En quarantaine
En approche finale de Chep Lak Kok, l'aéroport international de Hong Kong (©Wong Chi Lam, voir crédits photos in fine)
Se rendre de Paris à Hong Kong n’est pas un exploit. Ce n’est plus le voyage au long cours d’Air Orient puis d’Air France, avec la « ligne Noguès » des années 1930 et ses dix-sept ou dix-huit escales [1]. Mais, en juillet 2020, cela se mérite à nouveau.
Plus de vols directs depuis quelques jours, les multiples formalités sanitaires en ont eu raison au moins pour un temps. Il faut, par exemple, gagner Amsterdam où l’on peut flâner un peu (voir le bloc-notes 2020, 20 juillet), puis rejoindre Hong Kong par KLM avec une escale technique à Bangkok pour changer d’équipage. Voyage long mais paisible : nous n’étions pas vingt passagers à bord. Cela m’a rappelé des avions vides en Asie au printemps 2003, au temps de l’épidémie de SRAS.
Il faut dire que les frontières de Hong Kong sont fermées au commun des voyageurs. Seuls sont acceptés les Hongkongais, les étrangers résidents et quelques autres qui peuvent justifier d’un motif « essentiel ». Les frontières extérieures de l’Union européenne restant largement fermées elles aussi, les vols qui ne sont pas annulés sont vides ou presque.
L’avion atterrit enfin à 18 h 30 et les choses sérieuses commencent. Les très rares passagers pourraient presque se perdre dans un aéroport désert s’ils n’étaient aussitôt pris en main par les fonctionnaires du service de santé, dix fois plus nombreux qu’eux et revêtus de leurs combinaisons de protection. L’accueil est courtois mais il est directif. Aucun voyageur ne semble regimber, on comprend vite que ce n’est ni le lieu, ni le moment. Et que la soirée sera longue.
Les formalités de santé s’enchainent donc. Les autres aussi mais elles ne prennent que quelques secondes. Très vite, le voyageur a passé au poignet le bracelet électronique qu’il conservera quatorze jours durant. Il a téléchargé l’application de géolocalisation et de traçage Stay Home Safe (居安抗疫, Jū ān kàng yì, « se protéger contre l’épidémie »), qui le surveillera nuit et jour au mètre près. La moindre transgression ou (horreur !) la rupture du bracelet enverraient aussitôt un message d’alarme à qui de droit (voir l’article de Kenji Kawase sur cette application performante et les craintes qu’elle peut susciter).
Ceci fait, une longue déambulation dans un vaste hangar proche de l’aéroport permet de recueillir l’échantillon de salive qui permettra le test en laboratoire. Il ne reste plus qu’à attendre, puis à récupérer ses bagages et à partir en car pour l’hôtel de quarantaine, à Kowloon. On y est accueilli par d’autres fonctionnaires du service de santé, en combinaison de protection comme il se doit. Les voyageurs sont bientôt consignés dans leurs chambres avec défense stricte d’en sortir : la clef est programmée pour ne fonctionner qu’une fois. Il est 23 h 30. La procédure d’arrivée a duré cinq heures.
Vue, assez glauque, de la chambre d'hôtel. L'immeuble en face évoque notre article d'avril 2012 : Sauvons les HLM de Pékin !
La matinée du lendemain est calme. Aucune sortie n’est possible bien sûr, même à l’intérieur de l’hôtel. Pas de déjeuner. A 14 heures, le verdict tombe, lapidaire: « le résultat [du test] est négatif, descendez et partez ». Il faut partir tout de suite car d’autres voyageurs arriveront ce soir à l’hôtel et les chambres devront être désinfectées. Si le test avait été positif, il aurait fallu partir aussi, mais en ambulance et pour l’hôpital. L’arrivant est muni d’un ordre de quarantaine nominatif en bonne et due forme, avec de nombreuses consignes et le rappel qu’aucune transgression – aucune sortie, si brève ou rapprochée soit-elle - ne sera tolérée. Aucune visite non plus, cela va sans dire. Les sanctions sont annoncées : six mois de prison et 25 000 HKD (2 750 €) d’amende. En comparaison, le confinement à la française avec ses attestations de déplacement dérogatoires en tous genres, l'amende de 135 € (vingt fois moins) ou la « quarantaine volontaire » pour les voyageurs font sourire.
En arrivant à l’adresse de quarantaine, un curieux rituel s’impose : activer Stay Home Safe et faire le tour du logis en moins d’une minute afin de déterminer le périmètre dont il ne faudra sortir sous aucun prétexte jusqu’à 23 h 59, le quatorzième jour. Un nouveau test devra être fait le douzième jour à domicile, en faisant porter le prélèvement vers un laboratoire agréé.
Ensuite, il n’y a plus qu’à attendre en s’occupant le mieux possible. Un collègue m’ayant aimablement prêté en son absence sa belle résidence sur le Pic, le quartier chic par excellence, j’ai conscience d’être très privilégié par rapport à tous ceux qui sont confinés dans un petit appartement, voire dans une chambre d’hôtel. Aucune sortie bien sûr, pas même dans le jardin, mais le spectacle de la forêt et de la mer de Chine. Cadre idéal pour une vie studieuse, un peu monacale mais avec beaucoup de réunions téléphoniques ou en visioconférence.
Panorama sur la forêt, la localité d'Aberdeen, et les îles du sud par temps clair, au crépuscule et pendant le passage de la dépression tropicale Sinlaku, le 1er août
Pendant ce temps hélas les mauvaises nouvelles tombent : l’épidémie revient en force. On parle ici d’une « troisième vague », minime à l'échelle du monde mais forte pour Hong Kong. Les mesures restrictives se renforcent de jour en jour. Le masque devient obligatoire dans la rue (il l’était déjà dans les lieux fermés), les restaurants ferment … puis rouvrent partiellement deux jours plus tard, tant la mesure est pénalisante pour une population qui vit littéralement au restaurant. Les terrains de sport et les plages sont fermées, les règles de quarantaine sont durcies pour ceux qui bénéficiaient d’exemptions.
Le quatorzième jour arrive enfin. Ce soir à minuit, je pourrai couper mon bracelet. Demain je serai libre. Mais de quoi faire ?
A suivre.
Crédits photos :
- En approche finale de Chep Lak Kok : photo de Wong Chi Lam, 1er mai 2020, en ligne sur www.planespotters.net, reproduite avec l’aimable autorisation de l’auteur (gratefully published courtesy of ©Wong Chi Lam).
- Carte de la ligne d’Air Orient : consulat général de France à Hong Kong, article de 2009 cité en note de bas de page.
- Dans les airs au départ d’Amsterdam-Schipol : photo © Tripadvisor, Alex A, août 2016
- Les autres photos sont de l’auteur.