Une semaine à vélo dans l’Himalaya Indien: le Col de Sach et la Vallée de Pangi

Publié le par Ding Thibaut

Cela faisait des années que je pensais à une ascension du col de Sach lors d’un voyage à VTT. Mais j’ai beau avoir plusieurs cols au-dessus de 5000m à mon actif, cet itinéraire, nettement moins haut, se profilait comme un défi de taille. Je l’avais compris tout de suite en 2016 lorsqu’une collègue de Delhi m’avait envoyé un lien vers la page dédié à cette route sur le site spécialisé dangerousroads.com. Il ne s’agissait en fait pas tant de danger, du moins en vélo, que de difficulté physique, technique, mentale, et logistique. J’ai relevé le défi cette année en septembre, la dernière fenêtre possible avant l’hiver et avant notre départ d’Inde prévu en juin prochain.

Première journée: de Chennai à Chamba via Amritsar

Après une escale à Bombay, j’atterris à l’aéroport d’Amritsar en milieu d’après-midi. Le dépaysement est complet. En dépit de l’heure avancée et des 6 heures de route qui nous attendent, mon chauffeur accepte un détour par le célèbreTemple d’Or. C’est la Mecque des Sikhs, et c’est d’ailleurs ce qui vaut à l’aéroport d’Amritsar son statut d’aéroport international. Les pèlerins arrivent de Londres, Vancouver, Sydney… L’avenue qui mène au temple est piétonne: pèlerins et touristes s’y mélangent au milieu d’innombrables boutiques. Les rabatteurs apostrophent les passants à coups de  « Wagha Border !  Sir, want to go Wagha Border ?». Et oui, ici on se rend au poste frontière Inde / Pakistan comme à une attraction touristique.

Centre-ville d'AmritsarCentre-ville d'AmritsarCentre-ville d'Amritsar

Centre-ville d'Amritsar

Le Temple d’Or est ouvert aux voyageurs venus des quatre coins du monde comme le symbolisent ses quatre entrées. Les touristes entrent ici comme les pèlerins, il n’y a pas de ticket d’entrée ou de parcours spécial. Tout est si bien organisé qu’on n’attend jamais malgré les milliers de visiteurs. Consigne à chaussures, prêt d’un foulard pour se couvrir les cheveux, tapis au sol pour ne pas se bruler la plante des pieds… Si le toit doré impressionne le visiteur, le temple est grandiose par bien d’autres aspects: son immensité, ses sols et ses murs en marbre incrustés de pierres précieuses, la pièce d’eau au milieu. Les Sikhs vivent ici une expérience spirituelle intense. Par une sorte de contagion, une grande sérénité imprègne l’atmosphère du temple. Une fois ressorti après en avoir fait le tour, l’agitation du dehors reprend le dessus brutalement, un peu comme si le temps s’était arrêté et reprenait.

Le Temple d'Or d'Amritsar
Le Temple d'Or d'Amritsar
Le Temple d'Or d'Amritsar

Le Temple d'Or d'Amritsar

Quelques heures plus tard, le soleil se couche sur les contreforts de l’Himalaya. On peut éteindre l’air conditionné et rouler fenêtres ouvertes pour profiter de la fraîcheur. Nous passons tout près de Dalhousie et de Khajjiar où nous avions passé quelques jours avec les enfants en 2015. J’arrive à Chamba vers dix heures du soir. L’aventure peut commencer.

De Chamba à Tissa

Ma première étape, de Chamba au hameau de Tissa, devait ainsi être une mise en jambe sans grande difficulté. Malheureusement, je saisis mal l’indication d’un passant à la sortie de Chamba. Je m’engage sur la mauvaise rive de la rivière. Après plus d’une heure de montée, je suis bon pour redescendre à Chamba et tout recommencer. Si le gain d’altitude de la journée est faible, j’ai franchi quatre cols successifs. La nuit tombe lorsque j’arrive à Tissa. 

