Une semaine dans l’archipel des Orcades
Pour nos deuxièmes vacances hors de Londres, nous sommes partis une semaine à la découverte de l’archipel des Orcades, ou Orkney Islands en anglais. Ces îles se situent en Ecosse, au nord de la côte septentrionale du Royaume-Uni. Avec 59° de latitude nord, elles font face au sud de la Norvège. Nous avons loué un gîte en bord de mer sur la côte sud de Mainland, la plus grande des îles. Une semaine ne fut pas trop pour arpenter toute la partie occidentale de l’île et faire une escapade sur les îles de Burray et South Ronaldsay accessibles en voiture grâce aux « barrières de Churchill », j’y reviendrai.
Le voyage
Pour nous rendre aux Orcades, nous avons dû commencer par prendre l’avion jusqu’à Aberdeen, en Ecosse. Pour faire écho aux considérations de ce blog en faveur de voyages plus éco-responsables, je précise que nous voulions réaliser cette étape en train de nuit, mais le Caledonian Sleeper était malheureusement complet plusieurs mois avant notre voyage, et ce en dépit de l’incertitude qui planait encore sur le déconfinement de l’Ecosse. En atterrissant à Aberdeen, j’ai repensé à mon premier voyage en Ecosse, alors adolescent, avec la famille de mon correspondant anglais.
A Aberdeen, nous avons embarqué pour les Orcades à bord d’un navire au nom imprononçable de la compagnie Northlink Ferries Un nom dans la veine de celui du volcan Eyjafjallajökull, si vous voyez ce que je veux dire. Pour les enfants, cette traversée avait des airs de croisière sur un paquebot. Nous avions une cabine avec des couchettes et un hublot, il y avait un restaurant, et nous sommes même allés sur le pont extérieur. Le bateau a quitté son port à 17h et était censé arriver au port de Kirkwall à 23h. Cependant juste après le départ, nous sommes passés du grand ciel bleu à un brouillard épais qui a quelque peu ralenti la traversée. Voyez-par vous même le brouillard nous tomber dessus sur cette vidéo.
Le départ pour les Orcades
Le premier jour
Notre première journée sur l’île ne fut pas la plus agréable… La nuit a été courte et le soleil se lève vers 4 heures du matin. Dans le brouillard toute la journée, nous voyions à peine la mer au bout du jardin alors qu’il y a normalement une très belle vue sur l’île de Hoy. Loin de tout commerce et n’ayant pas encore loué de voiture, nous comptions sur une livraison de courses à domicile pour notre premier déjeuner. Hélas, le livreur, en fait un bijoutier qui s’était récemment reconverti en livreur du fait de la crise du coronavirus, n’a pas trouvé notre gîte et mon téléphone ne captait pas le réseau lorsqu’il a appelé. Il n’est revenu que bien plus tard dans l’après-midi, mais on peut lui être reconnaissant de ne pas nous avoir laissé tomber ! Guider jusqu’à moi au téléphone un local dans un endroit que je ne connais pas, l’exercice m’a rappelé ma vie indienne. Malgré un vent glacial qui justifiait bien nos doudounes d’hiver en ce début de mois de juin, nous avons chaussé nos bottes pour marcher sur la grève autour de chez nous. Les odeurs, les couleurs, la variété de goémon et de varech, tout rappelle Bréhat. Mais quelle ne fut pas notre surprise de trouver une carcasse d’orque échouée sur la plage !
La vue depuis notre location, en accéléré
Une semaine en plein air
Heureusement, le reste de notre séjour s’est déroulé avec une météo très favorable. Nous avons loué une voiture et sommes partis à la journée chaque jour, pique-niquant à chaque fois au bord de la mer. Plutôt que de vous raconter ce que nous avons fait jour par jour, voici les grands thèmes de nos excursions et les principaux endroits visités.
Sur les traces des hommes du néolithique
L’île de Mainland est riche de vestiges néolithiques. Le plus remarquable d’entre eux est le site de Skara Brae. Il s’agit de l’un des plus anciens villages de l’époque que l’on puisse voir en Europe. On y voit les fondations en pierre et même une partie de l’aménagement d’une dizaine de maisons qui ont été occupées de 3100 à 2500 avant notre ère. Voyez sur la vidéo l’emplacement du foyer et des lits. Ce village doit son excellent état de conservation au fait qu’il est resté enseveli sous les dunes et la lande pendant des milliers d’années jusqu’à ce qu’une violente tempête le mette à nu. Le petit musée expose de nombreuses pièces retrouvées sur place et nous aide à nous figurer comment vivaient nos ancêtres.
