Autour de l'Altaï

Publié le par Ding

Le massif de Shiveet Khairkan, dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie); il culmine au mont Khüiten (4 374 m), sur la frontière chinoise.

Le massif de Shiveet Khairkan, dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie); il culmine au mont Khüiten (4 374 m), sur la frontière chinoise.

Abstract : from Novosibirsk, Western Siberia, to Almaty, Kazakhstan, via the westernmost regions of Mongolia and Northern Xinjiang in China, around the Altai mountain range. Altai is easily accessible by the Chuysky Trakt linking the Siberian plain to the Mongolian border. Snow-capped mountains, steppes, desert and oases offer great vistas with seemingly unlimited space. Climbing Mount Malchin (13,300 ft) in the Altai Tavan Bogd Park is quite easy and allows spectacular views on the peaks and glaciers of the Mongolia - Russia - China border region. Big gap, both economic and cultural, between China's Xinjiang and the neighbouring countries.

La "piste Chuysky" (Chuysky Trakt) est, comme la route des Pamirs, l'une des routes mythiques de l'ex-URSS. Construite à partir de 1921 avec un recours important au travail des prisonniers, longue de 966 km, elle fait communiquer la plaine de Sibérie occidentale avec l'ouest de la Mongolie en franchissant le massif de l'Altaï par sa portion la plus accessible.  Jusque là, en effet, le passage n'était guère franchissable, comme l'avait reconnu Jan Potocki lors de son ambassade en Chine en 1805.
L'Altaï est ce massif montagneux culminant au mont Belukha à  4 506 m qui sépare la grande plaine sibérienne au nord du plateau désertique de Djungarie, au Xinjiang, et plus généralement de l'Asie centrale. Si les Russes sont arrivés au 18ème siècle,  les fouilles archéologiques des kourganes altaiens témoignent d'un peuplement turcophone ancien (1).
 Le voyage débute en plaine dans les villes encore bien soviétiques de Novosibirsk et Barnaul. Goudronnée et en excellent état, la route franchit après Biysk les premières collines boisées du territoire de l'Altaï, piémont altaien.

(1) le site archéologique le plus connu, mais non le seul, est celui de Pazyryk en République de l'Altaï (88° 03' E, 50° 44' N, proche de la tri-jonction Russie Chine Mongolie, 5ème au 3ème siècle avant notre ère) avec ses tombes en rondins et ses momies tatouées. Voir l'ouvrage de Clément Jacquemoud, les Altaiens, peuple turc des montagnes de Sibérie, Somogy, 2016.

A 100 km au sud-ouest de Gorno Altaïsk se trouve la grotte Denisov, célèbre depuis 2010 pour avoir révélé la présence d'une espèce humaine aujourd'hui disparue. Tout récemment, une analyse d'ADN sur un fragment d'os a révélé la présence d'une jeune fille née il y a plus de 50 000 ans d'un métissage entre néandertalien et dénisovien, voir dépêche AFP du 22 août 2018.

Gorno Altaisk et le Chuysky TraktGorno Altaisk et le Chuysky Trakt
Gorno Altaisk et le Chuysky TraktGorno Altaisk et le Chuysky Trakt

Gorno Altaisk et le Chuysky Trakt

La montagne commence à Gorno Altaïsk, chef lieu de la République de l'Altaï. Le dépaysement aussi, car Gorno Altaïsk est la première localité où les Russes sont minoritaires : Altaiens et Kazakh sont en majorité et l'on trouve, curieusement, un petit temple tibétain tout neuf.
La région qui suit, jusqu'au col Seminsky, est une belle zone de rivières et de forêts où les Russes, et des touristes ouest-européens venus en camping cars, s'adonnent au camping et à la pêche sur les rives de la rivière Katun et des lacs, dont le Teletskoie est le plus connu. A Manzherok, l'URSS organisait jadis des rencontres de jeunes pour cimenter l'amitié entre les peuples. Un peu plus au sud ont été réintroduits récemment des bisons d'Europe.

Le massif du Mont Aktru; steppe entre Kosh Agach et TashantaLe massif du Mont Aktru; steppe entre Kosh Agach et Tashanta

Le massif du Mont Aktru; steppe entre Kosh Agach et Tashanta

Bien que la route ne passe jamais en haute altitude (elle culmine au col Seminsky à 1 715 m), elle offre de belles vues sur les sommets à partir du village d'Aktash : le mont Aktru (4 044 m) et sa chaîne de montagnes enneigées deviennent visibles au sud. Ce sont les paysages de montagne qui avaient inspiré Nicolas Roerich dans sa quête artistique et spirituelle dans les années 1920. La forêt se fait clairsemée et disparaît peu à peu. On quitte la Sibérie pour l'Asie centrale.
Le dépaysement est complet à Kosh Agach,  à 885 km de Novosibirsk : à la montagne succède une steppe sans un arbre. Kosh Agach est une bourgade kazakh où seuls les noms des rues - ceux  de la periode soviétique - rappellent que l'on est encore en Russie. En réalité c'est déjà l'Asie centrale.
71 km de steppe plus loin, après le village frontalier de Tashanta,  une clôture marque la frontière. Le goudron cesse et la piste commence. Bienvenue à Tsagaannuur, première bourgade mongole.