L’homme qui tient l’hôtel a du mal à croire que je sois venu en vélo de Chamba. Il ajoute que le col de Sach ne peut pas être atteint à vélo. Il tient un des seuls hôtels du coin et n’a jamais vu de cycliste par ici. C’est trop loin, très en pente, et c’est « off-road » sur 35km. Il mentionne néanmoins un dhaba tent entre ici et le col, et un autre 10km après le col. Les dhabas sont des petits commerces de bord de route où les routiers s’arrêtent boire du thé ou manger une Maggi Noodles. Dans les zones reculées sans village, les dhabas ont souvent quelques matelas sous une toile pour qui aurait besoin d’y passer la nuit. Ne transportant pas de tente, c’est une information précieuse qui me permet de me lancer dans la montée avec un point de repli si je n’atteins pas le col, et un point de chute de l’autre côté si je l’atteins. En théorie…

De Chamba à TissaDe Chamba à TissaDe Chamba à Tissa

De Chamba à Tissa

La montée du Col de Sach: le Jour J

Il fait encore nuit lorsque je me lève vers 5h30. Le personnel de l’hôtel n’a pas tenu parole: personne n’est là pour m’ouvrir la porte derrière laquelle se trouve mon vélo. Etant le seul client, je ne me gêne pas pour frapper à toutes les portes jusqu’à réveiller quelqu’un. Il est six heures passées de quelques minutes quand je donne mes premiers coups de pédale. 3000m de dénivelé ce n’est « que » deux fois le Ventoux depuis Bédouin, ce qui  représenterait à peine plus de quatre heures avec un vélo modérément chargé comme le mien. Pourtant, et alors que le soleil n’est pas encore levé, j’ai le sentiment d’être déjà en retard. C’est que je suis parfaitement conscient que cela n’aura pas grand chose à voir avec des montées au Ventoux.

L’étape commence par un premier col à 1650m et des montagnes russes, suivis d’une descente qui ramène sous l’altitude de départ de 1500m. C’est au douzième kilomètre que l’ascension commence véritablement. Pendant encore une dizaine de kilomètres je bénéficie d’une route bitumée. Je m’autorise une courte pause pour manger trois chapatis en guise de petit-déjeuner. Peu après, la route laisse place à la piste. J’ai déjà rencontré cette configuration de piste il y a quelques années au col de Chanshal. Dans chaque section pentue, des pierres ont été aux trois-quarts enfoncées dans le sable pour donner prise aux pneus des camions. A chaque tour de roue, le pneu de mon vélo vient butter dessus.

La montée au Col de SachLa montée au Col de Sach

La montée au Col de Sach

Cela reste un plaisir de rouler au milieu de la forêt de pins. Non seulement ils me protègent du soleil de midi, mais en plus ils dégagent des effluves que j’associe à une belle journée d’été au Revest. Vers 3200m d’altitude, la forêt laisse place aux alpages. Plusieurs torrents traversent la piste. Leur débit est faible en cette saison. Je fais mes voyages à cette époque de l’année précisément pour cela. Les heures passent et je pédale sans relâche, il faut tenir le rythme  comme si j’étais en course. Car aujourd’hui est bien un jour de course.  Une course contre la nuit. Vers 3600m, la végétation disparaît. Je me rapproche doucement du plafond nuageux. Seul au monde dans un paysage minéral désolé, je ne vois que 20 mètres de la piste devant moi. 

La nuit tombe et il commence à faire froid. Je suis en selle depuis plus de dix heures et mes forces baissent tandis que l'oxygène se raréfie. Je garde confiance car je ne suis pas ici par hasard, je peux compter sur mon expérience et ma préparation. Il n’y a aucun danger objectif, seulement une succession de difficultés à franchir une à une. Je me concentre sur l’instant présent, c’est à dire la piste et la gestion de l’effort. Je prends de plus en plus de micro-pauses pour reprendre mon souffle, et je m’efforce de boire et manger régulièrement.

