Lettre de Vladivostok

Publié le par Ding

La Corne d'or et la ville

La Corne d'or et la ville

Tout au bout de l’Asie, on retrouve l’Europe. Après un survol de l’immensité sibérienne, après avoir longé la Mongolie et la Chine, on retrouve des forêts et des champs bien de chez nous, avec de petites maisons de bois qui évoquent la campagne russe. Puis les H.L.M. soviétiques et les lignes de trolleybus annoncent l’approche de la ville. On découvre enfin celle-ci dans un très beau site, dominant la baie de Pierre le grand. Bâtie sur des collines et surplombant le Pacifique, Vladivostok [1] est souvent comparée à San Francisco, une San Francisco du pauvre.

 

[1] : 131° 54’E, 43° 08’N, dans la région de Primorie.

 

La gare de VladivostokLa gare de Vladivostok

La gare de Vladivostok

La visite commence, comme il se doit, par la gare du Transsibérien. Après avoir beaucoup souffert des turbulences des années vingt et des dégradations bolchéviques, elle a été restaurée (un peu trop, d’ailleurs) et a retrouvé sa splendeur d’origine avec ses fresques sur les plafonds qui évoquent les premiers temps de la ville. Une superbe locomotive à vapeur, conservée à dessein, rappelle les années quarante, grande époque des chemins de fer soviétiques. « Mesdames et Messieurs, prenez votre temps, la Russie finit ici et d’ici on ne va nulle part ! » disaient jadis les cheminots aux voyageurs qui arrivaient de Moscou. Le Transsibérien roule toujours [2] : aujourd’hui, celui qui arrive de Moscou a quatre heures de retard ; c’est peu pour une distance pareille. J’assiste au départ du train pour Sovietskaia Gavan, encore plus loin et plus à l’est. La Russie ne se termine donc pas tout à fait ici [3]. Vieux wagons-couchettes avec leurs gros matelas et leurs épaisses couvertures. Embrassades entre les partants et les familles qui les accompagnent.

 

[2] : je l’ai emprunté en juillet 2011, mais de Moscou à Oulan Oude, en Bouriatie, seulement, avant de bifurquer sur la voie du Transmongolien vers Pékin ; voir l’article Paimpol Pékin, treize jours de train et le journal du rail.

 

[3] : le port de Sovietskaia Gavan (140° 17’ E, 48° 58’ N) borde  la manche de Tartarie, le détroit qui relie la mer du Japon à la mer d’Okhotsk ; c’est aussi la gare d’arrivée de la Magistrale Baïkal Amour (BAM), voie ferrée de 4 234 km qui se détache du Transsibérien à Taichet et emprunte un trajet plus au nord, jusqu’à la mer.

 

En sortant, on tombe sur la statue de Lénine, le bras tendu vers l’océan. A peu de distance, le gratte-ciel prétentieux de l’administration provinciale (la « Maison blanche ») arbore toujours la faucille et le marteau, comme beaucoup de bâtiments de la ville d’ailleurs. L’U.R.S.S. n’est pas loin derrière nous.

Le sous-marin C56

Le sous-marin C56

Les experts disent que la flotte du Pacifique rouille à quai et n’est plus guère capable de naviguer. C’est possible mais, pour le profane, elle a encore fière allure avec ses unités alignées dans le port, que l’on voit de toute la ville. Les marins à pompons et les officiers sont nombreux autour de l’état-major de ladite flotte. Un sous-marin réformé, à côté du monument aux morts, est devenu un but de promenade et les familles se photographient devant. Cette ville de garnison donne aujourd’hui une impression, peut-être trompeuse, de puissance débonnaire.

Vue sur la Corne d'Or, 1881 (E. Cotteau, ouvrage cité en note 4, p 431).

Vue sur la Corne d'Or, 1881 (E. Cotteau, ouvrage cité en note 4, p 431).

La ville eut son heure de gloire au début du siècle dernier [4]. Des maisons de commerce russes et étrangères s’installèrent au terminus du train. Vingt ou trente ans avant la grande époque de Shanghai, elles firent construire des sièges sociaux imposants dans le style « art nouveau », mi-russe mi-germanique. L’hôtel de Versailles (1909), le théâtre de la Corne d’or (du nom de la baie qui s’enfonce au cour de la ville, comme à Istanbul), la maison de commerce Kunst & Albers, avec ses façades inspirées de la mythologie allemande, évoquent cette opulence passée [5]. Cet âge d’or revit aujourd’hui dans une certaine mesure, avec les efforts des autorités locales pour repeindre les rues du centre (visite récente du Président Poutine oblige) et aménager quelques rues pour les piétons. Cet effort n’st pas de trop. La ville a en effet souffert des troubles des années vingt et des dégradations soviétiques. La période stalinienne ne lui a laissé que quelques immeubles imposants mais sans grâce, qui ne peuvent se comparer à ceux de Moscou. Base de la flotte du Pacifique grâce à son port libre de glaces toute l’année, la ville fut fermée aux étrangers de 1958 à 1992 [6]. Elle s’adapte aujourd’hui tant bien que mal à une ère nouvelle.

