Journal des Moluques, janvier 1992

Publié par Ding

Le port de Paotere à Ujung Pandang (Célèbes sud)

Le port de Paotere à Ujung Pandang (Célèbes sud)

Sur le 5 janvier : journée sans problème : la Garuda [1] est d’une ponctualité digne d’éloges. De Singapour, Michel, Anne et moi rejoignons Jakarta, puis Ujung Pandang [2]. De l’aéroport, nous allons directement au port de Paotere. Les bateaux bugis sont toujours très beaux mais le port, mieux surveillé, est moins haut en couleurs qu’en 1984[3]. Nous trouvons un petit hôtel tout neuf et très confortable  (Surya Inn) et dînons en bord de mer. Les magasins ont une sophistication (vêtement, sacs à dos, golf) qu’on ne trouvait naguère qu’à Jakarta.

 

[1] : Garuda Indonesia (appellation en vigueur depuis 1985) est la compagnie aérienne nationale d’Indonésie.

[2] : Ujung Pandang (119° 25’ E, 5° 8’ S), aussi connue sous le nom de Makassar (ou Macassar), est la plus grande ville des Célèbes, chef-lieu de la province de Célèbes-sud.

[3] : voir journal de voyage aux Célèbes, juillet-août 1984.

Ambon : la ville et la baie.

Ambon : la ville et la baie.

Sur le 6 janvier : Merpati [4] nous amène à Ambon [5]à midi. Belle approche sur la baie. Le taxi traverse celle-ci en bac. Ambon est une ville sans caractère mais dans un beau cadre. L’après-midi, on monte au monument d’une héroïne locale, Marie-Christine Tijahahu. Le coucher de soleil n’est pas au rendez-vous mais la vue est belle tout de même.

 

[4] : Merpati Nusantara Airlines, importante compagnie aérienne indonésienne qui a existé de 1962 à 2014.

[5] : Ambon (128° 7’ E, 3° 38’S), jadis connue en français sous le nom d’Amboine (ou Amboyne) est la ville principale et le chef-lieu de la province des Moluques (Maluku).

Ambon : forêt au sud de la ville.

Ambon : forêt au sud de la ville.

Ambon : le cimetière militaire australien

Ambon : le cimetière militaire australien

Sur le 7 janvier : visite d’abord du musée Siwalima, art et artisanat traditionnel des Moluques. Très intéressant quoique mal éclairé.

Départ en taxi vers 10 heures pour Soya, au-dessus d’Ambon. La promenade commence mal : le Gunung Sirimau [6], connu pour quelques vestiges, est décevant et une bonne pluie n’arrange rien. Mais nous persévérons et la promenade jusqu’au village de Naku [7]– on ne peut aller plus loin, faute de temps, est plus agréable.

De retour à Soya, vers 15 heures, nous visitons le cimetière militaire australien d’Ambon [8]. Emouvant et bien tenu.

 

[6] : le Mont Sirimau, alt. 950 m, est situé dans la péninsule de Leitimur, au sud-est d’Ambon.

[7] : canton de Leitimur sud, sur la mer de Banda.

[8] : cimetière entretenu par la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth (CWGC). Il comprend un peu plus de 2000 tombes d’Australiens tués lors de l’assaut japonais sur Ambon (1942), de prisonniers de guerre australiens et britanniques. Il a été agrandi en 1961 pour accueillir les sépultures des soldats, principalement britanniques, précédemment inhumés dans un cimetière de Makassar (Célèbes).

NeiraNeira

Neira

Journal des Moluques, janvier 1992Journal des Moluques, janvier 1992

Sur le 8 janvier : départ de nuit (5 heures) pour l’aéroport. Un twin-otter d’Indoavia nous conduit à Banda en 55 minutes. Les premières et surtout les dernières minutes de vol sont superbes. Banda (129° 55’ E, 4° 35’ S), sur le site d’une caldeira submergée, est une merveille à la hauteur de sa réputation.

On s’installe à l’hôtel Laguna Inn, après avoir fait connaissance du maître des lieux, le célèbre Des Alwi [9].