Une semaine à vélo dans l’Himalaya Indien: le Col de Sach et la Vallée de PangiUne semaine à vélo dans l’Himalaya Indien: le Col de Sach et la Vallée de Pangi

Soudain, peu après avoir passé la barre des 4000m, j'émerge de la mer de nuages. Elle est teintée des couleurs rouges et orangées du coucher de soleil. L'instant est beau mais fugace. L’obscurité de la nuit prend le dessus. Cela fait plus de douze heures que je suis parti, et je n’y suis pas allé à l’économie. Je continue inlassablement, analysant méthodiquement chaque élément du terrain pour trouver la trajectoire la moins dure. Les étoiles s'allument, la voie lactée apparaît. Les névés de part et d’autre de la piste sont de plus en plus épais.  L’altimètre annonce la bonne nouvelle: d’un coup, c’est le plat et la silhouette d’un petit temple: ça y est, j'y suis ! Sach Pass, 4430m.

Une nuit au col de Sach

l ne semble pas raisonnable d’entamer la descente de nuit, même si le dhaba tent n’est qu’à dix kilomètres. En cherchant un coin propice pour dormir à la belle étoile, je repère une petite cahute jouxtant le temple. La porte est fermée, mais pas à clef. Alors j’entre, comme Boucle d’Or. Il n’y a personne dans les parages. C’est un petit dhaba avec une gazinière, des paquets de chips et de Maggi Noodles. Il y a même des braises encore chaudes dans un coin de la pièce. Je parviens à allumer le gaz et me prépare une soupe chaude. Pendant ce temps, un véhicule arrive. Le conducteur me conforte dans mon idée de passer la nuit ici et reprend sa route. Aussi, je pousse ici et là quelques affaires, déploie un tapis trouvé dans un coin et installe mon duvet près des braises.

J’aurai une première visite vers 2h ou 3h du matin. Les deux routiers qui débarquent en pleine nuit n’ont même pas l’air surpris de me trouver là et ils me préparent du thé, entamant la conversation en anglais. Vers 4h30 du matin, c’est le propriétaire du dhaba qui arrive. Il est désolé pour moi que je ne sois pas mieux installé et il me dégotte un vieux matelas coincé dans la charpente. Puis il sort écouter la radio dehors pour me laisser finir ma nuit tranquillement. Au lever du jour, il me sert du thé et nous nous quittons. Il refuse catégoriquement que je paie plus que les 100 roupies correspondant à l’eau et la nourriture que j’ai prises.

Vue depuis le Col de Sach
Vue depuis le Col de Sach

Vue depuis le Col de Sach

La descente du col et la montée sur Killar

Le versant nord-est du col de Sach est encore plus rude que celui par lequel je suis monté. Au départ, la piste est entourée de gros blocs de vieille neige dégoulinante. Les lacets sont très serrés et la pente si forte que je me demande comment les camions réussissent à monter. Je freine très fort et de manière continue pour ne jamais dépasser les 10-15 km/h. Il me faut une bonne heure pour arriver au dhaba tent où j’aurais aimé arriver hier. J’y prends une omelette et retrouve les motards d’Amritsar qui m’ont doublé la veille. Avec leurs belles Royal Enfields, ils roulent à 15 km/h de moyenne sur ce terrain qu’ils connaissent bien. Comme ils prennent leur temps pour partir et font des arrêts en chemin, nous nous croiserons plusieurs fois cette journée et les suivantes. C’est l’histoire du lièvre et de la tortue en somme.