Non loin de là, le Cercle de Brodgar est constitué d’une trentaine de mégalithes qui se dressent sur la lande au-dessus d’un loch. Il y a 4500 ans, on pense qu’il y en avait le double et on imagine mal par quels les techniques ces blocs massifs ont été acheminés à cet endroit puis dressés de la sorte.
Nous n’avons pas pu visiter certains autres sites fermés depuis la mise en place des mesures sanitaires.
Les « brochs » de l’âge du fer, les Pictes, et les Vikings
Les habitants des Orcades dans les derniers siècles avant Jésus-Christ ont construit des sortes de tours appelés « brochs ». Elles faisaient à la fois office d’habitation et de place forte défensive, comme les châteaux par la suite. Aujourd’hui il en reste des ruines à plusieurs endroits de l’archipel.
Le Broch de Gurness est le plus remarquable d’entre eux. Sa base est encore en bon état et il reste des traces des pièces et de l’escalier qui montait aux étages supérieurs. L’édifice était haut de huit mètres à l’origine. Les ruines de la tour sont entourées des restes d’un village qui devait compter une quarantaine de familles. On distingue un axe principal d’entrée dans le villages et des ruelles secondaires. C’est émouvant d’imaginer qu’il y a des gens qui devaient nous ressembler par bien des aspects qui ont animé ces rues. Les vestiges que l’on voit aujourd’hui témoignent des vagues d’occupation successives. A partir du Ve siècle, ce sont les Pictes qui habitaient les lieux. La présence d’une tombe viking à quelques mètres de l’entrée du village rappelle aussi les invasions qui ont suivi. Ce site fut certainement le préféré des enfants. Situé dans un paysage magnifique, nous y sommes arrivés en fin de journée et avons eu tout l’endroit pour nous. Il s’en est suivi une partie de cache-cache mémorable.
« Brough of Birsay » est autre site qui vaut le détour. Il se situe sur une petite île reliée à Mainland à marée basse. On peut traverser à pied sec sur une cale cimentée environ deux heures avant et après le bas de l’eau. Une fois sur l’île, on se retrouve au milieu des fondations d’un village d’abord picte puis viking. Il y a même un emplacement identifié comme étant les restes d’un sauna ! Le reste de l’île est un plan incliné de lande qui se termine par une falaise à pic. D’en haut, on a une vue aérienne sur les vestiges archéologiques.
Des traces des deux guerres mondiales
Au sud de Mainland se trouve Scapa Flow. Cette grande baie est encerclée de plus petites îles séparées par des détroits aux eaux profondes. Elle offre un bon abri contre les tempêtes tout en communiquant avec la Mer de Norvège, la Mer du Nord, et l’Océan Atlantique. Cela en a fait un site de prédilection pour abriter des flottes de la Royal Navy lors des deux guerres mondiales. Les Allemands le savaient bien et il a fallu défendre la côte avec des batteries d’artillerie dont on voit les restes aujourd’hui. Mais c’était sans compter sur l’audace des sous-marins allemands qui n’ont pas hésité à s’engager dans les détroits pour déposer des mines ou torpiller les navires, comme le HMS Royal Oak coulé en 1939. Suite à cet épisode, Churchill a fait renforcer les barrières naturelles par des ponts de cailloux artificiels bloquant le passage entre certaines îles. Ces « barrières de Churchill » permettent aujourd’hui de se rendre en voiture depuis Mainland sur d’autres îles, comme Lamb Holm, Burray ou South Ronaldsay où nous sommes allés.
La « chapelle italienne » et un ancien poste de défense
Sur la première d’entre elles, nous avons visité la « chapelle italienne ». Elle fut bâtie pendant la seconde guerre mondiale par les prisonniers de guerre italiens qui ont été parqués sur ce bout de terre inhospitalier pour travailler à l’édification des barrières. Le drapeau italien y est encore hissé aujourd’hui et l’église symbolise l’espoir pendant les périodes sombres.
Sur les traces des deux guerres mondiales (« barrières de Churchill à la fin)
Plages et falaises
En dépit de récentes citations dans des classements des plus belles destinations touristiques au Royaume-Uni, les Orcades n’ont pas l’air de faire rêver les Anglais. Ce fut au moins mon impression après avoir parlé autour de moi de ce projet de vacances. Et c’est visible dans les prix des locations saisonnières si l’on compare aux destinations prisées comme la Cornouailles, le Devon etc. Quelqu’un m’a dit qu’il n’imaginait pas qu’on puisse vouloir aller dans un endroit aussi désolant, au climat épouvantable, si ce n’est pas pour rendre visite à de la famille.
