Cambodge: les Temples du Nord, en Famille
Nous approchons de la fin de notre expatriation en Inde. Dans ce pays où nous croisons des dieux à chaque coin de rue, et alors que les enfants sont maintenant familiers de ses légendes les plus connues, nous n’aurons visité, en 5 ans, que peu de temples de l'Inde du Sud. Fuyant la foule et la pollution des grandes villes, nous avons souvent préféré les séjours dans la nature au tourisme culturel. Dans ce contexte, la visite de temples hindouistes hors d'Inde a paru la destination idéale pour ces avant-dernières vacances en Asie.
Nous devons tenir compte de nos jeunes compagnons de voyage dans l'élaboration du programme. Je ne trouve aucun hôtel avec jardin dans Siem Reap. Nous réservons donc une chambre dans une chaine d’hôtels, de ceux qu’Adèle et Adrien adorent pour le buffet et le grand hall mais où Diane ne peut gambader que dans les couloirs à l'étage. Nous y resterons 2 nuits, ce qui n’autorisera qu’une seule journée sur le site d’Angkor, en fin de séjour. Pour le reste, nous logerons dans un magnifique bungalow en style traditionnel khmer, à 60km à l’Est de Siem Reap, près des temples de Banteay Srei et Beng Mealea ainsi que de la montagne sacrée du Phnom Kulen. Nous ne nous permettrons qu’un seul long trajet de voiture (dangereux, sans siège-auto ni ceinture de sécurité) vers Banteay Chhmar.
Angkor Silk Farm
A peine sortis de l'aéroport de Siem Reap, le 27 décembre au matin, nous nous dirigeons vers l'Angkor Silk Farm, à 15 minutes en taxi. Alors que l'élevage des vers à soie est une activité qui a quasiment disparu au Cambodge, une association propose des visites guidées gratuites de ce site de production traditionnelle. La fabrication de la soie étant longtemps restée secrète et accompagnée de nombreuses légendes, il est fascinant d'en voir toutes les étapes se dérouler sous nos yeux. La visite commence en face des plantations de muriers. L'élevage a lieu dans une pièce située à l'étage d'une maison sur pilotis. Nous y découvrons avec intérêt une astuce efficace contre les fourmis : toutes les tables ont les pieds dans une coupelle d'eau. Nous observons l'accouplement suivi de la mort des papillons après la ponte. Les chenilles grandissent sur des feuilles de muriers dont elles se nourrissent. Elles ne sont plus élevées dans les plantations car des maladies s'y développent.
Dans la pièce suivante, des centaines de cocons sont accrochés aux mailles de grands filets. Les cocons sont dévidés dans des marmites et s'ensuivent de nombreuses opérations de tri et de bobinage. Nous entrons enfin dans l'atelier de tissage. Notre guide nous présente les techniques de coloration de la soie et d'obtention de motifs. Le tour s'achève dans un point de vente d'où les enfants rapporteront un petit éléphant en soie, souvenir d'une jolie visite.
A l’Est d’Angkor
Beng Mealea
L'histoire du temple de Beng Mealea (ce nom, moderne, signifie «mare au lotus») est méconnue. Son architecture, similaire à celle d'Angkor Wat selon les études, laisse supposer qu'il a été érigé à la même époque, c’est-à-dire au début du 12ième siècle. Selon les auteurs, il est attribué à Suryavarman II ou bien au père de Jayavarman VII, Dharanindravarman II. A la différence d'Angkor Wat, ce temple a été abandonné pendant des siècles et n'a pas été restauré; il est décrit dans le guides et les blogs comme enfoui dans la jungle.
Le 28 décembre, nous sortons du tuk-tuk qui nous conduit de notre guesthouse à Beng Mealea. Ça y est, nous y sommes! Nous pouvons admirer nos premiers nagas. Nous retrouverons ces serpents à plusieurs têtes tout au long du voyage, à l'entrée des temples comme des restaurants. Les nagas sont liés aux origines mythologiques du Cambodge. En effet, le mariage d'un brahmane ayant quitté l'Inde en bateau et d'une princesse, fille du Nagaraja, aurait donné naissance au Funan, royaume pré-angkorien (le roi naga avala toute l’eau du pays, faisant ainsi apparaître une terre cultivable.) A Beng Mealea, les corps des Nagas forment une longue balustrade en ruine, de part et d'autre de l'allée menant au temple. Nous ne verrons que plus tard, à l'entrée d'autres temples, les dieux et démons tirant le serpent qui sert de corde pour baratter la mer de lait, épisode mythologique maintes fois relu avec les enfants. Ici, ils ont disparu.