La descente du Col de SachLa descente du Col de Sach
La descente du Col de SachLa descente du Col de Sach

La descente du Col de Sach

La suite de la descente est vertigineuse. La piste a été taillée dans la falaise à coup de dynamite et il n’y a aucune glissière de sécurité, ni quoi que ce soit qui s’en rapproche. Je me sens plus en sécurité sur mon vélo que si j’étais dans une voiture. Je freine tellement qu’à mi-descente je dois m’arrêter pour resserrer les freins. Les patins de freins, changés à neuf avant le départ, finiront tout juste le voyage. Je retrouve progressivement la chaleur et la végétation. A partir de l’entrée dans la forêt, la piste devient très sableuse, mais il n’y a plus de précipice. La gorge étroite dans laquelle je roule depuis le matin finit par s’évaser à l’endroit où le torrent venant du col de Sach se jette dans la rivière Chenab. J’arrive ainsi à un pont qui marque la fin de la descente. Altitude: 2100m. Reste à monter sur Killar, environ 500m plus haut, aux heures les plus chaudes.

La montée sur KillarLa montée sur KillarLa montée sur Killar

La montée sur Killar

En six heures de descente, je n'ai pas trouvé d'eau aisément accessible. Le soleil, l'effort de la montée, la poussière de la piste dessèchent la gorge. Au moment où j'allais attaquer ma réserve de sécurité, volontairement enfouie au fond de mes sacoches, j'aperçois des ouvriers sur le bord de la route. J'ai soif et ils m'offrent de quoi boire à volonté. Une eau si pure et si fraîche que je me moque qu'elle soit conservée dans un vieux pot de peinture. J'allais reprendre mon ascension quand ils me tendent une assiette avec du riz et du mixed dhal. Ils m'invitent à m'asseoir à l'ombre des pins et à partager leur repas. Grâce à cette pause, je termine confortablement la journée.

Dans la vallée de Pangi

J’ignore les limites géographiques de ce qu’on appelle la Pangi Valley. S’il s’agit comme je le crois de la section Killar - Udaipur, il faudrait mieux parler des gorges de la rivière Chenab. Parfois la piste « survole » des belles combes boisées. Lorsqu’elles sont traversées par un torrent d’eau bleu foncé, on se croirait dans une photo « photoshopée ». Mais bien souvent, la piste est au flanc de la falaise qui plonge directement dans la rivière et il n’y a pas de vallée proprement dite. C’est une route réputée pour ses passages vertigineux, comme celle de Kinnaur. Contrairement à cette dernière, elle n’est pas bitumée. Cela fait une grosse différence quand on voyage à vélo.

Mon étape, qui s’annonçait déjà compliquée sur le papier, se déroule moins bien que prévu. Pour une raison que j’ignore alors, ma chaîne se bloque brutalement au-delà d’une certaine force de pédalage. C’est donc, à chaque fois, en plein effort de montée que mon pédalier se bloque et que je dois détacher ma chaussure de la pédale pour mettre pied à terre. Repartir sans élan est un exercice difficile, et c’est bien souvent pour me retrouver bloqué de nouveau après quelques coups de pédale. J’essaie tous les réglages possibles sur mon dérailleur, mais rien n’y fait. Parti vers 7h00 le matin, j’ai fait moins de la moitié du parcours à 13h00. Je me résous à accepter cette défaillance technique pour ne pas perdre plus de temps, mais c’est nerveusement éprouvant. J’en suis parfois réduit à pousser mon vélo alors que je serais passé sans problème en temps normal.

Pangi Valley
Pangi Valley
Pangi Valley

Pangi Valley

En fin de journée, après avoir déjà franchi de nombreux cours d'eau, je me retrouve face à un torrent qui ne paraît pas franchissable à vélo. Retirer les sacoches et les chaussures prend encore du temps. Je m’apprête à passer à guet sans le vélo dans un premier temps. Sur ce, arrive une voiture. Un homme descend, et me sourit. Spontanément, il prend mon vélo et traverse le torrent avec, en mouillant son pantalon jusqu’au-dessus du genou. Je le suis en portant mes sacoches. L’eau glacée mord les pieds, et le courant est fort. L'homme me tend un bras et m'aide à passer. Le temps que j'en finisse, il est déjà remonté dans sa voiture. Une fois de plus, les habitants de l’Himachal se montrent donc particulièrement bienveillants.

