelle différence ! Et combien rude le destin du paysan du Nord ! ». (Cette note et les suivantes ont été insérées en 2022.)

 

Affiche de propagande (photo Daniel Delomez)

Affiche de propagande (photo Daniel Delomez)

Dans quelques semaines, l’été arrivera. C’est, dit-on, une saison très austère, « convulsée, lucide, dure et rayonnante » (même auteur), encore plus chaude qu’au sud ou qu’à Bangkok. Je vous raconterai. Mais vous comprendrez d’ores et déjà que le climat d’Hanoi soit catalogué « tout simplement infernal », comme le dit notre Consul général 2.

 

2 : Comprendre : le Consul général de France à Ho Chi Minh Ville (Saigon).

 

Pêcheur au carrelet, 1925, photo EFEO Jean Manikus

Pêcheur au carrelet, 1925, photo EFEO Jean Manikus

Mais il y a quelques semaines privilégiées, extrêmement agréables. Cette brève période a débuté samedi 3, sans prévenir. Pour la première fois, le soleil s’est montré, les vestes et les pull-overs sont tombés. Je suis parti me promener. Tout était méconnaissable. Plaisir d’être assis sur les marches de la pagode qui se trouve sur l’île du petit lac 4, de se promener longuement sous les arbres, de prendre un pot à la terrasse qui domine ce petit lac, d’inaugurer les petits déjeuners sur la terrasse, de sentir l’air tiède à travers la chemisette, quand on se laisse promener en cyclopousse. Les lacs font le charme d’Hanoi. Le soir, la lumière y est merveilleuse ; une vraie lumière du soir de Provence, sur un décor tropical parfait. Les couleurs chantent et l’on regrette, une fois n’est pas coutume, de n’être pas photographe. Toute la ville est dehors et déambule, heureuse d’en avoir fini avec le crachin glacial.

 

3 : Samedi 12 mars. Ces lettres étaient rédigées le mardi pour envoi par la valise diplomatique hebdomadaire qui quittait Hanoi le mercredi matin.

4 : De son vrai nom lac Hoan Kiem (lac de l’épée restituée, en référence à une légende du XVème siècle), ancien bras du Fleuve rouge au centre de la ville dont il est le cœur historique et spirituel. Le vieux quartier commerçant avec ses rues étroites et le marché Đong Xuan est au nord du lac, le quartier colonial avec ses grandes avenues, où se trouve l’ambassade, est au sud.

 

 

Le lac de l'ouest (photo musée national d'histoire de Hanoi)

Le lac de l'ouest (photo musée national d'histoire de Hanoi)

Dimanche après-midi, je suis allé sur le grand lac 5. Il n’y avait pas assez de vent pour la voile mais on pouvait louer des périssoires (en vietnamien : pe-rít-soa !). Ce frêle esquif, taillé pour la course, que je ne connaissais que par Jerome K. Jerome 6, permet de filer sur l’eau mais permettrait aussi de prendre un bon bain au premier faux mouvement. Au ras de l’eau, on découvre ainsi les faubourgs, puis les rizières et les villages, dans la lumière dorée décrite plus haut. Quelle merveille ! Je suis rentré ravi, malgré de belles ampoules.

 

5 : Grand lac ou lac de l’ouest (Hô Tây), autre ancien bras du Fleuve rouge, le plus vaste de la capitale (5,3 km²). La description qui suit est datée car l’urbanisation des rives a fortement progressé depuis 1983.

6: Jerome K. Jerome, Three Men in a Boat / Trois hommes dans un bateau, récit humoristique d’une remontée de la Tamise paru en 1889. Il y est question d’une périssoire de course (racing outrigger dans le texte original anglais) au chapitre 15.

 

Mais, à tout prendre, c’est encore la joie des Vietnamiens qui fait le plus plaisir à voir. On retrouve presque l’ambiance du Têt 7. A l’occasion du printemps de cette année, M. To Hưu, membre du bureau politique, premier vice-président du Conseil de gouvernement et poète de son état, a publié dans le Nhân Dân (prononcer « niann zann » et traduire : la Pravda du cru), un « chant de joie » qui se termine ainsi :

« Chante un chant de joie en ce printemps, ami !

Qu’il fuse de ton cœur, aussi grisant qu’un chant d’amour !

A l’instar de ces chants qui traversèrent le feu des batailles,

Et, ô miracle, se muent soudain en fleurs … ».

 

7 : Le nouvel an lunaire évoqué dans la lettre du 15 février.

 

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