Les falaises de Yesnaby lors d'un soudain changement de météo
Et pourtant cet archipel est un paradis pour les amoureux de nature et de marche. Certes il faut avoir de la chance pour le temps et celui-ci change très vite, mais la côte recèle de joyaux. Il y a des plages de sable blanc aux eaux turquoises (lorsque le soleil brille !), et des falaises magnifiques où nichent des milliers d’oiseaux dont des macareux, des guillemots, et des fous de bassan. Sans parler des huitriers pies et des oies sauvages présents sur toute l’île. Dans les baies abritées on voit des phoques se baigner joyeusement ou prendre le soleil sur un rocher. Des passionnés guettent aussi les orques et les baleines.
Des phoques et le fameux macareux, entre autres
En ce qui nous concerne, nous avons fait tous les jours une marche sur l’une de ces falaises. Celles de Skail impressionnent par leurs canyons qui pénètrent profondément dans les terres. Celles de Yesnaby sont un mille-feuille géologique et montrent bien le travail de l’érosion sous nos pieds, créant des sortes de balcons sur l’océan. Les falaises de Marwick sont les préférées des oiseaux, et m’ont donné la chance de voir mon premier macareux.
Stromness, John Rae, et le mystère de l’expédition Franklin
Il nous a manqué du temps pour visiter Kirkwall et sa cathédrale St Magnus du XIIe siècle, mais nous avons passé une matinée à Stromess, la deuxième plus grande ville de l’île avec à peine plus de 2000 habitants. L’atmosphère de cette ville établie autour d’un petit port n’est pas sans rappeler celle de Paimpol. Son destin est très lié à l’histoire maritime britannique. Elle a fourni des capitaines et des marins, mais aussi un explorateur polaire admirable à bien des égards, et injustement oublié: John Rae.
Cet explorateur du milieu du 19e siècle a cartographié des milliers de kilomètres de côtes dans l’Arctique canadien. En raquettes, en traîneau, en radeau, il maîtrisait l’art de la survie dans le Grand Nord qu’il a appris en vivant avec les Inuits. Si cela nous semble aller de soi que c’est auprès des autochtones qu’on peut acquérir ces savoirs, ce n’était pas la démarche la mieux vue à l’époque victorienne. Sa plus grande découverte est celle d’un détroit, qui porte depuis son nom, et qui s’avèrera être le dernier segment du fameux Passage du Nord-Ouest. Amundsen le démontrera en l’empruntant jusqu’au bout des années après. Si ces faits sont peu connus, c’est parce que John Rae fut victime d’une campagne de dénigrement à la suite de sa mission de recherche de la malheureuse expédition Franklin.
Pour mémoire, les 129 hommes de l’HMS Erebus et de l’HMS Terror, partis à la recherche du Passage en 1845, n’avaient donné aucun signe de vie plus de trois ans après leur départ de Londres. Ils avaient d’ailleurs fait leur dernière escale dans ce port de Stromness, où l’on peut voir le puits d’eau douce où les navires faisaient le plein. Comme un certain James Cook en son temps.
En faisant des recherches sur l’Île de Roi-Guillaume, au Nunavut, Rae avait découvert une partie des corps des disparus, et un certain nombres d’éléments expliquant la tragédie. Notre explorateur avait alors réalisé deux rapports d’expédition: l’un extrêmement détaillé pour donner à l’Amirauté l’exhaustivité des éléments recueillis ; et un second, pudique ou auto-censuré, comme l’on voudra, destiné à la presse, en cette époque victorienne. Le premier rapport met en lumière non seulement des erreurs dans la préparation de l’expédition, mais il relève aussi que les derniers survivants, en proie à la faim, ont eu recours au cannibalisme. Cette dernière idée était inacceptable à l’époque… Malheureusement pour Rae, c’est son rapport complet qui fut donné à la presse. Il s’est ainsi attiré les foudres de nombreuses personnes, dont en particulier la veuve de Sir Franklin, Lady Franklin. Rae a été accusé de déshonorer des Anglais alors qu’il était évident que les vrais coupables devaient être ses amis les esquimaux… Je vous invite à lire en détail cette histoire passionnante qui a connu des avancées récentes avec la localisation des épaves. Pour moi qui avais regardé il y a quelques mois la série inspirée de l’histoire de l’expédition Franklin, ce passage à Stromness m’a apporté un autre éclairage sur les faits dramatiques qui ont suivi et le contexte de l’époque.
Lors de notre voyage de retour: le château de Dunnottar
Pour mettre à profit notre journée de transit à Aberdeen, nous sommes allés visiter les ruines de Dunottar. Il s’agit d’une forteresse médiévale à trois kilomètres de la station balnéaire de Stonehaven, elle-même accessible en train depuis Aberdeen. Bien qu’il soit chargé d’histoire, le véritable attrait de ce château est sa situation extraordinaire, perché sur un promontoire de terre surplombant la mer d’une cinquantaine de mètres.
Ainsi se termine notre premier voyage familial en Ecosse, et sûrement pas le dernier.