Quelques heures plus tard, je suis toujours sur la piste, plongé dans la nuit, à la lumière de ma lampe. Roulant à 5km/h, je suis encore à 1h30 d’Udaipur, ma destination initiale, quand j’aperçois des lumières, pas si lointaines. J'arrive dans un petit village, nommé Margaraon. J’ai mis plus de douze heures à parcourir 75km. Je frappe à la première porte pour demander s'il y a un homestay. Il n'y en a pas, mais le père de famille m'offre l’hospitalité, si l'inconfort de sa maison n'est pas un problème pour moi. Murs de terre, absence d'eau courante et de toilettes, ce cultivateur de pommes de terre se dit lui-même très pauvre, ce qui ne l’empêche pas d’être très généreux. Il vit ici avec sa famille élargie, soit 6-8 personnes dont 4 enfants. J’aurai un très bon repas avec de la viande de mouton et une place dans la chambre la plus chaude.

Je ne suis pas prêt d’oublier l’accueil chaleureux qui m’a été fait cette nuit là. Pourtant, j’ai commis un faux-pas le lendemain matin en insistant pour laisser de l’argent. Je pensais que le refus était une forme de politesse, mais ce n’était pas le cas, et le frère de mon hôte a qualifié mon geste de « not good » avec un air malheureusement sincère. Je me suis renseigné par la suite auprès de quelqu’un qui connait bien ces communautés. Il m’a confirmé que mon  obstination a vouloir payer a dû être perçu comme un refus de vouloir être un des leurs, un refus de recevoir la solidarité qui permet à ces gens de tenir dans des endroits aussi reculés. Une manière de dire «j’ai payé ma dette, nous n’avons plus rien à nous dire ». Notons au passage que mes hôtes parlent une langue qui n’est comprise que dans ce village et dans celui de la vallée adjacente. Pas même à Udaipur située à 5 km. J’estime donc qu’il y a moins d’une centaine de personnes qui la parlent.

De Udaipur à Sissu, dans le district de Lahaul

Arriver à Udaipur revêt un sens particulier pour moi puisque cela me ramène sur les traces de mon premier voyage en Inde en 2006. Je pense particulièrement à mon frère. « Clément est venu ici », me dis-je. Udaipur marque la fin de la piste et le début de la route goudronnée, c’est un grand soulagement. J’ai 73km à parcourir aujourd’hui et je sais que je mettrai deux fois moins de temps qu’hier. C’est agréable de pouvoir prendre son temps ! Peu après le déjeuner, je retrouve la Leh-Manali Highway, près de Keylong. En 2016 je l’avais empruntée dans l’autre sens avec le même vélo pour aller au Zanskar. La route est très empruntée par les camions. Elle est suffisamment large et les camions suffisamment lents pour que ce ne soit pas dangereux, mais il faut subir les gaz d’échappement de leur vieux moteur. Je déconseille pour cette raison cet itinéraire à vélo, même si c’est le plus populaire parmi les cyclotouristes de l’Himalaya indien.

La maison où j'ai dormi à Margaraon ; la vallée d'UdaipurLa maison où j'ai dormi à Margaraon ; la vallée d'UdaipurLa maison où j'ai dormi à Margaraon ; la vallée d'Udaipur

La maison où j'ai dormi à Margaraon ; la vallée d'Udaipur

Arrivé de bonne heure à Sissu, 3100m d’altitude, je me décide à démonter complètement mon dérailleur pour comprendre ce mal mystérieux qui me bride et m’use les nerfs depuis deux étapes. Je finis par trouver la cause: une petite vis difficilement accessible de l’extérieur est complètement desserrée, affectant la tension de la chaîne. C’est probablement sous les chocs répétés de la descente du col de Sach. Après quelques tests, le problème semble résolu et c’est serein que je me lancerai dans les dernières pentes de mon voyage, le col du Rothang.