Autour de l'Altaï
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Les aymag (provinces) de Bayan Olgii et Hovd, à l'ouest du pays, sont une Mongolie particulière, avec une heure de retard sur Oulan Bator pour bien le faire sentir. Les paysages de prairie et de steppes,  parfois de désert, évoquent le reste du pays et la Mongolie intérieure pour ceux qui la connaissent. Mais on est ici en pays kazakh plutôt que mongol. La langue et la culture sont kazakh, les yourtes sont différentes (plus grandes) et les liens familiaux et culturels sont nombreux avec le Kazakhstan malgré l'absence de contiguïté. Pas de temples ni de moines bouddhistes ici mais de petites mosquées avec leurs minces minarets à la turque. On est en Asie centrale.

Autour de l'AltaïAutour de l'Altaï
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Oulan Bator est loin : à quarante heures d'autocar d'Olgii par une route qui sera excellente quand elle sera achevée. Dès que l'on sort des quelques routes neuves,  on trouve les pistes où l'on roule lentement (30 km/h en moyenne), où l'on est secoué,  où il faut toute la science des conducteurs locaux pour s'orienter en l'absence de tout panneau et où les robustes jeeps et fourgonnettes 4x4 UAZ franchissent parfois non sans mal les fondrières. La récompense, ce sont ces paysages infinis de montagnes et de steppes, hors du temps et presque hors du monde.

Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)
Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)
Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)
Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)

Dans le parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)

Beaucoup d'éleveurs kazakh de l'ouest mongol ont conservé un mode de vie transhumant adapté de la vie nomade de naguère. Ils passent l'hiver dans leurs villages et partent vers la prairie à la belle saison. La yourte kazakh étant plus grande et plus lourde que la yourte mongole, elle voyage le plus souvent en camion, le troupeau suivant à pied. Sinon il faut disposer de quatre chameaux,  deux pour la yourte, deux pour le mobilier (pourtant réduit ) et les bagages. La yourte est chauffée par un petit poêle à bois (la bouse de vache est peu utilisée là où le bois reste abondant mais elle fait office de combustible dans les régions sans bois) et souvent éclairée par une petite lampe solaire. La moto est très répandue mais c'est à cheval qu'il faut aller chercher le troupeau dans la montagne quand la pente est trop forte.
La vie tourne largement autour du troupeau familial - chèvres,  moutons,  chevaux,  vaches, chameaux, quelques yaks.  Une fois les animaux traits,  le lait est baratté,  la crème est séparée et diverses sortes de fromages sont produites et séchées sur place. Les chevaux sont aussi utilisés pour des compétitions, notamment lors de la grande fête du Naadam, en juillet.

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La pratique de la fauconnerie s'est perpétuée avec des aigles dressés pour la chasse. Il s'agit d'une activité saisonnière, l'hiver seulement.  L'été, l'aigle procure un revenu d'appoint en se faisant admirer des visiteurs.
Une activité importante pendant l'été est la récolte de fourrage. Une fois séché,  celui-ci est transporté par camion jusqu'au village d'hivernage où il nourrira le troupeau.
La scolarité n'est pas possible sur place. Les enfants sont scolarisés plus ou moins loin et ne retrouvent leurs parents que lors des vacances de fin de semestre.
Sans être misérable, ce mode de vie reste rude avec le soin constant du cheptel et les terribles hivers mongols. Il ressemble à celui des éleveurs du plateau tibétain.

Les parcs nationaux sont nombreux dans l'ouest de la Mongolie. C'est dans l'un  d'eux,  proche de la Chine, que sont actuellement réintroduits les chevaux de Przewalski qui avaient disparu de Mongolie et avaient survécu en captivité dans des zoos de République tchèque. Le transport par avion et la réintroduction en milieu sauvage sont des opérations complexes.
Avec quelques compagnons de voyage, tchèques justement, un permis et une robuste fourgonnette 4x4 de fabrication soviétique,  j'ai pu visiter une partie du parc d'Altai Tavan Bogd, à l'extrême ouest du pays.  Cela permet :

Le lac Khoton (Khoton Nuur)Le lac Khoton (Khoton Nuur)

Le lac Khoton (Khoton Nuur)

- de randonner autour des lacs Khoton et Khurgan, lacs de steppe peu profonds, bordés à l'ouest de forêts de mélèzes ; de nombreux éleveurs s'y installent pour l'été ; plusieurs vallées permettent de s'élever vers la chaîne frontière avec la Chine;