Départ en bateau à 10 heures. On fait d’abord le tour du volcan, où les traces de l’éruption de 1988 son très visibles. Puis on contourne Neira, Lontor et on va pique-niquer sur la plage dite de la cannelle, sur la côte extérieure de Lontor [10].

Il y a une barrière de corail en pente douce jusqu’à une vingtaine de mètres du bord, très raide ensuite. C’est magnifique, tant par l’abondance et la variété du corail que par les poissons multicolores, dont certains de belle taille (mérous).

En fin d’après-midi, petite promenade à Neira. Cela a du charme avec les petites maisons (presque) méditerranéennes, les demeures, plus ou moins ruinées des perkeniers (planteurs) et le fort Nassau en ruines. Un seul regret : la restauration du fort Belgica, qui domine la ville, est une horreur de béton qui dépare ce site exceptionnel.

 

[9] : Des Alwi Abubakar (1927 – 2010), issu d’une famille aristocratique originaire du Yémen, souvent surnommé « le roi de Banda », fut un historien, un diplomate et un réalisateur de cinéma. Fils adoptif de Mohammad Hatta, l’un des pères de l’indépendance indonésienne, il joua un certain rôle pendant la guerre d’indépendance mais prit ses distances avec Soekarno au début des années 60 au point de s’exiler un temps en Malaisie. Il a consacré la dernière partie de sa vie à développer Banda  où il a attiré de nombreuses célébrités. Il lui a parfois été reproché d’avoir fait passer en premier ses intérêts personnels et d’avoir capté le tourisme naissant à son profit. Ses deux hôtels, contigus, le Maulana et le Laguna, étaient en situation de quasi-monopole. Il était âgé de 64 ans lors de notre rencontre.

[10] : l’ile de Banda Besar (« la grande Banda »), parfois nommée Lontor ou Lontar, est la plus vaste (12 km x 3 km) et la plus au sud des trois principales îles de l’archipel de Banda.

Le volcan, vu de Neira. Neira et Lontar, vus du sommet du cratère.Le volcan, vu de Neira. Neira et Lontar, vus du sommet du cratère.

Le volcan, vu de Neira. Neira et Lontar, vus du sommet du cratère.

Sur le 9 janvier : nous escaladons le volcan en 1 heure 25 (pour 660 m). Escalier au début, chemin raide et en éboulis ensuite (bonnes chaussures souhaitables). La vue est très belle : à l’est, Neira et Lontor sur un emer d’un bleu profond. A l’ouest et au nord, le volcan est ravagé par l’éruption de 1988. Au loin vers l’ouest, Ai et Run. L’endroit est magnifique.

L’après-midi, agréable excursion à Lontor. Le fort Hollandia n’a pas eu droit à la rénovation calamiteuse du fort Belgica …

Une précision : l’hôtel Laguna, possédé par Des Alwi – le « roi » de Banda – est un peu cher pour le confort qu’il offre. Mais sa petite taille et sa situation les pieds dans l’eau face au volcan lui confèrent un charme très grand et la cuisine parfumée à la muscade est excellente. C’est, au total, un endroit fort recommandable.

Ai

Ai

Sur le 10 janvier : excursion à Ai (129° 46’ E, 4° 32’ S), 8 km à l’ouest de Neira, une petite heure de bateau. La nage au masque est moins somptueuse qu’à la plage de la cannelle mais belle tout de même. Excursion au village d’Ai (une auberge, gens instruits et accueillants) et au fort Revenge (sic). Ai mériterait qu’on y passe la nuit.

Le soir, passage d’un paquebot de la Pelni [11] qui met à Neira une ambiance étonnante.

 

[11] : la Pelni est la compagnie nationale de navigation dont les paquebot desservent les îles principales de l’Indonésie avec une fréquence de deux à trois semaines.

Journal des Moluques, janvier 1992

Sur le 11 janvier : le petit avion nous emmène de Banda. Beau départ d’un endroit magnifique.

