L’Andalousie, voyage de Noël en famille
En raison de la vague Omicron, plusieurs pays européens se sont fermés aux voyageurs en provenance du Royaume-Uni dans les semaines qui ont précédé notre départ. Par chance, l'Espagne n’en fait pas partie, mais le suspense aura duré jusqu’au dernier moment. Nous prenons place dans l’avion en ce matin du 24 décembre sans être encore pleinement convaincus que le voyage est possible. Après avoir lu et relu les formalités d’entrée en Espagne, passé des coups de téléphone peu conclusifs, nous pensons à raison qu’il n’y a pas besoin de test négatif. Mais jusqu’aux contrôles à l’aéroport d’Almeria, nous retenons notre souffle. Voilà, c’est fait, le voyage peut commencer !
Almeria
C’est pour nous avant tout un point d’entrée en Espagne, et nous n’avons prévu que la matinée du 25 pour découvrir la ville. C’est une ville-port au bord de la Méditerranée, au sud-est de l’Andalousie. La ville est quasiment déserte en ce matin du 25, tous les commerces sont fermés. L’attraction principale, ici, est l’Alcazaba, une citadelle du Xe siècle construite par le calife omeyyade Abd al-Rahman III. Malheureusement pour nous, elle est aussi fermée, contrairement à ce que laissaient penser les indications en ligne. Si les hauteurs de la ville offrent toutefois une belle vue sur les toits bigarrés et le port, nous sommes très choqués par la saleté des lieux. Il y a des détritus éparpillés partout autour des remparts et il faut regarder où on met les pieds. L’après-midi, nous prenons le train pour Grenade. C’est un petit train régional qui contourne la Sierra Nevada par l’Est. Nous apercevons furtivement ses sommets enneigés !
Grenade: l’Alhambra et la Chapelle Royale
Autant dire que la visite de l’Alhambra était l’un des moments les plus attendus du voyage. Et elle ne s’improvise pas: il a fallu réserver nos billets des semaines à l’avance. L’un des chefs d’oeuvre les plus connus de l’art islamique, le complexe de palais et de jardins qui surplombe la ville est lui-même dominé par les pics de la Sierra Nevada. En déambulant dans les palais Nasrides et les jardins du Généralife, se réveille une espèce de mythologie de l’Orient qui m’habitait inconsciemment. La richesse et le raffinement de l’architecture a pour effet de « valider », en quelque sorte, les représentations que la littérature nous a transmises et dont il était difficile d’évaluer la part de réel par rapport au fantasmé. Nous verrons, plus tard au cours du voyage, de l’art gothique et baroque également de premier plan, mais cela n’aura pas un effet aussi puissant sur moi. L’utilisation des marbres, des pierres précieuses, l’agencement des formes géométriques et des couleurs, voici une mise en oeuvre réelle de mon idée du «beau ». Si seulement il n’y avait pas ces milliers de touristes…
Certains endroits me donnent une impression de déjà-vu: le Taj Mahal ? Le Lodhi Garden ou Humayun’s Tomb de New Delhi ? Istanbul ? Isfahan ? Difficile à dire, mais malgré des similarités dans l’art islamique, le style de l’Alhambra est unique. Si les enfants se plaisent à courir en rond dans le palais de Charles Quint, nettement plus austère que les bâtiments mauresques, s’ils s’amusent à jouer à cache-cache dans les jardins, la visite est néanmoins longue pour eux: entre quatre et cinq heures à marcher ou faire la queue !
L’après-midi, nous visitons la Chapelle Royale. C’est là que reposent les « rois catholiques » Isabelle de Castille et Ferdinand II d’Aragon. En voyant leurs cercueils dans la crypte, nous parlons de cette année 1492. Le 2 janvier de cette année, le dernier émir de Grenade leur remettait les clefs de la ville au terme d’un long siège. Quelques mois plus tard, tout près d’ici, ils signaient enfin un contrat avec Christophe Colomb pour son premier voyage… Je n’avais pas réalisé jusqu’alors que cette quête des Indes s’inscrivait dans le contexte de la Reconquête. Aller aux Indes par l’Ouest, c’était contrer la perte des routes maritimes de l’Est, puis évangéliser les terres à l’est de l’empire islamique.
