Voyage à vélo au lac de Pangong et dans la vallée de la Nubra

Publié le par Ding Thibaut

Onze ans après mon premier voyage au Ladakh, me voici de nouveau dans un avion à destination de Leh. Mes bagages sont constitués du vélo avec lequel j'ai gravi le Khardung La à l'époque, et de trois sacoches pour voyager de manière autonome. Entre temps, le vélo en question a dormi neuf ans dans une cave à Paris, avant de servir de nouveau à trois reprises dans l'Himalaya indien: une semaine au Kinnaur et Spiti en octobre 2015, une longue journée au Chanshal Pass en juin 2016, et enfin dans la vallée de Lahaul et au Zanskar en octobre 2016.

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Leh, Hemis, Chemrey et Shakti: un départ en douceur

 

En à peine plus d'une heure d'avion depuis Delhi, le voyageur qui atterrit à Leh change de monde. La ville est isolée dans un désert minéral et entourée de hautes montagnes. L'Indus passe juste en-dessous. Les habitants ne ressemblent pas à ceux de l'Inde des plaines. Ils sont essentiellement Ladakhis (bouddhistes) et Cachemiris (musulmans). En sortant de l'avion à 3500 m d'altitude, la pression atmosphérique est inférieure à celle dont on bénéficie ordinairement dans la cabine pressurisée d'un avion. A Leh, on respire mal également du fait de la circulation automobile (moteurs polluants, démarrages en côte). Les rues sont envahies d'hôtels, de magasins de souvenirs et de restaurants pour touristes. Je me souviens encore des "cheese naans" que nous mangions ici en 2006. Après deux ans et demi de vie en Inde, c'est la première fois que j'en retrouve sur un menu !

 

Je suis malgré tout content de retrouver cette ambiance, ainsi que l'hôtel Lingzi, car j'ai des souvenirs avec Clément ici. Quelques heures après mon arrivée, j'obtiens à ma grande satisfaction le permis dont dépend la suite de mon voyage (l'Inner Line Permit requis dans les zones frontalières sensibles, ici à proximité de la Chine et du Pakistan). Malgré une très mauvaise nuit à me battre contre le mal des montagnes, je quitte la ville sur mon vélo au lendemain de mon arrivée. Plutôt que d'y tourner en rond pour les deux ou trois jours d'acclimatation requis, je préfère prendre deux jours pour parcourir ma première étape. Cela ne me contraint pas à passer une nuit significativement plus haut. C'est ainsi que je dors dans une chambre du monastère de Hemis, à 38 km de Leh. Les 500m de dénivelés entre l'Indus et le monastère (3700 m) s'avèrent difficiles comme je m'y attendais, 36 heures seulement après avoir quitté le niveau de la mer !

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Le monastère de Hemis fut fondé en 1630 et serait le plus grand monastère du Ladakh. Son musée dispose d'une collection impressionnante. Certains objets rapatriés depuis d'autres monastères du Tibet au cours des siècles datent du 11e siècle, si ma mémoire est bonne. Il est situé en contrebas de la grotte où médita au XIIIe siècle le chef spirituel de l'ordre Drukpa. Je porte un intérêt particulier à son successeur actuel, le douzième, car c'est en vélo qu'il a décidé de parcourir les distances qui séparent les monastères de son ordre. A l'issue de son dernier voyage à vélo de Katmandou à Hemis, il fit don au musée de son VTT en carbone. C'est d'ailleurs la première pièce du musée que voit le visiteur.

Au lendemain d'une seconde nuit de migraines, j'ai la chance de pouvoir m'asseoir parmi les moines pendant les rituels du matin: chants, psalmodies, lectures de sutras, offrandes. Au bout de deux heures, je me rends compte qu'il reste plus de de la moitié des sutras à lire. Je m'éclipse donc discrètement pour avoir le temps de monter à la fameuse grotte. Cette marche d'un peu moins de 5 km aller-retour me plonge dans une ambiance d'automne oubliée. Le sentier suit un ruisseau au milieu d'un petit bois (surtout des peupliers). La végétation est jaune, rouge, les feuilles mortes craquent sous les pieds. Cela sent comme dans nos forêts. Toutes ces sensations font rejaillir en moi des souvenirs de marche en forêt à Washington, dans la Shenandoah, ou encore au bois de Meudon.

