A Taveuni
Au nord-est de Viti Levu, l’île principale, Taveuni est la troisième plus grande île des Fidji avec 435 km². C’est une île volcanique qui s’étire sur 42 km, en gros parallèle à la grande île de Vanua Levu dont elle n’est séparée que par le détroit de Somosomo. Encore couverte en partie de forêt malgré l’agriculture et des coupes de bois, elle culmine au Mont Uluigalau à 1 241 m. Aucune route ne la travers d’est en ouest du fait de son relief accidenté et aucune route n’en fait le tour complet. Mieux préservée que Viti Levu et Vanua levu, elle a conservé une biodiversité plus importante, avec plusieurs espèces d’oiseaux et de chauves-souris endémiques, et des récifs de corail qui attirent les plongeurs du monde entier. La partie sud de l’île a été plusieurs fois dévastée par des éruptions volcaniques et toute l’ile est régulièrement frappée par des cyclones.
En finale vers l'aérodrome de Matei, au nord de l'île; l'île de Vadiuni est visible au fond et celle de Qamen dans le lointain
Taveuni a des liens linguistiques et historiques avec Tonga (tout comme l’ile de Wallis, au nord-est), ce qui n’a pas empêché des batailles, dont celle de Wairiki en 1862. Les Européens se sont d’abord installés au sud de l’île au 19ème siècle. La population actuelle est de 9 000 habitants environ, fidjienne de souche pour les trois quarts.
La côte occidentale
De Matei, à l’extrémité nord de l’île, où se trouve l’aérodrome, la côte ouest fait face à Vanua Levu. Elle concentre la plupart des villages et des hôtels bien que les plages, et particulièrement les plages de sable blanc, soient peu nombreuses et de petite taille. Les récifs du détroit sont renommés pour la plongée.
La petite capitale, Waiyevo, se trouve à peu près à mi-chemin des deux extrémités de l’île. Elle se compose en fait de deux villages : Somosomo est un village mélanésien, siège d’une chefferie influente. Juste au sud, Naqara est surtout indo-fidjien (commerces, petit temple indien, petite mosquée).
En poursuivant vers le sud-ouest, juste après la poste et la bifurcation vers l’hôpital de Waiyevo, un point remarquable géographiquement bien que rien ne le signale : la route côtière coupe l’anti- méridien de Greenwich par 180° de longitude et 16° 47’ 37’’ de latitude sud.
Le 180ème méridien, l’anti-méridien de Greenwich.
Seuls les initiés, sur ce petit morceau de rivage à côté d’un bureau de poste, regarderont la mer vers le nord ou la montagne vers le sud en contemplant le méridien invisible qui passe ici. Le 180ème méridien, qui relie les deux pôles, est l’exact opposé du méridien de Greenwich, qui passe par l’observatoire proche de Londres et est utilisé depuis le 19ème siècle pour calculer les longitudes et fixer l’heure légale dans le monde entier (même si certaines cartes françaises font encore apparaitre le méridien de Paris).
Le monument et la chapelle de l'anti-méridien; la rainure dans le socle du monument matérialise le tracé du méridien
A quelque 300 mètres au sud et en contrehaut, près de la caserne des pompiers et du terrain de rugby de Waiyevo, un petit monument invisible de la route, contigu à un potager, signale le fameux méridien. Les touristes se font photographier sur cette ligne où l’on est ni à l’est, ni à l’ouest du monde, puisqu’à équidistance du méridien de Greenwich. Une petite chapelle de l’Assembly of God a été érigée quelques mètres plus au sud. Son autel est coupé par l’anti-méridien, les fidèles se répartissent des deux côtés. A Wayevo et au village voisin de Wairiki, la plupart des commerces s’appellent « Meridian » ou « Dateline ». On trouve à Wairiki un vieux cinéma assez connu, le « 180 Meridian ».
Si l’endroit attire les curieux et les géographes, c’est parce qu’il existe peu de points terrestres sur le 180ème méridien, alors que le méridien zéro (celui de Greenwich) traverse de nombreux pays d’Europe (dont la France) et d’Afrique. L’anti-méridien traverse pour l’essentiel les immensités du Pacifique. Au nord, il coupe la Tchoukotka, à l’extrême est de la Sibérie, zone très difficile d’accès. Dans le Pacifique, il passe à proximité de plusieurs îles mais ne coupe que trois d’entre elles, aux Fidji : Vanua Levu à son extrémité est, difficile d’accès, Rabia, en face de Taveuni, plus accessible mais peu visitée, et Taveuni. Puis plus aucune terre au sud jusqu’à l’Antarctique. Autant dire que Waiyevo est clairement l’endroit le plus accessible si l’envie vous prend un jour de poser le pied sur cette ligne où l’on n’est ni à l’est, ni à l’ouest.
