Une semaine au Sri Lanka
De Colombo à Hatton par la route
Notre voyage commence samedi 10 mars à Colombo, à une heure d'avion de Chennai. Vu de la fenêtre du van, le Sri Lanka ne paraît pas très différent de l'Inde du Sud. Les vieux bus TATA et les rickshaws ont un air de déjà-vu. Nous arrivons en fin d'après-midi aux environs de Kitulgala, à 85 km dans l'intérieur des terres. C'est une région de forêt tropicale humide au pied des montagnes centrales. C'est dans une vallée adjacente qu'a été tourné le film Le Pont de la Rivière Kwai avec un vrai faux pont désormais sous l'eau. En lieu d'hôtel, nous avons une tente améliorée au pied de la rivière Kelani.
Le lendemain nous passons la matinée les pieds dans l'eau d'une magnifique rivière coulant au travers de la jungle. En dépit des villages proches, elle n'est pas polluée. Tout au long du voyage, cette différence avec l'Inde se retrouvera. Nous prenons ensuite la route pour notre prochaine destination, Ohiya. Pour ne pas céder face aux prix monopolistiques des rares propriétaires de voiture, nous montons avec enfants et bagages dans un bus public. En Inde, l'expat que je suis a tendance à regarder ces bus depuis sa voiture confortable, en pensant : « les pauvres gens, je suis heureux de ne pas être à leur place ! ». Heureusement, le bus n'est pas bondé même s'il est plein. La route monte en lacets, la végétation change au fur et à mesure que nous prenons de l'altitude. Nous arrivons à la gare de Hatton en un peu moins de deux heures.
De Hatton à Ohiya en train
Ici commence notre expérience du train au Sri Lanka. Il ne reste que des billets de seconde classe « sans réservation ». Par chance, je me trouve au bon emplacement sur le quai. Je réussis ma course pour l'obtention de places assises ! Nous disposons de deux sièges pour nous quatre. Nous savons maintenant ce que veut dire « sans réservation ». Il y a dans notre wagon plus de touristes étrangers que de locaux, et d'autres touristes voyagent en troisième classe. Un billet en seconde coûte pourtant moins de 2€ sur ce trajet. Le train est lent et si bruyant qu'on a du mal à s'entendre. La voie serpente dans la montagne. A la fenêtre du train se dévoilent des panoramas alpins. Quel plaisir de traverser une forêt de grands pins ! Dommage que leur odeur soit annihilée par celle de la friture du marchand de samosas. Il passe et repasse inlassablement dans le wagon...
Nous arrivons à Ohiya en fin d'après-midi, soulagés d'être descendus du train au bon arrêt. C'est une petite localité située à une altitude de 1774 m. La gare, au milieu des bois, semble sortie d'une autre époque. On ne serait pas surpris d'y voir entrer un train à vapeur. Le chef de gare, vêtu d'un bel uniforme blanc avec des gallons dorés, ne dispose que d'instruments mécaniques qui me semblent venir de l'Angleterre du 19e. S'il y a bien un réseau de petites routes qui relient Ohiya au reste du pays, elles sont peu roulantes et quasiment personne ici n'a de voiture. Cela en fait un des rares endroits de nos jours encore très dépendants du train. Il y a quelques chambres d'hôtes pour héberger les touristes, qui comme nous, décident de loger au plus près de l'entrée du parc naturel de Horton Plains. Les milliers de visiteurs quotidiens préfèrent rester à la ville de Nuwara Eliya et faire plus de deux heures de voiture le matin de leur randonnée. C'est dommage, car la forêt qui entoure Ohiya est magnifique. Je me promène jusqu'à la nuit tombante. Parti sur des petites routes sans circulation, je continue sur un sentier forestier jusqu'à retrouver la voie ferré que je n'ai qu'à suivre pour revenir au point de départ. Le vent frais dans les grands pins, les odeurs de résine et d'humus, les petits ruisseaux… que ces sensations sont agréables.