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L'après-midi venu, je reprends la route pour Shakti, 30k m plus à l'est, de l'autre côté de l'Indus. Je visite le monastère de Chemrey, perché sur un rocher en surplomb de la vallée. Les petites routes entre les villages sont riches de scènes pittoresques. Alors que la nuit tombe, les paysans (hommes et femmes à part égale) s'activent dans les champs pour récolter des légumes ou labourer la terre. Le labourage se fait avec une charrue tirée par deux "dzos" (croisement du yak et de la vache). A 3800 m d'altitude, Shakti est le dernier endroit où l'on peut dormir avant de se lancer vers le col de Chang La.

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Le col de Chang La, première mise à l'épreuve

 

Avec l'ascension du Chang La, 5330 m, les choses sérieuses commencent enfin. J'ai conscience que mon acclimatation est très juste pour me lancer dans cette entreprise, mais je compte sur ma préparation physique et mon expérience pour pouvoir la mener à bien. L’ascension n'est longue « que » de 28 km pour un dénivelé légèrement inférieur à celui du Mont Ventoux. Si ce dernier me prendrait à peine plus de deux heures à gravir en VTT avec des sacoches, je compte au moins cinq ou six heures pour le Chang La à cause du manque d'oxygène (partant du principe que la route est majoritairement goudronnée).

 

Malheureusement, je perds du temps. Pour éviter de redescendre chercher la route principale au fond de la vallée, j'emprunte une petite route au départ de Shakti qui est censée rejoindre la route principale. Cette dernière est en effet 100 m au-dessus. Mes hôtes n'ont pas jugé utile de me dire que la liaison entre les deux routes impliquait de bifurquer sur une piste de sable complètement défoncée par les ornières des camions, avec une pente avoisinant quelquefois les 10%. Je manque donc cette piste sur laquelle il ne me serait pas venu à l'idée de m'aventurer, je continue la montée sur un bon kilomètre, jusqu'à arriver à une impasse. Une vieille dame déplaçant des pierres m'explique mon erreur jusqu'à ce que je me rende à l'évidence. Je redescends et me lance à l'assaut de cette difficulté inattendue. Je n'ai rien fait d'aussi dur depuis la piste du Shingo La l'année dernière. Seule consolation, j'observe des traces de félin sur le sable... un léopard des neiges peut-être ?

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A mi-chemin du col, alors que je profite depuis un moment d'une route en très bon état, je constate que mon pneu arrière est partiellement dégonflé. C'est encore la fin de matinée, mais je sais que je ne suis plus très large en temps. Je me contente donc de pomper un peu plutôt que de démonter la roue. Lorsque la route laisse place à une piste sableuse dans les dix derniers kilomètres, le sous-gonflage du pneu me donne un léger gain d'adhérence. C'est bon à prendre dans les sections difficiles (virages en épingle avec sable épais). Je n'atteins le col qu'au terme de 7 heures d'effort, comprenant beaucoup de petits arrêts pour reprendre mon souffle. Autant de temps pour seulement 29 km, c'est incroyable quand on pense qu'il me faudrait moins de 50 minutes pour effectuer la même distance en vélo de route sur du plat au niveau de la mer.