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- de voir un  site archéologique avec ses stèles funéraires estimées à plus de 2 000 ans et ses alignements de pierres dressées dans la steppe;

Le Mont Malchin (photos 1 et 2) et le panorama vers l'ouest (photos 3 et 4)
Le Mont Malchin (photos 1 et 2) et le panorama vers l'ouest (photos 3 et 4)Le Mont Malchin (photos 1 et 2) et le panorama vers l'ouest (photos 3 et 4)
Le Mont Malchin (photos 1 et 2) et le panorama vers l'ouest (photos 3 et 4)

Le Mont Malchin (photos 1 et 2) et le panorama vers l'ouest (photos 3 et 4)

- et de gravir le mont Malchin (4 070 m), sur la frontière sino-russe, tout près du point de tri jonction Mongolie Russie Chine ; cette ascension, qui ne pose pas de vraie difficulté par beau temps, permet de prendre une vue exceptionnelle sur les deux chaînes frontalières et sur les deux glaciers qui confluent 800 m plus bas; c'est un spectacle remarquable dont il faut profiter avant que le réchauffement climatique y mette fin une fois pour toutes.
L'accès à ces sites remarquables suppose trois trajets de six heures chacun sur des pistes avec de mauvais passages. Il faut apporter vivres et couchage car aucune ressource n'est disponible dans le parc, aucune liaison téléphonique non plus.

Zone désertique et zone irriguée à l'est de la Djungarie (Xinjiang)Zone désertique et zone irriguée à l'est de la Djungarie (Xinjiang)

Zone désertique et zone irriguée à l'est de la Djungarie (Xinjiang)

L'arrivée en Chine - dans la région autonome ouighoure du Xinjiang - depuis l'ouest de la Mongolie par le poste frontière peu emprunté de Bulgan - Takeshiken apporte un dépaysement presque immédiat. Les paysages à la périphérie du bassin de Djungarie sont toujours désertiques mais les Chinois ont su irriguer des zones assez étendues,  notamment dans la vallée de l'Irtych. Après des heures de route dans un désert de rocaille,  on se trouve sans transition dans les arbres, les pâturages et les cultures. Ces déserts de Chine de l'ouest deviennent alors presque des pays de cocagne et produisent des fruits réputés dans toute la Chine.

Buerjin, Beitun, Horgas (Xinjiang)Buerjin, Beitun, Horgas (Xinjiang)Buerjin, Beitun, Horgas (Xinjiang)

Buerjin, Beitun, Horgas (Xinjiang)

Ce sont cependant les villes qui impressionnent le plus le voyageur arrivant de Russie et de Mongolie. Buerjin, Beitun, Kuitun et Yining (2) ont beau être de très petites villes à l'échelle de la Chine, à plus de 4 000 km à l'intérieur des terres, elles procurent une impression de richesse et de puissance, avec une consommation florissante et des infrastructures économiques et éducatives qui poussent en plein désert. L'écart - l'abîme - de développement entre la Chine et ses voisins, Russie comprise, donne à réfléchir.  Ce qui donne aussi à penser, il est vrai, est le niveau de sécurisation poussé à l'extrême qui fait que l'on est ici fouillé et contrôlé à longueur de journée.

(2) : j'ai délibérément évité Urumqi, capitale régionale déjà visitée en 1997 et 2013.

Almaty, KazakhstanAlmaty, Kazakhstan
Almaty, KazakhstanAlmaty, KazakhstanAlmaty, Kazakhstan

Almaty, Kazakhstan

M'éloignant de l'Altaï pour me rapprocher de la chaîne des  Tianshan,  j'ai quitté la Chine pour le Kazakhstan et ai achevé ce voyage à Almaty, ville assez plaisante où l'empreinte russe reste forte près de trente ans après l'indépendance. La statue de Lénine a été détruite et les rues ont été rebaptisées avec des noms kazakh mais l'imposant monument aux morts soviétique est toujours là et la grande mosquée coexiste avec deux cathédrales orthodoxes. Le voyageur venant de Chine retrouve dans une large mesure  le monde russe et remonte dans le temps d'un bon demi-siècle. Parti de Novosibirsk, la boucle était refermée.

*     *     *

Ce fut bien sûr un voyage d'agrément au plein sens du terme, un voyage de découverte entre les anciens empires et celui d'aujourd'hui. Ce fut aussi un voyage pratique : nous préparons pour dans quelques années un grand périple qui nous fera à nouveau traverser l'Asie en voiture, en sens inverse du Pékin Paris de 2013 - 2014. La Sibérie,  la Mongolie,  la Chine de l'ouest et le Kazakhstan sont autant de lieux de passage envisagés. Il était utile d'aller faire des repérages pratiques. A suivre.

Dans une yourte kazakh, parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)

Dans une yourte kazakh, parc d'Altai Tavan Bogd (Mongolie)

Voyez aussi le journal quotidien du voyage. Une carte figure à la fin du journal.

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