Pour l’auteur de ces lignes, une longue quête prend fin ce 25 août. Toute ma vie, j’ai voulu explorer le monde et l’explorer en priorité vers l’est en battant des records successifs de longitude orientale (en dernier lieu à Funafuti – 179° 13’E - il y a deux semaines). Et aussi un peu vers l’ouest avec un record il y a quelques mois dans l’ouest de Wallis. Cette course vers l’est, digne du Capitaine Hatteras [1], qui dure depuis un demi-siècle, s’achève aujourd’hui, par 180° de longitude. Impossible d’aller plus loin vers l’est ou vers l’ouest. Il faudra trouver autre chose.
[1] : héros de Jules Verne qui avait voué sa vie à la conquête du pôle nord.
En théorie, le 180ème méridien devrait coïncider avec la ligne de changement de date, où l’on avance d’un jour en allant vers l’ouest et où l’on recule d’un jour en allant vers l’est [2]. Ce n’est plus le cas depuis longtemps : pour une raison pratique (ne pas imposer à un pays donné, tel les Fidji, de vivre à cheval sur deux jours différents) et d’autres plus psychologiques (le Roi de Tonga souhaitait être le premier à prier le Seigneur le dimanche), cette ligne a été repoussée par convention assez loin vers l’est. Elle passe, par exemple, entre Samoa et les Samoas américaines, ce qui est malcommode quand on voyage entre Apia et Pago Pago (30 minutes de vol mais 24 heures de décalage). Plusieurs pays et territoires, dont les îles orientales des Fidji, Wallis et Futuna, Samoa et Tonga, affichent une longitude occidentale puisque situées à l’est de l’anti-méridien, mais ont pour heure légale le temps universel + 12 ou 13 (et non – 11 ou 12 comme on s’y attendrait).
Il existe bien sûr aussi un anti-méridien de Paris, 2° 20’ 14’’ plus à l’est. Il passe à peu près à 180 km à l’est de Taveuni, en plein océan. Les amateurs devront se procurer un bateau.
[2] : ce changement de jour, qui complique l’existence des voyageurs et des habitants du Pacifique, est nécessaire. S’il n’avançait pas ou ne reculait pas son calendrier d’un jour, un voyageur autour du monde gagnerait ou perdrait un jour suivant le sens de son voyage et se trouverait en décalage de 24 heures en rentrant chez lui, ce qui est arrivé à un autre héros de Jules Verne (Phileas Fogg dans « le tour du monde en 80 jours »).
La route traverse ensuite le village de Wairiki et longe la mission catholique. Celle-ci est imposante par ses dimensions (bien visible d’avion quand on survole le détroit) et comporte plusieurs édifices : l’église, le presbytère et les bâtiments scolaires. Avec bien sûr un terrain de rugby à côté. L’église est remarquable avec son autel de marbre, ses vitraux français et … la quasi-absence de bancs. Il n’y en a que quelques-uns pour les personnes peu vaillantes et les étrangers. Les ouailles sont assises par terre, les jambes croisées. L’office dominical est célébré en langue locale (le dialecte de Taveuni emprunte au tongien) et les chants s’entendent de loin. Tout le monde est bien habillé et s’en retourne ensuite pour le traditionnel repas familial.
La mission catholique de Wairiki
La mission de Taveuni (implantée d’abord à Somosomo, puis à Wairiki) fut fondée par le Père mariste Breheret et le Frère Sorlin en 1851, après une tentative infructueuse de créer une mission catholique aux îles Lau, plus à l’est. Les méthodistes s’étaient établis à Somosomo de 1839 à 1847 mais avaient renoncé après huit années terribles avec des tribus guerrières pratiquant largement les meurtres rituels et le cannibalisme, au point de semer l’effroi dans toutes les Fidji. Les pères maristes connurent aussi des années difficiles après leur arrivée. Les chefs locaux firent cependant plutôt bon accueil aux missionnaires français, particulièrement le chef local Ratu Golea qui déclina pourtant de se convertir.