Ou peut-être en reste-t-il des blocs, parmi les grès sculptées qui jonchent le sol, à demi enfouis sous les sédiments. Adèle et Adrien tentent en vain de déterrer une pierre sculptée pendant près d'une demi-heure, en plein soleil. Une bonne façon de se rendre compte du travail titanesque des archéologues. Quand ils acceptent enfin d'avancer vers le temple lui-même, une nouvelle activité va les occuper. Adèle sort une petite pince de sa veste d'exploratrice multipoche et déloge les termites des troncs d'arbre. La mission d'Adrien est de les déposer dans un petit flacon. Diane semble heureuse d'escalader les pierres. Nous restons donc une bonne heure au milieu des ruines : arche au bord de l'écroulement, balustres de fenêtres, colonnes et autres pierres sculptées à même le sol.
Thibaut qui est allé plus avant nous apprend que le site est gigantesque. Nous ne sommes qu'à une des portes (gopuram sud) d'un édifice qui comprend un sanctuaire central accompagné de son mandapa et entouré de trois enceintes concentriques renfermant encore deux bâtiments annexes. L'heure du déjeuner étant passée, nous n'obtiendrons pas des enfants de prolonger la visite. Je suis à la fois frustrée d'avoir manqué toute une partie du temple et satisfaite d'avoir laissé les enfants l'explorer à leur manière.
Banteay Srei
Après le déjeuner, nous roulons une heure en tuk-tuk dans la campagne cambodgienne pour atteindre Banteay Srei. Il s'agit d'un petit temple dédié à Shiva, construit dans du grès rose au 10ième siècle, sous les règnes de Rajendravarman II puis de Jayavarman V.
Contrairement à Beng Mealea, le site est aménagé, avec restaurant, boutiques et son Centre d'interprétation. Dans ce centre, de grands panneaux donnent des explications très complètes sur l'histoire du temple, son iconographie et son architecture. La partie historique remonte à l'indianisation des royaumes khmers au début de notre ère, c'est-à-dire la transmission, par le biais d'échanges commerciaux, d'idées religieuses et culturelles, propageant ainsi le brahmanisme puis le bouddhisme. D'autres panneaux donnent quelques codes de l'architecture sacrée de l'Inde du Sud, reprise par les Khmers. Les temples khmers, comme les temples de l'Inde du Sud, sont constitués d'une tour-sanctuaire centrale (le prasat, équivalent du cella indien) entourée de 4 tours-sanctuaires sur ses points cardinaux (ou de 8 tours-sanctuaires sur les points cardinaux et intercardinaux). Cet ensemble forme la première enceinte du temple, représentant le Mont Meru, demeure des dieux, et ses pics. Les deuxième et troisième enceintes, dont les murs représentent les chaines de montagne encerclant le mont Meru, renferment des mandapas (salles à colonnes souvent dédiées à la méditation) et des bibliothèques. On entre dans les enceintes du temple par des portes monumentales réparties aux 4 coins cardinaux, appelées gopuras. Les douves disposées autour des temples représentent l’océan cosmique qui sépare le monde des dieux de celui des hommes.
Dans le Centre d'interprétation de Banteay Srei, d'autres grands panneaux donnent aussi des clés de compréhension de l'iconographie des temples khmers avec de grandes photos de dvarapalas (gardiens des portes du temple), apsaras (danseuses célestes) ou devatas (déesses) dont le style évolue au fil des siècles. D’immenses photos des bas-reliefs représentant les scènes de la mythologie hindoue les plus reprises dans les temples khmers sont légendées. Adèle, très attentive lors de cette visite trouve même une erreur dans la légende de Shiva écrasant un démon mais affublé du nom d'une autre figure mythologique (Garuda? je ne sais plus). Bravo Adèle! Enfin, des panneaux expliquent l'histoire des découvertes successives des temples d'Angkor. Les écrits du diplomate chinois Zhou Daguan au 13ième siècle, puis ceux de missionnaires portugais au 16ième siècle ont précédé les descriptions des redécouvreurs français du 19ième siècle. Plusieurs panneaux sont dédiés à la restauration des temples par l'Ecole Française d'Extrême Orient (EFEO) et au procédé d'anastylose. Un panneau entier est consacré au vol par André Malraux de plusieurs bas-reliefs du temple de Banteay Srei.