A Ambon, nous allons directement à Tulehu, sur la côte est. Le bateau pour Ceram étant parti, un canot automobile nous conduit à Saparua (128° 39’ E, 3° 34’ S), l’une des îles Lease, jolie traversée. Nous visitons d’abord le fort Duurstede, joli fort dans un beau site, puis allons nous installer dans un hôtel pour plongeurs au village de Mahu.

Je vais à la pêche au thon. Technique originale : on jette à l’eau des milliers de tout petits poissons et les thons se jettent sur eux, y compris ceux qui sont à l’hameçon.

Sur le 12 janvier : la difficulté majeure est de quitter un pays aussi protestant un dimanche. Aucun transport public ne fonctionne. Heureusement, on trouve à affréter un minibus pour Haria, puis un hors-bord qui nous propulse à grande vitesse jusqu’à Amahai (128° 56’ E, 3° 21’S, sur la côte sud de Ceram). Jolie traversée. A Ceram, les transports publics sont moins atteints : un minibus nous conduit à Tehoru (129° 34’ E, 3° 25’ S) en trois heures par une belle route côtière.

Tehoru est un petit port, assez pauvre mais dans un beau site grâce à sa baie. L’auberge locale, « très simple mais convenable », nous loge pour la nuit.

Ceram : côte sud, arrivée à Hatumete
Ceram : côte sud, arrivée à HatumeteCeram : côte sud, arrivée à Hatumete

Ceram : côte sud, arrivée à Hatumete

Sur le 13 janvier : nous prenons le canot pour Hatumete, qui longe le fond du golfe. Je débarque seul à Hatumete (129° 35’ E, 3° 19’ S), Michel et Anne rentrant à Tehoru (et, de là, à Ambon et Java).

Les formalités – rencontrer le chef du village et aller à Mosso voir la PPA [12] - prennent quatre heures. C’est seulement à 13 heures 30 que je prends le chemin de Manusela, accompagné de Fretz (phonétique), un porteur de Manusela qui me servira de guide.

Le chemin monte d’abord jusqu’au hameau –misérable – de Sinahari, à deux heures de marche. A Sinahari, on a quitté l’Asie pour le monde mélanésien [13]. Quelques cases de rotin, une impression de grand dénuement.

A 16 heures 30, on atteint une grotte, une anfractuosité rocheuse  plutôt. Il faut bivouaquer car je n’ai pas de tente et il n’y aura pas d’autre abri contre la pluie avant longtemps. Fretz se révèle précieux : il prépare un matelas de palmes, fait du feu avec du bois détrempé et prépare un dîner convenable.

 

[12] : sigle peu clair ; il s’agit sans doute du bureau qui gère la réserve naturelle de Manusela.

[13] : impression assez fréquente aux Moluques et dans l’est des petites îles de la Sonde où les villages côtiers ressemblent à ceux du reste de l’Indonésie alors que ceux de l’intérieur, plus préservés des influences extérieures, évoquent fortement le monde mélanésien. Constatation faite notamment à Alor en 2008 et à Pantar en 2016.

Sur le 14 janvier : départ à l’aube (6 heures 15). Le chemin descend pendant vingt minutes, passe dans les gorges de la rivière Wae Walala, avec quatre gués et de nombreux passages difficiles, puis grimpe fortement jusqu’au col à 2 050 m. On s’arrête une heure pour déjeuner à mi-pente et on atteint le col à 13 heures. Cette montée est loin d’être facile. Heureusement, les difficultés – chaleur, terrain difficile et très forte pente – se présentent successivement.

Du col, quatre heures de descente, d’abord raide puis plus douce, jusqu’à Manusela. Vu de gros oiseaux au bec de toucan et entendu quantité d’espèces.

Je suis à Manusela (129° 37’ E, 2° 59’ S) à 17 heures 15, heureux d’arriver après cette longue étape. Chez le chef du village, où je suis hébergé bien qu’il soit à Masohi, je trouve quatre compatriotes, dont deux établis à Manado (Célèbes, nord), venus sans guide ni porteur.