Une guerre entre tribus locales et tongiennes éclata en octobre 1861, sur fond de rivalités entre missionnaires catholiques et méthodistes et d’agissements du consul britannique Pritchard (plus connu en France pour ses activités à Tahiti). Cet affrontement menaça l’existence de la nouvelle mission. Ratu Golea réussit à rassembler une force nombreuse et, avec le soutien actif du Père mariste Laurent Favre, remporta une victoire décisive contre les troupes tongiennes très supérieures en nombre du chef Ma‛afu à Wairiki le 16 août 1862. Les Tongiens commandés par Wainiqolo furent massacrés à l’exception de 46 d’entre eux faits prisonniers. Le Roi de Tonga dut renoncer à toute prétention sur Taveuni. Cette bataille marqua aussi l’échec des missionnaires méthodistes mais non la fin des difficultés pour les missionnaires catholiques, la conversion en masse des partisans de Ratu Golea († 1879) ayant été toute relative.
Les choses ne s’améliorèrent qu’à la fin du 19ème siècle. Le Père Breheret dirigea la mission pendant 47 ans, jusqu’à sa mort en 1898. Le Père Terrien lui succéda avec quelques interruptions jusqu’à sa mort, en 1922. Les sœurs maristes étaient arrivées en 1882 et avaient ouvert une école de filles. L’Eglise actuelle fut construite de 1908 à1910 sous la direction du Père Bertreux, l’église initiale ayant été détruite par des cyclones successifs. La mission fut (miraculeusement ?) épargnée par la grippe espagnole qui ravagea les Fidji en 1918.
Un siècle plus tard, la mission est toujours en activité et se consacre en particulier à l’enseignement. Des sœurs maristes y sont toujours à l’œuvre.
Les principales sources sont les « notes historiques » du Père Terrien qui dirigea la mission de 1895 à 1922 (traduites en anglais et publiées en 1943) et l' « histoire de l’Eglise catholique à Fidji » du Père Deniau, vers 1887, inédite. Plus aisément accessible : la compilation du Père John Crispin parue en 2005. Sur la bataille de Wairiki et son contexte, on se reportera à l’ouvrage très documenté de John Spurway « Ma‛afu, prince of Tonga, chief of Fiji » , ANU Press.
Au-delà de Wairiki, la route n’est plus goudronnée. Elle longe la côte basaltique, toujours avec de belles vues et beaucoup de forêt, la montagne tombant dans la mer sans plaine littorale. Encore quelques villages, mais moins qu’au nord. A l’extrémité sud de l’île, le très beau lagon de Vuna, délimité par une barrière de corail en fer à cheval, est réputé pour sa faune sous-marine.
Je ne vais pas jusque-là faute de moyens de transport. L’île est quasiment morte le dimanche après-midi et je ne regagne mon logis, au nord de l’île que grâce à l’obligeance d’une patrouille de police qui me prend à son bord.
La côte orientale
La côte orientale est plus sauvage. La route cesse d’être goudronnée dès le village de Naselesele, 2 km après la pointe nord de l’île et l’aérodrome. Par temps de pluie, elle est boueuse et glissante. Tantôt elle longe la côte, en vue des îles de Viubani et Qamen, tantôt elle s’élève dans l’intérieur. La forêt domine mais les petites plaines littorales et les première collines sont cultivées, parfois très en pente : chaque famille a son potager où elle fait pousser ignames, taros, manioc, fruits et légumes. Un peu d’élevage complète cette agriculture familiale (et une station d’élevage au nord-est de l’île).
La côte est entre Naselesele et Lavena
En unissant leurs efforts, quatre communautés locales ont obtenu la création du parc naturel de Bouma, qui a mis un coup d’arrêt à l’exploitation n forestière. Un peu de tourisme, en forêt et en mer, permet aussi aux villageois de vivre. J’en profite peu car le temps s’est mis franchement à la pluie.
A Lavena, au bout de la route carrossable, on distingue à peine la côte et la montagne, noyées dans la pluie et le brouillard. Il fait froid alors qu’il faisait chaud la veille. Pas de villas construites pour les étrangers, pas d’hôtels et une population fidjienne de souche dans de petites maisons surélevées. Je rentre trempé mais heureux de cette marche dans la partie la plus authentique de l’île.