Les Gorges de Monachil: une journée en pleine nature avec un parfum d’aventure
Voyageant avec trois enfants et sans voiture, nos bagages se devaient d’être limités. Ainsi nous ne nous sommes pas équipés pour monter aux stations de ski qui surplombent Grenade. Pour goûter à la Sierra Nevada sans monter en altitude, les Gorges de Monachil se sont avérées un excellent choix, qui plus est accessible en bus. Elles ne sont pas mentionnées dans le Lonely Planet et ne sont pas fréquentées par les flots de touristes de Grenade. Mais les locaux ont l’air de bien connaître l’endroit. Les enfants s’amusent des sections aventureuses du parcours ! Voyez le film pour vous faire une idée, bien que je n’aie pas filmé lors des moments où j’avais besoin de mes deux mains et de toute ma concentration.
Après cette journée de marche, Adrien a encore le courage de me suivre pour traverser Grenade à pied et monter à l’Albayzin contempler le coucher de soleil sur l’Alhambra. Comme vous pouvez le voir dans le petit film qui suit, il était encore bien en forme quand bien même son podomètre dépassait les 40,000 pas sur la journée !
Cordoue
Nous avons tous entendu parlé à l’école du califat de Cordoue, des Omeyyades, ou encore d’Averroes qui y est né. En préparant le voyage, je suis tombé également sur Maimonides, Sénèque, ou encore le « Grand Vizir » Al-Mansur qui voulait être « calife à la place du calife »… Au Xe siècle, Cordoue est avec Bagdad l’une des villes les plus importantes de son temps. Ce glorieux passé est perceptible lorsqu’on se promène aujourd’hui dans le centre historique au milieu des orangers. Avant d’être espagnole, Cordoue a été romaine, wisigothe, arabe, berbère. Le sous-sol du musée d’archéologie est constitué des ruines d’un amphithéâtre romain.
Les premiers piliers de la mosquée-cathédrale sont des colonnes romaines disparates tant en terme de taille, de forme, que de matériau. Pourquoi disparates ? Parce qu’il s’agit de récupération d’éléments trouvés dans les ruines romaines. Les colonnes ajoutées ultérieurement ont été taillées sur-mesure et soutiennent des arabesques. La lumière qui perce par les vitraux chrétiens éclaire un bas-relief antique. Dans le choeur, les styles gothiques, Renaissance et baroques s’affichent sur fond de mosquée. A mon goût, la plus belle réalisation de ce gigantesque édifice (23,000 m2 !) est le mihrab construit par les architectes byzantins (c’est à dire l’ouverture dans le mur du fond qui indique la direction de La Mecque). Il s’offre à nos yeux aujourd’hui parce qu’il a été soigneusement caché lors de la reconquête pour ne pas être détruit. C’est à se demander comment il a pu rester inaperçu aussi longtemps à une époque ou l’Inquisition mettait tout en oeuvre pour traquer l’hérésie.
A Cordoue, la visite de cet édifice hors-norme donne à réfléchir sur la complexité de l’histoire. Ici, « l’invasion islamique » a rimé avec l’apogée culturelle et économique de la ville. Même s’il y a eu des tensions et des exactions, les communautés chrétiennes et musulmanes ont coexisté pacifiquement avant que de nouveaux souverains importent un islam moins tolérant. On apprend qu’il fut un temps où le même édifice servait alternativement aux cultes musulmans et chrétiens. Tout près d’ici se trouve la Juderia, quartier juif emblématique avec sa synagogue. Même si le déclin avait commencé avant la reconquête chrétienne, cette dernière a donné naissance à l’expulsion des juifs et des musulmans, puis aux exactions de l’Inquisition contre ceux mêmes qui avaient dû se convertir de force au catholicisme. S’il n’est pas question de juger une religion ou d’en tirer des conclusions sur les enjeux contemporains, cela mérite réflexion par les temps qui courent.
