A Ovalau
Ovalau est l’ile principale de l’archipel des Lomaiviti, à Fidji. Venant de Viti Levu, la grande île où se trouve Suva, capitale du pays, la traversée en ferry vers Ovalau prend moins d’une heure, mais le dépaysement est garanti. Longue de 13 km et large de 10, Ovalau est une île accidentée qui culmine à 626 m. Une route, non goudronnée pour l’essentiel, en fait le tour et offre de très belles vues sur l’océan et les îles voisines. L’intérieur n’est accessible que par des sentiers escarpés et glissants. Un seul village, Lovoni, se trouve dans l’intérieur, jadis habité par une tribu belliqueuse. Tous les autres sont en bord de mer.
Par chance – ou par malchance, comme on voudra – l’ile, volcanique, est à peu près dépourvue de plages. Les collines basaltiques plongent directement dans la mer. Du coup, Ovalau ne compte aucun de ces resorts luxueux qui ont fait de Viti Levu et de plusieurs archipels voisins une destination touristique de réputation mondiale. A Ovalau les touristes se comptent en très petit nombre et la vie villageoise est restée préservée, y compris à Levuka, le chef-lieu de l’île (178° 47’E, 17° 41’S).
Levula au 19ème siècle (Fiji Museum); le "terrain de la cession" (de Fidji à l'Empire britannique en 1874)
Très petite capitale (4 500 habitants) certes, mais chargée d’histoire au point de figurer depuis 2013 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Reconnue dès 1789 par William Bligh (le capitaine du Bounty), visitée par Dumont d’Urville en 1838, Levuka est devenue un port actif dès 1820, fréquenté par les baleiniers européens, les chasseurs de concombres de mer et les marchands de copra. Ces Européens menaient joyeuse vie avec leurs multiples épouses fidjiennes – le prude Dumont d’Urville en fut choqué – et entraient à l’occasion en conflit avec les chefferies locales. Le grand chef Seru Epenisa Cakobau, qui était parvenu non sans mal à se faire reconnaitre comme roi des Fidji mais craignait d’entrer en conflit avec les Etats-Unis, dut se résoudre à s’allier aux Anglais : le traité de cession à l’Empire britannique fut signé le 10 octobre 1874 au hameau de Nasova. En 1970, le Prince de Galles est revenu au même endroit pour la proclamation de l’indépendance des Fidji. Mais la capitale de la colonie avait été transférée à Suva dès 1881 et Levuka, coincée entre la mer et la montagne, déclina peu à peu. En 1964, l’installation d’une conserverie de thon a stimulé l’économie locale à défaut d’embellir la ville.
Souvenirs historiques de Levuka
Bien que les incendies et les cyclones mettent le patrimoine à rude épreuve, cette histoire mouvementée a laissé des traces à Levuka : maisons de commerce de la rue principale , ancienne église avec son horloge française (elle ne fonctionne plus et il faudrait que la France s’en soucie, m’a-t-on dit …), église méthodiste de 1862, le plus ancien hôtel de Fidji (1860), le poste de police de 1920, le couvent des pères maristes qui a encore fière allure et les ruines de la loge maçonnique. Celle-ci fut détruite en 2000 par des émeutiers qui voyaient en elle l’instrument du démon.
Levuka compte deux monuments commémoratifs de la Grande Guerre : le monument aux morts avec les noms de 18 soldats britanniques tombés en Europe. Et le monument, distinct, du Fijian Labour Corps qui s’illustra sous l’impulsion du grand chef Ratu Lala Sukuna, blessé au combat dans la Légion étrangère en 1915 et qui devait devenir l’un des pères de l’indépendance.
En faisant le tour d'Ovalau au départ de Levuka, dans le sens des aiguilles d'une montre
Hors de Levuka, c’est la vie villageoise qui prévaut. De petites cultures (manioc, légumes, fruits), un peu d’élevage dans les petits espaces défrichés, et très vite la forêt qui s’élève en forte pente jusqu’aux sommets.
La nature peut être sans merci : Ovalau porte encore les stigmates du cyclone Winston qui l’a frappée le 20 février 2016 : arbres arrachés volant à l’horizontale, maisons détruites et l’épave spectaculaire d’un ferry, jeté à la côte sans pouvoir résister au vent furieux malgré ses ancres et ses moteurs. Il est toujours là, témoignage saisissant de ce qu’on appelle désormais les événements climatiques extrêmes.
En faisant le tour de l’ile, on admire le lagon et les îles voisines : Motutiki au sud-ouest, Viti Levu à l’ouest, Naigani au nord-ouest, Wakaya à l’est, Makogai et l’ilot voisin de Makodroga au nord-est. Makogai surtout, visible dans le lointain, obsède par les souvenirs poignants qui s’y rattachent.
Makogai, la léproserie du Pacifique
Un peu partout dans le Pacifique se posait au 19ème siècle la question de l’installation des lépreux, dont l’isolement sous contrainte était perçu à l’époque comme une nécessité. Après des années d’études et de tergiversations, l’ile de Makogai et l’ilot voisin de Makodroga furent choisis et acquis non sans mal par l’administration coloniale. Le choix fut fait de demander à l’évêque catholique des Fidji, Mgr Vidal, de fournir des infirmières (malgré les craintes de réactions défavorables de l’Eglise méthodiste, dominante à Fidji). En 1911, un, premier chargement de vingt lépreux dans un état pitoyable débarquait à Makogai remorqué par le ketch gouvernemental et s’installait dans un hôpital tout neuf.
Le dévouement admirable des religieuses-infirmières de la société des missionnaires de soeurs de Marie, longtemps sous la direction d’une Bretonne, sœur Marie-Agnès († 1955) et le travail remarquable du corps médical et des travailleurs de l'île permirent d’accueillir pendant 58 ans des milliers de lépreux, d’abord de Fidji, puis de toutes les possessions britanniques du Pacifique et de Nouvelle Zélande. Même avant 1948, lorsqu’aucun traitement efficace n’existait, la léproserie de Makogai sut redonner l’espoir et une raison de vivre à ceux qui avaient perdu toute espérance. Makogai était, sous la direction des religieuses, devenue une petite république multinationale produisant sa subsistance et exportant un artisanat réputé. En 1948 l’invention des sulfamides donna en quelques semaines des progrès spectaculaires et permit aux patients d’espérer leur réintégration dans des sociétés qui n’exigeaient plus leur isolement. En 1969, les derniers lépreux furent transférés dans un hôpital de Viti Levu, mettant fin à 58 ans d’une aventure humaine exceptionnelle.
(d’après Makogai, Image of Hope, Soeur Mary Stella, Lepers’ Trust Board New Zealand, 1978, réédité en 2006)
Facilement accessible par avion (12 minutes de vol) ou par bateau depuis Suva, Ovalau est à la fois une île nature et une île chargée d’histoire. Le visiteur y est accueilli avec chaleur, sans doute parce qu’il y en a peu. Marches et sorties en bateau, chants religieux à pleine voix le dimanche matin, et le spectacle glorieux du lagon et du Pacifique sous le soleil. Que demander de plus ?