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Le temps de me réchauffer et de me changer pour la descente, il est déjà presque 17h. Je m'efforce de ne plus perdre de temps, mais il est impossible de descendre vite avec cette alternance de piste et de route en lambeaux. Je suis à peine en dessous des 5000 m lorsque la nuit tombe et que je retrouve du bitume. Nouveau coup du sort, mon phare n'a plus de batterie ! Ce n'est pas faute de l'avoir chargé avant de quitter Chennai. Il a dû s'allumer accidentellement dans mes bagages. Je n'ai pas été doublé par la moindre voiture depuis le début de la descente. Il fait bien trop froid pour passer la nuit à la belle étoile. Il ne me reste donc qu'à descendre tout doucement dans l'obscurité. Je parcours ainsi la route sous le ciel étoilé pendant une heure et demie. Sur la fin, je vois se rapprocher des points lumineux dans le fond de vallée. Il s'agit de Duburk, ma destination. Comme les nombreux voyageurs à pied ou à cheval qui ont dû me précéder ici et dans cette situation depuis des siècles, cette vision m'apporte du réconfort et de la sérénité. J'ignore pourtant totalement où je dormirai. Ce sera finalement dans le second des deux homestays de ce hameau, en vertu de mon principe de ne pas m'arrêter au premier endroit venu !

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Le lac de Pangong Tso, joyau de l'Himalaya partagé entre l'Inde et la Chine

 

En sortant dehors de bon matin pour réparer ma chambre à air, je vois le Chang La pris dans d'épais nuages alors que le reste du ciel est bleu vif partout ailleurs. Lorsque je prends la route une heure plus tard, les nuages sont partis en laissant une montagne saupoudrée de neige en altitude. J'ai donc échappé de justesse à des difficultés supplémentaires ! Mon permis est contrôlé sans difficulté à Tangtse, complexe de camps militaires à 6 km au sud de Duburk. Ensuite la route serpente dans un labyrinthe géologique étonnant. Il y a de l'herbe verte ou jaune au bord d'une rivière cristalline. Quelques fermes apparaissent ici et là. Après 38 km j'atteins un petit col à 4370 m. C'est là que surgit le lac entre deux parois rocheuses, comme un rideau de théâtre qui s'ouvrirait en début de spectacle. Chaque kilomètre de descente dévoile davantage ce panorama grandiose. Le bleu du lac varie du vert émeraude au bleu saphir en fonction des endroits. Les montagnes qui l'entourent vont du rouge au jaune en passant par des teintes vertes. Les cimes enneigées culminent à plus de 6000 m.

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Si la majesté des lieux dans son état initial devait être encore un cran au-dessus de celle du lac Tso Moriri (c'est dire!), la partie du lac accessible aux visiteurs comporte beaucoup d'installations touristiques hideuses. Tentes low-cost, restaurants et guesthouses de bric et de broc, attractions idiotes sur les plages du lac... Sans parler d'une base militaire. La présence de zodiacs et des vedettes militaires suggère que l'armée patrouille sur le lac. Jusqu'à quelle distance s'approche-t-elle de la Line of Actual Control qui traverse le lac au sud-est ? Inutile de fantasmer, on n’imagine mal une bataille navale à plus de 4000m d'altitude ! Il semble possible de s'aventurer encore une vingtaine de kilomètres au sud de Spangmik, ce que je n'ai pas le temps de faire. Cela ne suffirait même pas à voir la majorité du lac, qui s'étend sur 134 km. Quand les tensions géopolitiques s’apaiseront, j'espère pouvoir revenir et continuer la route jusqu'à Chushul, puis vers l’observatoire de Hanle. Outre l'intérêt de ce lieu énigmatique, il y a par là des cols cyclables plus hauts que ceux de ce voyage...

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La vallée de Shyok, un retour dans le Karakorum

 

Après une nuit sur les berges du Pangong Tso (la cinquième et dernière nuit à souffrir du mal des montagnes), je redescends sur Tangtse et Duburk. La plupart des véhicules de tourisme qui circulent entre Pangong Tso et la vallée de la Nubra tournent ici à l'ouest, franchissent le Chang La dans l'autre sens, puis bifurquent plein nord vers un autre col à plus de 5300 m, le Wari La. Il existe cependant une autre route qui évite tout ce dénivelé en longeant les gorges de la rivière Shyok. Ce cours d'eau naît bien plus au nord, d'un des glaciers tributaires du fameux Siachen (le champ de bataille le plus haut du monde où se font face l'Inde et le Pakistan). Il s'écoule le long de la chaîne du Karakorum presque jusqu'à Tangtse, avant de prendre un tournant à presque 180° au sud du village de Shyok. De là, la rivière repart vers le nord jusqu'à se jeter dans l'Indus à une quarantaine de kilomètres de Skardu, au Pakistan (Skardu que j'ai visité en 2007 en venant de Chine par la KKH). Entre temps, elle est rejointe par la Nubra à Diskit.