La montée du Rothang

La montée du col commence véritablement à Khoksar, à 20km du sommet. Passé le checkpoint qui m’avait valu quelques ennuis en 2016, les lacets s’enchaînent à flanc de montagne. Au loin, j’aperçois une piste qui serpente dans une belle vallée verte traversée par un torrent. C’est la vallée du Spiti et la piste par laquelle j’avais retrouvé le col du Rothang au terme du voyage à vélo de 2015.

La sortie du tunnel qui sera prochainement inauguré, et les lacets de la route actuelleLa sortie du tunnel qui sera prochainement inauguré, et les lacets de la route actuelle

La sortie du tunnel qui sera prochainement inauguré, et les lacets de la route actuelle

Alors que je savourais de monter à bon rythme, grâce à une route impeccable, avec une météo agréable, la situation se dégrade en l’espace de quelques minutes. D’un coup la route toute neuve laisse la place à une piste infâme massacrée par les camions et les intempéries. Je me raccroche un instant au fait que mon dérailleur est réparé, quand à ma grande stupeur ma chaîne se bloque. Au même moment des rafales de vent glaciales préfigurent un changement de météo et soulèvent la poussière, comme si les camions n’y suffisaient pas. Je retire mes gants pour essayer d’atteindre la vis que j’avais resserrée la veille. Je réalise qu’elle est de nouveau desserrée… ce qui n’est pas normal du tout. En réalité, quelque chose s’est cassé et je ne peux pas maintenir la chaîne assez tendue.

J’essaie de « faire avec », mais la piste est trop raide pour pouvoir avancer en pédalant « en douceur ». Je m’arrête une dizaine de fois en deux kilomètres pour tenter toutes sortes de bricolages. Je cherche d’abord des petits graviers à caler dans un interstice tel une vis de butée. Mais ils s’éjectent aux premiers chocs de la piste… Je trouve un bout de pneu dans lequel je taille une pièce avec mon Opinel. Tout ça au bord d’un flot continu de camions et pendant que la météo se dégrade. Il n’y a rien d’autre à faire que de pédaler le plus doucement possible et de pousser mon vélo lorsque qu’il n’y a pas d’autre solution.

Fort heureusement, je finis par retrouver une surface goudronnée. Encore mieux,  la circulation est interrompue à cause du goudronnage de la route. Je suis autorisé à passer sur le côté et dépasse donc tous les camions à l’arrêt qui m’avaient doublé plus tôt. Je continue lentement mais sûrement ma progression vers le col, obnubilé par les mouvements de ma chaîne. Vers 3700m d’altitude, je me retrouve dans les nuages et sous la pluie. Je commence à voir les fameux touristes du Rothang, des Indiens en combinaison de ski de location, sûrement des stocks d’Europe des années 1980, avec des bottes en caoutchouc quand ce n’est pas des tongs. A l’approche du col, ils sont très nombreux à chercher quelques restes de neige grisâtre. C’est ce qu’ont dû leur vendre les tours opérateurs, « voir et toucher de la neige ». Cette activité amène des centaines si ce n’est des milliers de voitures de tourisme ici chaque jour.

La descente du col

J’aperçois sur la gauche de la route la borne jaune qui signale que je suis arrivé au col, à 3978m. C’est là que Papa m’a pris en photo à mon arrivée en rollers en 2016. Il pleut trop pour m’arrêter aujourd’hui et la visibilité est d’une vingtaine de mètres seulement. Je m’engouffre dans la descente, avec l’espoir de retrouver le beau temps un peu plus bas. Je n’échappe toutefois pas à un arrêt pour enfiler tous mes vêtements les plus chauds et étanches. Avoir le bon matériel au bon moment est une chose indispensable dans ces voyages, et cela se fait au prix de longues tergiversations au moment de faire les bagages: poids et volume, versus probabilité d’en avoir besoin et inconvénient de ne pas l’avoir.