Notre visite de ce deuxième temple contraste avec Beng Mealea. Le temple est totalement restauré et cette fois, nous identifions facilement le gopura de la troisième enceinte. Nous passons les douves et entrons dans la deuxième enceinte. Nous longeons la bibliothèque gardée par des dvarapalas qui ont la forme de Vanaras, le peuple singe du Ramayana. Nous atteignons enfin la première enceinte renfermant le sanctuaire central. Le but de notre visite est d'identifier un bas-relief du livre d'Adèle. Ce n'est pas facile car chaque pierre du temple est sculptée de scènes nombreuses et complexes de la mythologie hindoue. Nous reconnaissons Ravana à ses 10 têtes mais ne trouvons pas le bas-relief du livre. Nous sortons sur ce petit échec (et un air joyeux, chantonné par les enfants qui ont dû l'apprendre à l'école "...faily ...faily... faily") mais après une courte pause en face des douves, un regain de motivation nous fait faire demi-tour et c'est Adrien, finalement, qui trouvera Indra sur sa monture Airavata, un éléphant à trois têtes. Il est alors 17h et nous sommes seuls dans le temple.
Phnom Kulen
Le 29 décembre, nous nous rendons à Phnom Kulen, montagne sacrée très populaire. C'est ici que le royaume d'Angkor fut fondé, quand en 802, Jayavarman II se fit sacrer “souverain universel” après avoir unifié les petits royaumes khmers disparates et rivaux.
Souvent, à la montagne, Thibaut a organisé pour nous des randonnées hors des sentiers battus. Mais ici, nous suivons la foule, constituée surtout de familles cambodgiennes en week-end. En effet, nous avons lu maintes mises en garde contre les terrains minés. Notre chauffeur nous déposera successivement devant la pagode moderne bouddhiste (Wat Preah Ang Thom), à la cascade et à la rivière aux 1000 lingams. Nous ferons un tour rapide dans la pagode à cause de la foule fervente qui nous dissuadera aussi de monter jusqu'au grand Bouddha couché. A la sortie, nous remarquons des racines médicinales diverses et variées vendues par les marchands ambulants.
La petite promenade vers la cascade se fera dans les odeurs de grillades des nombreuses familles cambodgiennes installées sur les berges, pour un pique-nique. Nous nous baignerons tous, Diane comprise, au milieu de la population locale qui nage le plus souvent tout habillée. Adèle et Adrien seront assez courageux pour se laisser porter sous la cascade elle-même et profiter d'un massage sur les épaules. En l'approchant de très près, on a l'impression de se retrouver en pleine tempête, c'est assez marquant.
Après notre pause pique-nique, nous suivrons la rivière aux mille lingams sur quelques centaines de mètres. Le fond de cette rivière est sculpté de nombreux yoni et lingams. Ainsi, les eaux qui descendent vers la plaine, pour les habitants et les cultures, sont purifiées par le contact avec les sculptures religieuses. Les parents souffleront de s'être un peu éloignés de la foule mais les enfants, fatigués, abrègeront la promenade. Nous regagnons la voiture et quittons la montagne. Le grès et la latérite ayant servi à la construction des temples d’Angkor étaient extraits de carrières au sud de Phnom Kulen. Et en effet, depuis la route en latérite, nous reconnaissons ces roches affleurantes, du grès rose de Banteay srei au gris bleuté de Banteay Chhmar.
Land Mine Museum
Notre chauffeur nous dépose au Landmine Museum avant de regagner la guesthouse. Nous avons eu la chance de croiser son fondateur, Aki Ra, dont la vie donne à réfléchir. Thibaut a trouvé les mots pour l'aborder tandis que je restai incapable de lui formuler combien j'admirais sa démarche. Enfant-soldat sous Pol-Pot, puis enrôlé successivement dans les armées vietnamienne et cambodgienne, ayant posé lui-même de nombreuses mines le long de la frontière thailandaise, Aki Ra travaille maintenant à déminer les terrains de son pays. Le courage de détruire personnellement, à mains nues, plus de 50000 mines dans son pays, son musée qui permet aux touristes de prendre conscience de l'ampleur des souffrances passées et présentes, son combat contre les autorités pour que le musée survive, le refuge qu'il offre aux enfants victimes des mines, tout cela suscite beaucoup d'admiration mais ce qui m'a touché le plus, c'est le panneau d'entrée où il livre son histoire personnelle. Je trouve que c'est montrer le plus grand courage que de livrer son histoire au public, au prix des critiques et des questions récurrentes qui remuent un passé douloureux.
