24 Heures de roller en Mongolie Intérieure
Au mois de mai dernier, j'ai eu la confirmation qu'une première course de 24 Heures de roller se tiendrait au mois d'août Chine, à Ordos, en Mongolie Intérieure. C'est la première course du genre en Asie, et il n'en existe pas beaucoup d'autres dans le monde. Les plus connues sont au Mans en France, à Calafat en Espagne, et à Montréal au Canada. Toutes s'articulent autour du même concept: patiner sur un circuit automobile pendant 24 Heures, pour réaliser le plus grand nombre de tours. La majorité des patineurs réalisent cet effort en équipe (de 10 en général). Depuis un peu plus de dix ans, des catégories "solo" et "duo" se sont développées pour les amateurs d'ultra-endurance.
En ce qui me concerne, j'ai participé aux 24 Heures du Mans deux fois en équipe et six fois en solo. Mes expériences en solo ont connu plus ou moins de succès:
- deux secondes places, dont l'une en 2012 avec 552km,
- une première place en 2014 avec 515km lors d'une édition presque intégralement sous la pluie,
- deux abandons en 2010 et 2017. Le premier pour cause de déshydratation, le second à cause d'une contracture au cou.
Les 24 Heures d'Ordos, ce sont les 24 Heures du Mans en Chine. C'est l’événement en lui-même, avec sa marque et ses spécificités, qui est reproduit là bas. L'organisateur de l'épreuve française qui connaît bien le monde du roller chinois, travaille lui-même avec l'organisation chinoise. Pour lancer cette première édition, il a fait venir à Ordos un petit contingent de participants habitués du Mans: une petite dizaine de français et deux danois. Je fais partie de ce groupe en vue de réaliser la course en solo.
Je m'engage donc pour Ordos sachant que je n'y battrai pas mon record kilométrique et que ce sera difficile. Ceci notamment parce que je ne pourrais pas compter sur d'autres patineurs solos de mon niveau pour rouler en peloton. J'ai pour objectif d'établir un premier record de l'épreuve, le plus haut possible, entre 400 et 500 km selon les conditions sur place. C'est dans ce sens que je m'entraîne les 10 semaines précédent l'épreuve, en Inde et en France le temps des vacances.
Mon voyage de Chennai à Ordos passe par Hong Kong et Pékin. J'ai décidé de passer une nuit dans la capitale chinoise pour rendre le voyage moins fatiguant (3 vols et un changement d'aéroport à Pékin) et revenir sur les lieux de mon enfance. C'est chose faire le jeudi soir juste après avoir déposé ma valise à l'hôtel, dans le quartier de Sanlitun. Je savais depuis mon précédent passage en 2010 que tout avait changé depuis mon enfance. Mais dans ma mémoire, les images de 1996-1999 ont plus de place que celles du bref passage en 2010. Aussi entre XinDong Lu et SanLiTun Lu, je me perds dans un réseau de boutiques de luxe et de restaurants. Il y a 20 ans, les marchands posaient ici à même le sol des sacs de riz, leurs babioles et vêtements de contrefaçon. Je mangeais des brochettes de mouton cuites au charbon dans la rue. Je n'ai plus aucun autre repère que le nom des rues. Je demande à quelqu'un où se situe SanLiTun DongSanJie, notre ancienne rue. Il pointe du doigt le haut d'un immeuble tout près et je reconnais instantanément notre ancien immeuble. Je n'en étais qu'à 200 m.
Notre ancienne résidence a bénéficié d'un petit coup de neuf et s'appelle maintenant officiellement « Sanlitun Diplomatic Residence Compound ». On n'y entre plus aussi facilement qu'avant. En montrant mon passeport et en mentionnant le numéro de notre ancien appartement, le garde me laisse entrer. Je ne peux m'empêcher de monter à l'étage. La cage d'escalier n'a pas changé, l'odeur est celle d'il y a 20 ans. Une fois devant la porte, je sonne tout en sachant que ça ne se fait pas, mais c'est plus fort que moi. Le résident actuel se montre très compréhensif et me fait visiter notre ancien appartement. Il est plus beau qu'à l'époque, doté d'un beau parquet. Le salon et l'ex chambre de Caroline ne font plus qu'une grande pièce de réception. Notre ancienne salle à manger est une chambre, et un grand placard encastré occupe l'emplacement qui était dédié à l'ordinateur. Quant à mon ancienne chambre, elle n'a pas changé. Je revois là où étaient mon lit, celui de Clément, mon bureau, notre aquarium, l'étagère des legos… Je finis mon tour du souvenir par un passage par l'ancien lycée français. C'est devenu une école privée internationale, mais les bâtiments n'ont pas fondamentalement changé.