La route a subi beaucoup de glissements de terrain récemment. Cette descente de 51km que je réalise pour la deuxième fois en quatre ans se traduit par un enchaînement interminable de passages à travers la boue et les flaques d’eau et de sections en bon état très roulantes (plus de 70km/h si je lâche les freins). Le brouillard se dissipe peu à peu et la végétation se développe. 3500m…3000m…2500m… Freiner pendant des heures finit par faire mal aux mains, au cou, au dos. Mais la fin de mon périple est au bout de cette descente.
 

J’atteins Manali dans l’après-midi. Le centre ville est hideux, pollué et bruyant, la circulation est chaotique. Après une semaine loin de tout, ça fait un choc. Seul réconfort, il y a un grand choix de restaurants et je m’offre une truite grillée, accompagnée d’une bouteille de cidre. Je remonte finalement sur mon vélo pour aller à la gare des bus en bas de la ville. Malgré l’Himalaya et la forêt en arrière-plan, une gare des bus indienne reste un endroit… peu accueillant. Le pire est certainement l’odeur: il n’y a pas de toilettes et des milliers de personnes transitent ici chaque jour avant un voyage en bus de nuit ou à leur arrivée après une nuit dans le bus. J’ai trois heures à attendre ici. Je démonte mon vélo pour le rentrer dans sa sacoche. Tous les hommes oisifs des alentours ne tardent pas à s’agglutiner en rang serrés. Heureusement, j’aime l’Inde.

Quelques rebondissements

Mon bus « AC deluxe semi-sleeper » est très confortable, mais la société qui l’exploite est douteuse. Pendant une heure ils chargent les soutes de cartons de pommes. Une fois partis, nous nous arrêtons plusieurs fois pour embarquer encore plus de pommes. Quand la soute est pleine, ils utilisent des sièges vides. Je sens le bus lourd, très lourd à chaque freinage. Vers 23h00, un homme en civil qui s’annonce de la police perquisitionne le bus et fouille trois passagers, dont moi. Il sort dehors avec mon passeport pour téléphoner… Il faut savoir que les passeports d’expatriés n’ont plus de visas, depuis un an environ car ce dernier est un document séparé reçu par email. Comme ses collègues, ce policier semble ne pas le savoir. Il finit heureusement par me le rendre. M’a-t-il pris pour un trafiquant de drogue ? Beaucoup d’étrangers viennent à Manali pour ça, en effet. Bizarrement, les deux Hollandais assis derrière moi ont le profil type des routards du hippie trail (Goa-Manali-Kathmandu). A moins que la police recherche un rebelle du Cachemire ? Là c’est indiscutablement moi qui ai la tête de l’emploi.

Le lendemain matin, vers 6h30, nous sommes dans l’Haryana à une quarantaine de kilomètres de Delhi. La police nous arrête de nouveau et fait descendre tout le monde. Cette fois-ci, c’est un problème administratif: le bus n’a pas la licence l’autorisant à transporter des touristes dans la région administrative de Delhi. Les autres passagers montent dans d’autres bus bondés. La police repart et je me retrouve seul sur l’autoroute planté là avec ma sacoche à vélo, mes bagages et un avion à prendre. Les Ubers ne viennent pas jusqu’ici, donc je n’ai d’autre choix que d’arrêter un auto-rickshaw et de négocier. Ce genre de situation, quoique banale pour un « voyageur » m’aide à réaliser la distance avec le monde de « l’expatrié » dans lequel je vis à Chennai, complètement assisté. Après quelques autres péripéties qui rallongeraient inutilement ce récit, j’atteins enfin le Terminal 2 de l’aéroport de New-Delhi où j’embarque pour Chennai. L’aventure est enfin terminée. Mes enfants m’accueillent en grande pompe le soir à la maison.

Une semaine à vélo dans l’Himalaya Indien: le Col de Sach et la Vallée de Pangi
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