Adèle et Adrien ont été touchés également par ce musée. J'essaye depuis plusieurs années de leur donner des repères sur chacune des grandes périodes historiques, dans une démarche ludique, à renfort de figurines et de chasses au trésor. Je n'avais pas encore abordé le 20ième siècle par besoin de réfléchir à la façon de parler de la violence de ce siècle encore tout proche. Ce musée nous a permis d'y entrer de plein pied et a levé les réticences initiales. Trois semaines après, de retour à Chennai, nous voilà en pleine discussion autour de la seconde guerre mondiale !
Banteay Chhmar, au Nord du Cambodge
Banteay Chhmar est un village situé à 165 kilomètres au Nord-Ouest d’Angkor, près de la chaîne des Dangrek, frontière naturelle entre le Cambodge et la Thaïlande. Il n'y a pas d'hôtel dans cette région très reculée. Depuis 2007, un programme de tourisme solidaire, développé par une ONG, sensibilise les populations locales à la conservation de leur patrimoine. Quelques familles ont été formées à l'accueil des touristes chez elles. Nous logeons donc chez l'habitant, dans une maison traditionnelle sur pilotis, pour la somme de 7 euros la nuit. La salle de bain, très basique, contient une grande cuve remplie d'eau de pluie. Nos hôtes ne parlent pas un mot d'anglais. La discussion est impossible mais nous sentons que nous sommes accueillis très chaleureusement. Le dîner est copieux, pour 5 euros au total. Il sera pris, assis en tailleur devant les plats, ce qui ravit Diane qui y a accès aussi bien que nous.
Banteay Chmmar sera une parenthèse bienvenue lors d'un séjour où nous sortons d'hôtels tout confort pour visiter des temples qui semblent "hors sol". Ici, nous pourrons observer la vie quotidienne du village. Ce qui m'a marquée le plus est l'omniprésence des hamacs et de la musique (elle sera forte, dans tout le village, jusque très tard dans la nuit et elle nous réveillera dès 5h du matin). Peut-être ne prenons-nous pas assez en compte notre besoin de balancement et de musique dans nos sociétés...
Bien que le bouddhisme soit attesté en pays khmer dès le VIII ième siècle, ce n'est qu’avec Jayavarman VII, à la fin du 12ième siècle qu'il devint religion d’état. C'est sous son règne qu'a été construit le temple de Banteay Chhmar (son nom moderne signifiant "la petite citadelle"). Comme Angkor Thom, c'est un temple-cité, véritable ville fortifiée, dont une reconstitution, élaborée par Olivier Cunin, nous est montrée à l'entrée.
Eloigné du site d'Angkor, ce temple a été peu étudié et les raisons de son importance sont encore inconnues. Olivier Cunin écrit*: «Banteay Chmar ne semble pas être raccordé au réseau des grandes voies de communication du royaume. D’autre part, la région où prend place Banteay Chmar est l’une des plus inhospitalières du Cambodge (...) Seule une étude des événements historiques et des relations économiques que pouvait avoir cette ville à l’échelle territoriale serait susceptible d’apporter de nouvelles données pouvant nous éclairer sur les raisons de l’effort particulier qui fut consenti à l’égard de ce site.»
Pour nos yeux non avertis, il est impossible de reconnaitre les structures détaillées dans la reconstitution, là où nous ne voyons que ruines et tas d'éboulis. Nous prenons plaisir à nous y promener au hasard, profitant du paysage où se mêlent le minéral et le végétal. En cette fin d'après-midi, nous y sommes totalement seuls. Adèle et Adrien entrent dans une galerie et en ressortent en ayant eu "la peur de leur vie" : ils se sont fait frôler par une chauve-souris ! Ils joueront longtemps à cache-cache entre les ruines.