 

[4] : la ville avait été fondée en 1859 sur un site auparavant tenu par les Mandchous. Un voyageur français qui l’avait visitée en 1881 en donnait une description peu flatteuse : « La ville, d’une étendue considérable, plaît certainement à qui vient de l’intérieur de la Sibérie ; mais je doute qu’elle produise la même impression au voyageur arrivant d’Europe par mer. Ses maisons, toutes construites en bois, sont disséminées sur le versant méridional de hautes collines, inclinées vers la mer et coupées par de profonds ravins. De larges rues se prolongent en ligne droite, vaguement tracées, et ne tenant aucun compte des accidents de terrain. On y rencontre encore d’énormes souches, hautes d’un mètre, qu’on a négligé d’arracher ; »  et le reste à l’avenant. Edmond Cotteau, De Paris  au Japon à travers la Sibérie, deuxième édition, Paris, Hachette, 1885, p 437. La ville s’est vraiment développée à partir de 1903, lorsqu’elle a été desservie par le Transsibérien.

 

[5] : tout ceci se retrouve à 500 km au nord-ouest, dans l’ancien quartier russe de Harbin, en Mandchourie (aujourd’hui province chinoise du Heilongjiang), visitée en juillet 2010.

 

[6] : les touristes étrangers arrivant par le Transsibérien étaient à l’époque dirigés vers le port de Nakhodka, un peu plus à l’est, d’où ils pouvaient embarquer vers le Japon.

 

Lettre de Vladivostok

Mais que cette Europe du bout du monde est pauvre ! Aux portes d’une Chine partie de rien mais qui se développe à toute vitesse, Vladivostok donne l’impression de s’enfoncer. On est loin de la prospérité bien réelle de Moscou. Il y a bien des riches, très visibles avec leurs gros 4x4 japonais et leurs gardes du corps musclés, mais ils respirent l’argent sale : Vladivostok est le lieu de tous les trafics, le point de rendez-vous des mafias russes, tchétchènes et ouzbèkes qui se donnent rendez-vous pour la drogue et pour le reste. Quant au reste de la population, il vit mal. Derrière les façades repeintes, des cours de briques lépreuses. Des gens pauvrement vêtus, des hommes sans travail, de vieilles paysannes qui vendent quelques légumes ou des paires de lacets. Le petit luxe de ce samedi ensoleillé, c’est une promenade sur le port et un Coca-Cola. Les tramways bringuebalent. Les voitures sont nombreuses, au point que les embouteillages sont massifs aux heures de pointe, mais ce sont des occasions japonaises trahies par leur ligne démodée et leur volant à droite, importées dans des conditions douteuses.

A midi, sous la statue de l’Amiral Makarov [7], une petite noce sort d’un minibus fatigué. Un musicien commence un air de valse et les mariés esquissent un pas de danse en vue de la baie. On souhaite tout le bonheur possible à ces nouveaux mariés du Pacifique. Mais Vladivostok n’est plus vraiment l’Europe sans être pour autant l’Asie. A 9 288 km et sept heures d’avance sur Moscou, c’est la Russie, pour le meilleur et pour le pire. Pauvre Russie !

 

[7] : le texte initial est « statue de l’Amiral Machadov », ce qui est sans doute une transcription erronée.  Stepan Osipovitch Makarov (1849 - 1904)  est un vice-amiral russe  et un océanographe, héros de la guerre russo-japonaise, tué lors lorsque son navire amiral, le Petropavlovsk, sauta sur une mine près de Port Arthur (aujourd’hui Dalian, en Chine).

Lettre de Vladivostok

Crédits photos :

- vue de la ville : Wikitravel

- la gare : le blog d'Alinos, mai 2013; blog du bout du monde, janvier 2008;

- le sous-marin C56 : blog christelpacifik, août 2012;

- église : le blog d'Alinos, mai 2013;

- église en haut de l'escalier, blog les aventures de No et Ben, août 2016.

Avec nos remerciements à nos collègues blogueurs.

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