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La route de Shyok n'est que très rarement ouverte à la circulation en raison de sa fragilité. Sous la neige une bonne partie de l'année, elle est inévitablement en proie aux glissements de terrain lors du dégel, puis l'été, les nuages de mousson franchissent les premiers remparts de l'Himalaya (chose qui était réputée très rare avant le changement climatique). Pour moi c'est un régal car je suis seul au monde dans des gorges incroyables. Environ 70% du trajet s'effectue sur un bitume tout neuf. Les 30% restants correspondent aux multiples glissements de terrains sur lesquels la BRO (la Border Road Organisation qui maintient les routes aux frontières de l'Inde) a tracé une piste au bulldozer. Le résultat est parfois surprenant: boue tassée avec une pente à 10%, déversement de galets remontés du lit de la rivière pour éviter que les voitures ne s’embourbent, etc. Autant de réjouissances pour le cycliste… Ajoutons à cela l'absence de village sur une longue distance, je dois passer la nuit à Shyok malgré une arrivée en début d'après-midi.

 

C'est un petit village qui s'étale sur le flanc de la montagne au-dessus de la rivière du même nom. Il y a deux ou trois homestays signalés, mais aucun habitant n'est visible. J'erre pendant deux heures jusqu'à trouver des habitants qui peuvent me loger pour la nuit. De ma chambre, je vois une petite route s'enfoncer dans les gorges en amont de la rivière. C'est là que devaient passer jadis les caravanes en route pour le terrible Karakoram Pass, col de 5540 m qui permet d'entrer en Chine (itinéraire Leh – Yarkand). En l'absence de rideau, je m'endors sous le ciel étoilé en pensant cette époque révolue, ainsi qu'à mon propre périple sur la Route de la Soie au Xinjiang en 2007.

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J'atteins la confluence de la Nubra le lendemain à l'issue d'une longue journée de 73 km. Un peu avant cela, la route de Shyok rejoint celle qui vient directement de Leh par le col du Khardung La. C'est ici que nous aurions dû arriver avec Clément, Papa et Vincent en 2006 si les conditions climatiques l'avaient permis. Faute d'énergie et de temps, je dois m'arrêter au seul hébergement possible avant la bifurcation Shyok / Nubra, c'est à dire au lieu-dit Khalsar.

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A droite de la montagne centrale, la vallée de la Nubra. A gauche, le prolongement de la vallée de Shyok.

A droite de la montagne centrale, la vallée de la Nubra. A gauche, le prolongement de la vallée de Shyok.

Dans la vallée de la Nubra, un peu de répit avant la grande épreuve

 

L'appellation touristique de « Nubra Valley » regroupe en fait deux vallées distinctes: celles de la rivière Shyok en aval de Diskit, et celle de la rivière Nubra en amont de sa confluence. Faute de temps, je me limite à la vallée de la Nubra proprement dite. De part et d'autre, des pics du Karakorum culminent à plus de 6000 m et 7000 m. Le plus haut visible d'entre eux est le Saser Kangri I, à 7672 m. Grâce à une altitude à peine plus élevée que 3000 m et à l'abondance d'eau pourvue par les glaciers, la vallée jouit de conditions plus clémentes que le reste du Ladakh. Des peupliers aux abricotiers en passant par les pommiers, la présence de tous ces arbres fait du bien au voyageur qui a arpenté les zones désertiques les jours précédents. Les autochtones cultivent des fruits et des légumes, ce qui me vaut de trouver des tomates séchées au prix dérisoire de 100 roupies le kilo. De nombreux jardins sont fleuris avec soin, ce qui ajoute à la beauté naturelle de la vallée. Je me plais également à regarder et sentir des lavandes sauvages. La dernière fois que j'en ai vu hors de France, c'était le long de la route du Karakorum au Pakistan, dans la vallée de Hunza précisément.