Nous reviendrons le lendemain, accompagnés par un guide. Il insistera sur la présence de nombreux Bouddha, mais aussi de sculptures hindoues, signe de la tolérance de Jayavarman VII, fervent bouddhiste, qui ne rejeta cependant pas l'hindouisme. Notre guide fera un lien entre cette tolérance religieuse et le grand empire unifié du roi. Ses successeurs, on le verra, auront au contraire une réaction iconoclaste... et l'empire khmer éclata. Notre guide nous expliquera pourquoi de nombreuses fenêtres ont été bouchées dans une deuxième phase de construction du temple. Malheureusement, ni Thibaut ni moi n'avons compris ce qu'il voulait dire et je n'en trouve pas d'explication sur Internet. Tout commentaire sur ce point sera bienvenu !
Notre guide nous décrira aussi les bas-reliefs de l'enceinte extérieure du temple. Certains représentent une bataille navale entre les Chams et l'armée khmer victorieuse. En effet, Jayavarman VII venait, dix ans avant la construction de Banteay Chhmar, de sauver le pays, en chassant les envahisseurs Chams. D'autres bas-reliefs décrivent des scènes de vie agricoles ou religieuses. On trouve aussi sur ce mur-enceinte deux Lokesvara (ou Avalokiteshvara, bodhisattva du Mahayana) à bras multiples, dits "irradiants", sur les 8 d'origine. On l'a remarqué, le temple est très détérioré. La première raison en est son abandon pendant 800 ans, laissant la nature reprendre ses droits (ce qui en fait également sa richesse car on y retrouve l'iconographie d'origine du bouddhisme Mahayana, dont les représentations n'ont pas été modifiées par les bouddhistes du Theravada, à partir du XIVième siècle, quand il devient dominant à Angkor). Les nombreux pillages, qui ont eu lieu encore très récemment, en constituent la deuxième raison.
Notre guide nous fera visiter également 4 temples satellites de Banteay Chhmar. Le premier est au centre d'un baray, grand réservoir d'eau construit par les Khmers Rouges sur le modèle du kolkhoze, nommé «Pol Pot Baray» ou «killing baray». Son histoire est marquée par la tragédie, comme nous le décrira notre guide, qui avait 5 ans à cette époque. Le temple au centre du baray n'a pas été restauré mais a été débroussaillé il y a peu. Notre guide nous informe qu'il n'est accessible que depuis très récemment. Nous ne voyons que des ruines, dont des bouddhas sur un linteau de porte qui semble au bord de l’écroulement.
Les trois autres temples satellites que nous visiterons sont en meilleur état. Ils présentent chacun une tour à visages, visages monumentaux dont on suppose qu'ils représentent Jayavarman VII sous les traits du Bouddha, et un mandapa. Leur petite taille nous permettra d'accéder dans la salle de cérémonie, où on observera les offrandes faites à Bouddha. Thibaut en visitera d'autres, à Angkor, mais je n’atteindrai plus le prasat central dans les visites à venir, car après avoir parcouru les enfilades de galeries formant les enceintes successives, nous devrons toujours nous diriger vers la sortie, sur l'insistance de l'un ou de l'autre des enfants.
Angkor
Preah Khan et Ta Prohm
Le 1er janvier, pour notre dernier jour au Cambodge, nous visitons enfin le site d'Angkor. Nous commençons par Preah Khan, situé à l'extrémité nord du parc archéologique. A 9h du matin, il n'y a encore que très peu de touristes. Preah Khan («l’épée sacrée» en khmer), grand temple, bien rénové, a été bâti au 12ième siècle par Jayavarman VII, sur les lieux où il livra une bataille victorieuse contre les Chams qui avaient envahi Angkor. Grand bâtisseur, ce roi dédia le temple à la mémoire de son père (comme Banteay Chhmar honore un de ses fils mort au combat et Ta Prohm est dédié à sa mère). Un grand panneau d'information remplace la stèle du temple, aujourd'hui dans un musée à Phnom Penh. On apprend que le nom ancien du temple était Jayasri, ou "victoire glorieuse". Ce n'est qu'à ce moment que nous faisons le lien entre Jayavarman, Jayashri, notre gentille maid à Delhi, et les premiers mots de l'hymne national indien que les enfants chantent à Diane depuis des mois, en guise de berceuse : "Jana gana mana adhinayaka, jaya hé". Adèle m'avait pourtant répété souvent que jaya signifiait victoire.