Nous aurions aimé visiter l’Alcazar de Cordoue, palais des Rois Chrétiens, l’autre grand site historique de la ville. Mais faute d’avoir réservé notre visite suffisamment tôt, nous finissons par abandonner, non sans avoir essayé.
Séville
Nous prenons une nouvelle fois un train à grande vitesse pour nous rendre Séville. Bien qu’ayant fait la visite de la mosquée de Cordoue le matin même, les enfants sont priés de marcher encore des kilomètres avec les valises pour aller de l’appartement à la gare de départ, puis de la gare d’arrivée à l’appartement où nous logerons à Séville. Nous ne pourrions pas voyager ainsi sans voiture s’ils n’étaient pas aguerris et disposés à l’exercice.
Malgré le flot de touristes et de nuisances qui vont avec, dont nous faisons partie, il demeure plaisant de se promener dans le centre historique de Séville avec ses rues pavées bordées d’orangers, ses églises, ses fontaines, et ses petites places cachées. D’un peu partout en levant les yeux on aperçoit la Giralda, c’est-à-dire le clocher de la cathédrale, ancien minaret, qui culmine à plus de 100m de hauteur. La ville a beau être dans les terres loin de la côte, elle est reliée à la mer par le fameux Guadalquivir. Il faut imaginer le port fluvial de Séville comme l’un des centres névralgiques de la première mondialisation, celle des « Grandes Découvertes ». C’est d’ici que partit Magellan pour ne citer que lui. C’est ici qu’arrivaient les marchandises du Nouveau Monde. Sur ce thème, nous avons pénétré dans les Archives Générales des Indes et visité le musée de la navigation, musée interactif pour les enfants.
Plutôt que de longues descriptions, voici une série de photos de notre visite des deux sites majeurs de Séville: la cathédrale et l’Alcazar. De la cathédrale, outre ses dimensions incroyables telles les voûtes qui portent un plafond à plus de 40m du sol, les trésors artistiques qu’elle abrite, je retiendrais deux moments en particulier. Le premier, c’est l’interminable montée au balcon de la Giralda: 37 étages par un escalier en colimaçon dans lequel montent et descendent des centaines de visiteurs en même temps (il faut espérer que les masquent compensent le manque de distanciation sociale !).
Le second moment, c’est l’instant d’émotion face au tombeau de Christophe Colomb. Faut-il se sentir coupable et complice de l’infamie pour tomber en émoi devant cette dépouille ? Ou cette interrogation n’est-elle que la conséquence de l’intransigeance du wokisme contemporain ? La question m’a tant intéressé que j’ai passé des heures à me documenter sur le sujet par la suite. Le débat ne date pas d’hier comme en témoigne la Controverse de Valladolid au XVIe siècle. Quant à l’Alcazar de Séville, ce fut encore beaucoup d’émerveillement. Adèle et Adrien ne seront pas prêts d’oublier les jardins où ils ont joué jusqu’à la fermeture du site.
Notre séjour à Séville se termine par une promenade en calèche tirée par un cheval, petit geste de reconnaissance envers nos enfants.
Malaga
Il nous reste un jour et demi à Malaga d’où nous prendrons l’avion pour Londres. Nous commençons par aller à l’aéroport pour effectuer nos tests de covid. Manque de chance, le centre est fermé pour cause de 1er janvier. Le lendemain, la matinée est donc consacrée à cette tâche nécessaire. Il nous reste toutefois du temps pour marcher sur la plage, et les enfants ont même le courage de se baigner.
Ainsi s’achève une semaine itinérante très riche en découvertes culturelles et une parenthèse ensoleillée dans notre hiver anglais. Nous serons parvenus à ménager les intérêts des uns et des autres, et à n’utiliser que des transports en commun.