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Je parcours une bonne cinquantaine de kilomètres sur la route qui mène au glacier du Siachen. Il n'y a pas grand monde, si ce n'est des paysans dans les champs. Mais je m'étonne du nombre de constructions en cours: s'agit-il de futurs guesthouses pour profiter de l'essor du tourisme ? Cela m'amène à un petit village un peu après Panamik. Prenant le temps de réfléchir à ma trajectoire pour traverser une longue flaque d'eau en travers de la route, je me fais doubler par un bus qui achemine des militaires au pied du Siachen sans doute. S'ils savaient qu'il y a 10 ans je faisais route dans un bus avec des militaires pakistanais de retour de leur camp du Siachen... A une dizaine de kilomètres avant ce qu'on m'annonce être le dernier checkpoint, je fais demi-tour. Après une trentaine de kilomètres dans l'autre sens, je retrouve ma guesthouse de Sumur où j'ai déposé mes bagages en venant.

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Col du Khardung La: une deuxième manche 11 ans plus tard !

 

Bien que je ne connaisse que le versant sud du col, j'imagine l'ampleur de la tâche qui m'attend. Il y a environ 500 m de dénivelé supplémentaire en venant de la Nubra. Pour cette raison, je fais une première étape de 45 km de Sumur au village de Khardung. Je gagne ainsi entre quatre et cinq heures, 1000 m de dénivelé et beaucoup d'énergie pour passer le col proprement dit le jour suivant. Au fur et à mesure que je m'enfonce dans la montagne sur une très belle route, je me rends compte qu'il a neigé récemment un peu plus haut. La montagne semble saupoudrée de neige fraîche. En cette fin de journée à Khardung, à presque 4000 m, il fait déjà très froid. Tout ceci présage une dernière étape difficile !

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Au petit matin le lendemain, les ruisseaux sont gelés. Les lacets au-dessus de moi sont pris dans les nuages et le soleil perce difficilement entre les montagnes. Je sais que la partie va être longue et difficile en dépit d'une meilleure acclimatation que pour le Chang La. Je grimpe lentement et m'efforce de bouger tous les doigts de mes mains et de mes pieds engourdis par le froid (je porte déjà mes gants de descente!) Environ deux heures et demie après mon départ, au camp militaire de North Pullu (4600 m), un dhaba me sert une « maggi soup » et du thé chaud. Ainsi réchauffé et bien hydraté, je repars sans perdre de temps. Mes affaires ne s'arrangent pas lorsque je constate quelques lacets plus haut que l'eau de ma bouteille a gelé. J'ai une thermos de thé qui ne gèlera pas, mais cela fait seulement un demi-litre pour au moins trois heures d'effort avant le col.

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A 4900 m et à un peu moins de 10 km du col, le beau bitume laisse place à une route en construction, pour l'instant à l'état de piste. Ma vitesse en prend un coup: de 5-6km/h à 3,5-4,5km/h au prix d'un effort plus intense. La neige jusqu'alors amassée sur les côtés devient davantage mélangée à la boue au fur et à mesure que la route s'élève. Pour préserver l'adhérence du pneu dans de telles conditions à très faible vitesse, il faut soigner son pédalage. Si l'on se contente de pousser sur la pédale qui descend, la roue tourne par à-coups et risque de déraper. En tirant sur la pédale qui remonte et en ménageant les phases de transitions, on peut imprimer à la roue un mouvement plus régulier.