Horton Plains
Lundi matin, nous partons pour Horton Plains juste avant le levé du soleil. Le parc n'est qu'à 25 minutes de rickshaw. Mais à plus de 2000 m au petit matin dans un véhicule ouvert, c'est assez pour pour avoir bien froid ! A l’approche du parc, la forêt laisse place à de grandes plaines d'herbes hautes prises dans la brume. Nous y apercevons la silhouette d'un grand cerf. Avant d'être un parc naturel, ce lieu était une réserve de chasse et de pêche pour les Anglais. A l'intérieur du parc, un réseau de sentiers larges et bien balisés permettent aux touristes de se promener sans guide.
Comme tout le monde, nous faisons la boucle de 9 km qui passe par le site baptisé « World's End». C'est l'endroit vendu comme le clou de la promenade. Ce nom racoleur désigne un précipice abrupt aménagé en plate-forme. C'est un bon coup commercial à l'époque du selfie roi ! De mon point de vue, ce précipice n'est pas très impressionnant. Au Kinnaur, dans le nord de l'Inde, ce sont des dizaines de kilomètres de routes qui surplombent des précipices encore plus profonds. L'intérêt du parc est plutôt dans ses paysages de hauts plateaux. Malgré les centaines de marcheurs qui nous entourent, le site est propre et très agréable. Dans un pays très proche de l'Inde par de nombreux aspects, ce parc national semble géré comme les parcs américains. Entre le visitor center et le portillon de vérification des tickets, les sacs sont fouillés pour faire la chasse aux sachets en plastique et autres emballages qui risqueraient de polluer.
De retour sur les rails, direction Nuwara Eliya
L'après-midi, nous devons prendre le train pour Nuwara Eliya. Le guichetier nous annonce que le train aura une demi-heure de retard. Je commets alors une erreur d'orientation et me trompe quant à la direction par laquelle notre train doit arriver. Ainsi quand il entre en gare par l'autre côté et avec dix minutes de retard au lieu de vingt, je suis persuadé qu'il s'agit du train circulant dans le sens opposé qu'attendent de nombreux voyageurs sur le même quai. Cette erreur nous vaut une longue attente… d'autant que le train suivant est véritablement en retard et plus lent. C'est un vieux train très sale, mais qui a le mérite de beaucoup plaire aux enfants. Faute de lumière, il fait vraiment noir dans les tunnels !
Nuwara Eliya est une hill station de l'époque britannique, à 1889 m d'altitude. Comme ses consœurs indiennes Darjeeling, Shimla, ou Mussoorie, «l'air frais de la montagne» y est irrespirable au centre ville à cause de la circulation. Mais s'en écartant un peu, on trouve des endroits très agréables, tels le jardin botanique. Dans notre bungalow d'époque, Adrien et moi avons une chambre avec cheminée. Nous nous endormons à la lueur du feu, même si, il faut l'admettre, ce n'est pas cohérent de la part de celui qui se plaint de la pollution de l'air.
Le lendemain matin, nous visitons une usine de thé. Le long de la route, les collines sont recouvertes de plantations de thé comme à Darjeeling. Mais ce n'est pas tout : les Anglais ont profité du climat d'altitude pour développer ici la culture des fruits et légumes qui leur manquaient. On voit tout le long de la route des potagers et des magnifiques étalages de fruits et légumes. Ils ont fait venir ici des Tamils du Tamil Nadu pour mener ces travaux agricoles. Ce sont leurs descendants qui peuplent aujourd’hui cette région. Je ne sais pas si on le doit aussi aux Anglais, mais Nuwara Eliya s'est faite aujourd'hui une spécialité de produire des fraises. Nous avons ainsi mis une strawberry farm à notre programme pour le plus grand plaisir des enfants.
Kandy et le Temple de la Dent
A l'issue d'un long voyage en train, nous arrivons à Kandy. Nous faisons étape ici pour visiter le lendemain matin le Temple de la Dent du Bouddha et le musée du Bouddhisme. Des centaines de touristes étrangers et des milliers de pèlerins du Sri Lanka et d'autres pays d'Asie du sud-est convergent vers ce site majeur. La relique à l'histoire mouvementée n'a pas fini d'attirer les foules. La visite est intéressante à condition de ne pas être agoraphobe. Nous y sommes au moment de l'une des pujas quotidiennes, pendant laquelle le reliquaire est visible du public. Le guide nous fraie un passage au cœur du temple, ce qui nous permet d'entrevoir un instant le reliquaire, au cœur du stupa et derrière une vitre.