Diner frugal, manioc et légumes. Nuit froide, plutôt moins confortable qu’hier.

Sur le 15 janvier : Manusela ne manque pas de charme. Les maisons sont des cases de rotin à toit végétal. Seuls l’église et le dispensaire jurent un peu. Hélas, le chef du village a de grands projets de béton et de tôle ondulée, dont le portage à dos d’homme ralentit heureusement l’exécution.

Avec le très beau temps, les petites plantations environnantes et le cirque de montagnes couvertes de forêt, l’endroit ne manque pas d’allure. Je m’y repose en prévision du retour.

Le temps se couvrant, je repars à 13 heures 30. A 15 heures 40, nouvel abri rocheux où il faut de nouveau faire étape. Je me baigne dans la rivière (froide). Le bivouac est très humide, il faut sécher les palmes dans le feu, mais j’y passe une bonne nuit.

Sur le 16 janvier : départ à 6 heures 5.On entend rire les cacatoès à la cime des grands arbres. On est au ciel à 8 heures. La descente qui suit est pénible et plutôt plus lente que la montée. La portion intermédiaire est la plus difficile car très glissante. Heureusement, là encore, les difficultés sont successives plutôt que simultanées.

Déjeuner rapide dans les gorges de la Wae Walala. Je suis à Hatumete à 16 h 45, fourbu.

A 18 heures passe un canot qui va pêcher le thon avant de rentrer à Tehoru.. J’embarque. En deux heures de pêche crépusculaire, on prend cinq thons de 10 – 12 kg. Leur remontée à bord est un spectacle violent : il faut vaincre leur résistance à coups redoublés de machette. Ce sont de beaux poissons.

Sur le 17 janvier : le bus de 8 heures part à 11 heures 35, faute de passagers. Quand j’arrive à Amahai à 15 heures, il n’y a plus de bateau pour Ambon. Eternel problème de transport dans l’est indonésien. Je loge à l’auberge Lelemuku, à l’entrée de la ville. Masohi est un bled complet où l’on trouve heureusement un restaurant chinois. J’essaie vainement de téléphoner à Elisabeth pour son anniversaire. Après une heure d’essais, j’entends tout à coup « c’est Caroline ! » et la ligne est aussitôt coupée.

Sur le 18 janvier : j’embarque à Amahai sur le Los Angeles (sic) qui rejoint Tulehu en trois heures. La côte nord d’Haruku (dans les îles Lease) offre de belles plages et, dans le détroit, des fonds coralliens d ‘un bleu intense.

Arrivé à Ambon à midi, je perds pas mal de temps à essayer de reconfirmer mes vols pour demain.

Cela fait, je vais à la plage de Namalatu. Le corail est modeste comparé à Banda mais l’eau est toujours d’une transparence parfaite et il y a de très beaux poissons.

Je continue jusqu’à Latuhalat (128° 6’ E, 3° 47’ S), à l’extrémité ouest de la péninsule de Leitimur. C’est par un très beau coucher de soleil que se termine ce séjour.

Notes conclusives :

Ambon, les îles Lease et Ceram ont été le théâtre d’un conflit confessionnel de 1999 à 2001, aux causes multiples, qui a causé des centaines de victimes. Il en est notamment résulté un quasi-arrêt du tourisme dans ces îles et à Banda. A Ambon ville, les communautés religieuses qui vivaient auparavant en bonne intelligence, ont été contraintes de se relocaliser dans des quartiers séparés par une sorte de no man’s land.

Le calme était revenu lorsque je suis retourné à Ambon et ai brièvement visité l’ile de Haruku en janvier 2004, sur le chemin des îles Aru et Kei. La tension était encore très perceptible. J’ai fait escale à Banda sur un paquebot de la Pelni au retour des îles Kei. Le tourisme était alors quasiment nul et Banda n’était plus desservi par avion. Le calme étant revenu, l’activité touristique a repris progressivement les années suivantes.

Les photos ont été prises pendant le voyage par Michel Borysewicz. Anne et Michel en sont chaleureusement remerciés.

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