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Au passage des 5000 m, plus de cinq heures après mon départ, le col paraît tout proche. Pourtant je sais ce que représentent 300 m de dénivelé à cette altitude. Autant j'arrivais jusque-là à ne m'arrêter que tous les 50m de dénivelé, je ressens maintenant le besoin de reprendre mon souffle plus fréquemment encore. De 5000m à 5100 m, il y a environ 5 km de pente douce. Il me faut malgré tout une demi-heure et trois arrêts pour reprendre mon souffle. Le vent s'engouffre dans les montagnes et m'arrive en pleine face sur les lacets les moins bien exposés. Le froid devient alors un vrai problème pour mes mains et mes pieds, au point que je prends le temps de m'arrêter pour changer de chaussettes et rajouter une couche intermédiaire venant du fond de mes sacoches.

 

La pente s'intensifie encore légèrement, et la neige rend la route de plus en plus glissante. Plus de trente minutes et cinq pauses pour parcourir les 3 km entre 5100 m et 5200 m. A 5230 m vient le dernier virage en épingle: le col est (presque) droit devant moi, à peine plus de 2km, 100m plus haut ! Mais sur le moment, je ne peux mobiliser mon énergie à repartir qu'en me concentrant sur un objectif immédiatement accessible, tel un panneau, une borne, ou un endroit propice à prendre une photo. Je m'arrête ainsi cinq fois sur les deux derniers kilomètres, et ne dépasse guère les 4km/h sur le vélo.

 

Voyage à vélo au lac de Pangong et dans la vallée de la Nubra
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Lentement mais sûrement, c'est le col lui-même qui finit par devenir l’objectif suivant, immédiatement accessible. Me voilà de retour au sommet du Khardung La ! Onze ans se sont écoulés depuis ma première ascension depuis l'autre côté. J'attendais ce moment avec impatience. Maintenant qu'il s'offre à moi, plus de sept heures après mon départ et à l'issue de 9 jours de voyage, je ne pense pourtant qu'à quitter au plus vite cet endroit inhospitalier. Romy et les enfants m'attendent depuis ce matin à Leh, là-bas au fond de la vallée. Je me change donc le plus vite possible sans me faire trop d'illusions: la descente va être un calvaire. Mais ça ne pourra pas être pire qu'en 2006, où Vincent et moi étions descendus dans la pluie, la boue et la nuit, mal équipés, et après une montée bien plus épique. En sortant de la cantine des militaires où je m'étais abrité du vent, je me précipite sur mon vélo pour en finir avec cette étape. Après quelques dizaines de mètres à peine, je tombe en arrêt devant le paysage que je n'avais pas pu voir à l'époque. C'est grandiose, la lumière de fin journée sublime les couleurs des montagnes et donne aux cimes enneigées des reflets dorés.

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La route est en réfection sur les premiers kilomètres de descente, il faut en permanence freiner très fort au point de me créer une douleur dans le cou. Trois quarts d'heure pour 8 km de descente, c'est inimaginable sur le papier ! Heureusement la route devient très bonne à l'approche de South Pullu et il est possible de relâcher les freins entre deux virages en épingle. Pas trop non plus, car le vélo prend vite beaucoup de vitesse et j'ai conscience de ne plus être au mieux de ma lucidité. Je mets ainsi deux heures à redescendre à Leh. A point pour la tombée de la nuit. Se retrouver dans le trafic automobile indien, épuisé et transi de froid après une journée pareille, cela a quelque chose de traumatisant. J'ai beau être arrivé à ma destination, je me sens plus angoissé par cet environnement que soulagé. J'ai le sentiment de me réveiller après un long sommeil pendant lequel j'aurais rêvé être sur une autre planète. Me voici maintenant devant l'hôtel Lingzi. Je vois au travers de la porte transparente Romy mettre des gants et des bonnets aux enfants. Cela me rend heureux d'un coup et j'ai envie de les prendre vite dans mes bras. Mais alors que j'entre dans le hall, tout le monde me regarde étrangement comme si j'étais un extraterrestre... Il semblerait que je fasse peur à voir. Faire le Khardung La en vélo revient d'une certaine manière à quitter le monde des humains... pour être d'autant plus heureux de le retrouver !

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