Bien que les événements récents aient donné lieu à plusieurs articles sur le thème des idées préconçues que nous avons à propos du bouddhisme, je m'y suis d'une certaine manière laissé prendre. Notre guide, guide officiel du Temple et fervent bouddhiste, m'a tout de suite inspiré une certaine confiance empreinte de préjugés. Face à son enthousiasme pour démarrer la visite par un commentaire du premier bas-relief, je ne me suis pas aventuré à l'interrompre pour lui demander ses honoraires. Il devait être désintéressé, altruiste, empathique, etc. Pourtant, lorsqu'à la fin de la visite je lui donne près de deux fois le montant mentionné dans le Lonely Planet, il prend l'air insatisfait. « Les gens donnent le double », me dit-il en ayant faussement l'air de ne pas réclamer la différence. Je m'y résous faute d'avoir demandé son prix à l'avance. J'aurai ensuite confirmation que j'ai bien payé quatre fois le prix habituel.
Du Hill Country à la station balnéaire d'Hikkaduwa
La fin de journée est longue et difficile. Après plus de trois heures de train pour rejoindre Colombo, une heure d'attente sur le quai de la gare, nous devons rester deux heures et demie sans place assise dans un second train. Nous avons de jeunes enfants, et il y a parmi les passagers une dame très âgée voyageant seule. Pourtant, à peine le train entre en gare, tout les passagers se ruent sur les places assises. La loi du plus fort l'emporte sur la compassion. Même en terre bouddhique. Nous arrivons bien fatigués ce mercredi soir dans la station balnéaire d'Hikkaduwa, à une centaine de kilomètres au sud de Colombo.
Hikkaduwa est le type même d'endroit que je cherche habituellement à éviter. Il y a ici une plage bondée le jour, et une rue principale d'hôtels, bars et restaurants bondée la nuit. L'ambiance est à la fête. Les touristes ici viennent de Russie, d'Europe de l'Est ou d'Israël. La seule raison pour nous de faire étape ici est de profiter d'une matinée de snorkeling. Si l'édition de janvier 2017 du guide est claire sur ce qu'est Hikkaduwa, elle note l'intérêt des fonds marins accessibles aux enfants depuis la plage. A l'expérience, c'est très décevant. Il n'y a plus aucun corail. Il y a dix ans, c'était comme l'Indonésie, m'explique-t-on au centre de plongée. Il y a plus de baigneurs que de poissons, et des tessons de bouteille sur la plage. Mais pire que tout, les glass-bottom boats vont et viennent furieusement au milieu des baigneurs en rejetant des odeurs d'essence de vieux moteur hors-bord mal réglé.
Dans les remparts de Galle
Nous quittons au plus vite Hikkaduwa en direction de Galle. La route longe la côte vers le sud sur une vingtaine de kilomètres. En route, nous visitons un jardin d'épices, l'occasion de voir comment poussent vanille, cannelle, cardamone, cumin, etc. Lorsque la chaleur tombe en fin de journée, nous partons à la découverte de la vieille ville entourée de remparts. C'est l'une des meilleures expériences du voyage. Les fortifications remontent à la domination portugaise du XVIe siècle. Au XVIIIe, les Néerlandais en ont fait le port principal de l'île au service de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Son sigle VOC pour Vereenigde Oostindische Compagnie est d'ailleurs gravé sur l'une des portes de la ville. Ceci m'évoque mes cours d'histoire économique : la VOC est considérée comme l'une des premières multinationales ouvrant la voie au capitalisme mondialisé. Son histoire est bien-sûr entachée par l'impérialisme et la colonisation, et la notion de capitalisme est à relativiser en contexte de monopole d’État préservé par les armes. Mais elle nous a laissé des innovations telles sa structure de sociétés anonymes par actions cotées en bourse.