Le lendemain, je suis réveillé naturellement au lever du jour. Je ne résiste pas à la tentation de chausser les rollers avant de partir à l'aéroport pour faire un petit tour au-delà de Sanlitun. Je veux renouer avec mes premières escapades à vélo. L'atmosphère de la ville est paisible, on est loin du chaos indien. La circulation automobile est bien contrôlée, et les vélos ont (de nouveau?) toute leur place. En marge des files pour les voitures, il y a comme dans mon enfance des files pour les vélos. Les vélos traditionnels chinois ont laissé place aux mêmes modèles de vélos en libre service que l'on voit dans les rues de Paris. C'est d'autant plus troublant que chez moi en Inde, le vélo de base ressemble à s'y méprendre au vélo chinois d'antan.
Vendredi après-midi, j'arrive comme prévu à Ordos. Fidèlement à la description faite par les parents (voir l'article de juin 2010 et leur journal des 9 et 10 septembre 2013), cette ville surprend par ses infrastructures démesurément grandes par rapport au peu d'habitants. Patineur que je suis, ces routes à cinq voies admirablement bitumées me donne très envie de rouler ! A ma surprise il fait presque froid, je garde mon pull à la sortie de l'avion. Nous sommes à 1300 m après tout, et il pleut. J'aurais aimé visiter le musée et en savoir plus sur la culture mongole, ou visiter le "mausolée" de Gengis Khan. Mais je dois penser avant tout à ma course : me reposer, préparer les ravitaillements. Puis direction la soirée d'ouverture avec mes compatriotes retrouvés à l'hôtel.
Nous sommes reçus selon la coutume mongole, avec des danseurs et des danseuses en costume traditionnel. La soirée se poursuit par un banquet chinois aux saveurs locales. Selon une coutume plus large, nous rencontrons tous les invités des autres tables pour partager un verre de l'amitié. J'évite soigneusement les excès à la veille de la course !
Ma course en elle-même se passe bien. J'en fais le récit détaillé ici sur le site Rollerenligne. Comme anticipé, je patine seul presque toute la course. Le circuit en forme de cheval est très ludique avec tous ses virages et chicanes, mais physique également avec deux montées qui reviennent à chaque tour. Les températures ne sont pas excessives sur le papier, mais le soleil tape dans la journée et la nuit est fraîche. Pour une raison que j'ai donc du mal à m'expliquer compte tenu de ma préparation en climat tropical et de mon expérience de l'hydratation en course, j'ai la gorge desséchée pendant presque toute la course. La boisson censée être isotonique que je bois ne m'hydrate pas assez, et j'éprouve des difficultés à boire plus. Dans ces conditions, il est quasiment impossible de manger. Ce problème m'oblige à marquer beaucoup plus d'arrêts que je ne l'aurais voulu. Seule l'interruption momentanée de l'effort permet d'arrêter ce cercle vicieux. En 24 heures d'effort, je ne réussirai à avaler que deux Pom'Potes, une demi-barre de céréales et un morceau de sandwich de 4 cm². Cette défaillance et les arrêts engendrés pèsent sur ma performance, mais ne m'empêchent pas de garder du plaisir à rouler pendant presque toute la course. Enfin, je retrouve de l'énergie dans les six dernières heures après un long passage à vide. Cette sensation de retrouver « la lumière au bout du tunnel », de voir ses forces revenir, est l'une des plus belles qu'offrent les courses d'endurance. La fin de la course, sous les encouragements du public chinois, reste aussi un magnifique souvenir. Je termine en première position avec une distance de 495km (et environ 4000m de dénivelée positive).
Ce type d'épreuve offre toujours l'expérience d'un voyage intérieur au cours duquel on a des hauts et des bas, où rien n'est jamais acquis. Le corps et l'esprit dialoguent sans cesse pour trouver un équilibre. Mais cette fois-ci, le voyage intérieur s'est conjugué à un vrai voyage dans un pays qui m'est cher. Je garderai le privilège d'avoir établi la première marque sur 24 heures à roller en Asie, et j'espère bien revenir l'améliorer moi-même.