Nous entrons dans Preah Khan par une allée bordée de sculptures qui portaient jadis des bouddhas géants. Ils ont tous été détruits par les prêtres brahmanes lors de la réaction hindouiste sous Jayavarman VIII, selon la thèse la plus largement admise. Nous traversons ensuite les douves sur une allée bordée par les dieux et démons portant les nagas du barattage de la mer de lait. L'enceinte extérieure offre un Garuda géant, taillé dans le grès rose.
Une enfilade de galeries nous attend, où nous remarquons des niches à rishis (ascètes barbus shivaïtes, sculptés sous Jayavarman VIII après destruction des bouddhas d'origine). Elles nous mènent à la "salle aux danseuses", présentant plusieurs frises à apsaras. Les différents murs d'enceinte sont séparés par de grands espaces, qui abritaient une véritable ville, construite en bois, dont il ne reste plus rien aujourd'hui. J'arrête ma visite avec les enfants en face d'un grand fromager dont les racines étranglent la galerie sous-jacente, comme annonçant la temple suivant : Ta Prohm.
Ta Prohm est un temple recouvert par la végétation. Nous avions déjà pu voir les racines immenses des figuiers étrangleurs et des fromagers s'incruster entre les pierres de Banteay Chhmar ou couvrir une structure de Preah Khan. Mais c'est ici que c'est le plus impressionnant. Et pour cause, cette symbiose entre minéral et végétal a été délibérément conservée par l'EFEO pour nous donner un aperçu des temples tels qu'ils étaient lors de leur redécouverte au 19ième siècle. Cependant, l'ambiance n'y est plus. Ta Prohm est le premier temple de notre séjour que nous visiterons au milieu de hordes de touristes. Il sera particulièrement pénible de porter Diane dans la foule de ce temple car il nous faut tous suivre le même chemin balisé et étroit. Heureusement, l'affluence nous gênera moins dans les deux temples les plus visités d'Angkor : les immenses Angkor Thom et Angkor Wat.
Angkor Thom et Angkor Wat
Nous ne nous attarderons cependant pas à Angkor Thom car les enfants fatiguent, en cette fin de matinée. De l'extérieur, nous pouvons admirer le temple-montagne (alors que les 3 édifices de Jayavarman VII déjà visités étaient des temples à plat) et nous ne manquons pas, bien sûr, les énigmatiques tours à visages. Nous ferons un tour rapide à l'intérieur du temple-cité. Revigorés par la pause-déjeuner, nous ferons ensuite une belle visite, très enthousiaste, des galeries d'Angkor Wat.
Ce temple, dédié à Vishnou, a été construit au début du 12ième siècle, sous le règne de Suryavarman II. Les galeries de l'enceinte extérieure sont décorées de bas-reliefs évoquant différents épisodes de la mythologie hindoue. Les enfants ont plusieurs livres, très bien illustrés, relatant des épisodes du Mahabharata et du Ramayana. Ils connaissent également très bien les principaux dieux, leurs attributs et leur monture, les démons et héros de la mythologie hindoue grâce à un jeu des 7 familles qui a beaucoup de succès chez nous.
Nous sommes donc restés longtemps à reconnaitre les principales figures des bas-reliefs des huit galeries du mur-enceinte extérieur. Elles évoquent successivement la bataille de Kurukshetra, les armées de Suryavarman II, le paradis et l'enfer, le barattage de la mer de lait, la victoire de Krishna sur Bana, la victoire de Vishnou sur les démons et enfin, la bataille de Lanka. De façon inattendue, sachant qu’Angkor Wat accueille 2,5 millions de visiteurs par an, nous serons absolument seuls, en plein après-midi, dans les galeries nord de l'enceinte extérieure. Notre longue journée de visite s'achèvera devant ces bas-reliefs. Seul Thibaut pourra faire un tour rapide à l'intérieur de l’enceinte dans laquelle se concentrent tous les visiteurs. Nous rentrons à l'hôtel, pour nous préparer à la sortie qui restera le moment des vacances préféré des enfants : le cirque de Siem Reap.
En une semaine de visite, nous n'aurons fait qu'effleurer la culture khmer bien sûr. Cela suffit néanmoins à ouvrir chez nous une nouvelle fenêtre d'intérêt. Lors de notre prochaine visite au musée Guimet, les enfants lui trouveront peut-être un intérêt autre que celui de se trouver juste en face de la sortie de métro!
* Citation tirée du travail de thèse suivant : "De Ta Prohm au Bayon : analyse comparative des principaux monuments du style du Bayon", Olivier Cunin, 2004