Lettre de Kupang

Publié le par Ding

La côte nord de Timor près de Naibonat (photo prise en mars 2016)

La côte nord de Timor près de Naibonat (photo prise en mars 2016)

Les petites îles de la Sonde sont divisées administrativement en quatre provinces : Bali ; les îles de l’ouest, Lombok et Sumbawa ; les îles de l’est aux noms évocateurs d’aventure et d’histoire : Komodo, Florès, Sumba, Solor, Alor et l’ouest de Timor ; Timor-est, enfin, est devenu la vingt-septième province d’Indonésie en 1976 .[1]

Pour qui vient de l’ouest, ces îles sont d’abord une lumière différente. Zone  de transition entre l’Asie et l’Océanie, les petites îles sont de plus en plus chaudes et de plus en plus sèches quand on va vers Timor. Finies les moiteurs et les lumières voilées de l’Asie des moussons, ici souffle le vent chaud et sec du désert australien tout proche. La lumière est crue, la mer est bleue comme un jour de mistral. Cela donne des visions superbes : couchers de soleil sur le volcan d’Adonara, où le ciel entier paraît embrasé, levers de soleil de premier jour du monde, peut-être plus beaux encore, sur la baie de Maumere et des milliers d’étoiles la nuit. Mais cet air sec a son prix : sauf au centre de Florès, il ne pleut pas assez et ces îles sont parmi les plus pauvres d’Indonésie.

Près de Kemamenanu, Timor ; Kupang (photos aériennes, mars 2016)Près de Kemamenanu, Timor ; Kupang (photos aériennes, mars 2016)

Près de Kemamenanu, Timor ; Kupang (photos aériennes, mars 2016)

L’est de Sumbawa, ou a commencé ce voyage, est peuplée de Bimanais, encore proches des Indonésiens habituels [2]. Tout change à partir de Florès : la peau fonce, le cheveu devient crépu, les traits perdent peu à peu leurs caractères asiatiques et révèlent des emprunts du Pacifique occidental. On est à la jonction de l’Asie et du monde mélanésien. Les caractères sont loin d’être homogènes : sur le marché de Maumere [3] on croise des Asiatiques incontestables et de vrais Mélanésiens qui ne dépareraient pas en Nouvelle Calédonie. Parfois on voit même un Papou absolument noir venu de Nouvelle Guinée. Tout ce monde cohabite en paix, ce qui n’est pas le moindre mérite de l’ordre indonésien.

C’est peu de dire que ces îles sont belles. Elles offrent une variété d’attraits propre à combler le voyageur le plus exigeant. En quinze jours j’ai vu les dragons de Komodo, lézards carnivores de 150 kilos venus de l’âge des dinosaures. J’ai gravi le volcan Keli Mutu de Florès, dont les trois cratères contiennent trois lacs colorés par des sels minéraux. J’ai marché sur des plages de sable blanc et d’autres de sable noir (volcanique). J’ai nagé dans des eaux si claires qu’on voyait à l’œil nu les récifs de corail. J’ai retenu mon souffle sur des routes de montagnes et de forêt, surplombant des torrents impétueux. J’ai marché de longues heures vers des villages pauvres où l’habitat est entièrement fait en feuilles de palmiers lontar et  où des autels de pierre servent encore à d’obscures cérémonies. Les femmes y tissent des étoffes ikat  réminiscentes de lointains motifs portugais du 16ème siècle. J’ai pêché – sans succès – la baleine au village de Lamalera [4], sur des baleinières assemblées sans un clou, que dix rameurs propulsent en chantant sur la mer de Savu.

J’ai découvert enfin la seule vraie région catholique d’Indonésie : le Pape y est venu l’année dernière [5]. Il est vrai que des minorités musulmanes sont un peu partout sur les côtes. Vrai aussi que l’œuvre des missionnaires n’est pas complète et que se pratiquent encore des cérémonies aux ancêtres venues du fond des âges. Mais Florès et Timor sont le haut lieu d’un catholicisme venu d’Espagne et du Portugal. Ici les églises sont partout et les écoles s’appellent Sainte Marie immaculée, Saint Pie X et sainte Maria Goretti. Un après-midi, à Florès, j’avais décidé de forcer le passage sur une route de montagne coupée par des glissements de terrain. Alors que je m’efforçais de faire bonne figure sur un terrain friable, à un pied du précipice, mes yeux tombèrent sur le centre du pare-brise du camion que j’avais affrété. Une décalcomanie représentait le Christ en croix, surmonté de cette inscription terrible mais adaptée à la circonstance : « Eli, Eli, lama sabatani » ?

 

[1] : appellations indonésiennes de ces provinces : Bali, chef-lieu Denpasar ;  Nusa Tenggara Barat (NTB), chef-lieu Mataram, sur l’île de Lombok ; Nusa Tenggara Timur (NTT), chef-lieu Kupang, à l’ouest de Timor ; Timor Timur (Tim-Tim), chef-lieu Dili. Timor-est est devenu un Etat indépendant en 2002 à l’issue d’un conflit meurtrier. Cet Etat est aujourd’hui plus connu, y compris en Indonésie, sous son nom portugais : Timor Leste. L’appellation Timor Timur et sa forme abrégée Tim-Tim sont oubliées (notes insérées en 2018).

 

[2] : le voyage a débuté à Bima, dans l’est de Sumbawa (118° 44’ E, 8° 22’S).

 

[3] : sur la côte nord de Florès, 122° 13’ E, 8° 37’S.

[4] : sur la côte sud de l’île de Lembata, dans l’archipel de Solor, 123° 24’E, 8° 34’S. Les  villageois de Lamalera, pratiquent traditionnellement la pêche à la baleine, aux raies manta et aux dauphins, autorisée à des fins de subsistance. Ces dernières années, cette pêche a donné lieu à des débats depuis qu’elle se pratique sur des embarcations motorisées au lieu des baleinières à rames traditionnelles (voir l’article de Jon Emont, The New York Times, 3 août 2017).

[5] Jean-Paul II s’est rendu à Dili (Timor-est) et à Maumere (Florès) au cours d’une visite en Indonésie, en octobre 1989.

Kupang (photos prises en mars 2016)Kupang (photos prises en mars 2016)

Kupang (photos prises en mars 2016)

Voyez aussi l'article Petites îles de la Sonde de mars 2008 et la fin du journal de février-mars 2016.

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