Nous nous promenons donc jeudi soir et vendredi matin sur les remparts de Galle, face à la mer, avec quelques incursions dans les vieilles rues. Il y a peu de circulation et beaucoup de touristes à pied, ce qui en fait un lieu de promenade très apprécié. Il y a d'anciennes maisons néerlandaises, un phare, des musées intéressants, un temple bouddhiste, plusieurs églises, et une grande mosquée. Le vendredi après-midi, de nombreux commerces tenus par des Musulmans s'arrêtent. Les enfants doivent attendre la fin de la prière pour avoir la glace promise au début de la promenade ! Difficile d'imaginer qu'il y a eu ici des milliers de morts et d'importantes destructions lors du tsunami de 2004.
Mirissa : à l'assaut la recherche de la baleine bleue
En fin de journée, nous reprenons la route pour Mirissa. C'est une station balnéaire au sud de Galle réputée pour ses excursions d'observation des baleines. Malgré l'affluence touristique, la plage est très belle et nous y passons une bonne soirée. Les enfants assistent en direct à l'éclosion de petites tortues. Samedi matin, nous prenons un rikshaw aux aurores à destination de l'embarcadère. Des centaines de rikshaws et des dizaines de vans convergent au même endroit. Nous montons sur un bateau d'une centaine de places réparties sur deux ponts. Des dizaines de bateaux similaires font le plein de touristes.
Vers 6 h 30, les premiers bateaux quittent le port et toute la flottille suit. Peu à peu les bateaux concurrents s'éparpillent, chacun prenant un cap légèrement différent. Au bout d'environ une heure de navigation, nous apercevons des dauphins. Puis rien ne se passe durant l'heure suivante. Nous semblons longer vers le sud-est la route maritime qui passe au sud de l'île. Les porte-conteneurs croisent à un ou deux kilomètres de nous, pas plus. Environ 2 h 30 après notre départ, nous retrouvons tous les autres bateaux agglutinés : la baleine est au rendez-vous ! Tous les passagers se ruent du même côté du bateau pour avoir une photo. Au loin, on aperçoit un bref instant un grand dos gris à la surface. C'est une baleine bleue, le plus grand animal qui vit de nos jours.
Il n'y a qu'une baleine aujourd'hui, et environ trente bateaux qui la traquent. Aussitôt fait-elle surface que tous foncent sur elles plein gaz. On a beau être en pleine mer, il y a du bruit de moteur et des odeurs de gasoil. Mais surtout certains capitaines moins scrupuleux l'approchent tellement vite qu'elle replonge sans tarder. Sachant qu'elle reste entre dix et quinze minutes sous l'eau à chaque fois, nous la voyons quatre ou cinq fois en une heure. Lors de sa dernière plongée, nous voyons sa queue sortir de l'eau comme sur les photos des brochures touristiques. C'est intéressant, mais je ne peux m'empêcher de plaindre la baleine littéralement harcelée. Et nous voilà repartis pour deux heures de navigation jusqu'à Mirissa.
Et la semaine s'achève...
Sur ce, nous prenons la route pour Negombo, ville côtière au nord de Colombo et toute proche de l'aéroport. En route nous trouvons un site de snorkeling acceptable à Unawatuna, pour le plaisir des enfants. Sur l'autoroute Galle – Colombo, nous nous sentons plus proche de l'Europe que de l'Inde. Mais entre Colombo et Negombo, sortis de l'autoroute, nous nous sentons déjà revenus à Chennai !
Ainsi s'achève une semaine au cours de laquelle nous n'avons jamais dormi deux nuits de suite au même endroit. Ce ne fut certes pas de tout repos, mais c'est ce qui nous a permis de diversifier les expériences pour que chacun y trouve son compte. De plus certains trajets (en bus, en train, en rikshaw...) présentaient en eux mêmes autant d'intérêt que la destination. Il ne nous reste maintenant plus qu'à retourner au Sri Lanka pour découvrir le Nord, la côte Est, et les parcs nationaux du Sud ! En essayant d'éviter les flots de touristes cette fois.