La côte nord de Papouasie, de Manokwari à Wewak
Abstract : shared by two countries - Indonesia and Papua New Guinea (PNG) - the north coast of Papua and its outlying islands will impress even the experienced traveller. Jungle-clad plains and mountains, endless beaches, gorgeous coral reefs and intriguing haus tambaran - traditional houses where mysterious ceremonies take place - will fascinate even the most blasés. True, nothing is simple in Papua where the lack of roads and facilities makes travelling quite challenging for locals and foreigners alike. But this last frontier will prove more than rewarding for those who take the plunge.
Trois semaines ne permettent pas de découvrir toute la Papouasie, loin de là, mais suffisent pour prendre un aperçu d’une partie de la côte nord et de ses îles : de Manokwari (province de Papouasie occidentale, Indonésie), navigation vers les îles de Numfor, Biak et Yapen ; de Yapen, trajet aérien jusqu’à Jayapura, capitale de la province de Papouasie ; puis passage de la frontière Indonésie – P.N.G. et trajet côtier en Papouasie Nouvelle Guinée vers Vanimo, Aitape et Wewak ; de Wewak (province de East Sepik), une incursion dans l’intérieur (région de Maprik) et une visite rapide de l’île de Mushu, avant de regagner la Papouasie indonésienne. Qu’en retenir ?
L'île de Mansinam, près de Manokwari, où les premiers missionnaires allemands s'installèrent en 1855; au centre de l'île, un grand calvaire blanc.
0 - A toutes fins utiles : rappel géographique et historique
Avec 775 000 km², la Nouvelle Guinée est la deuxième ou la troisième plus grande île du monde selon que l’on considère l’Australie comme une île ou un continent. Bornéo est un peu plus petite. La Nouvelle Guinée est à la charnière de l’Asie du sud-est et de l’Océanie. Sa population d’origine, baptisée « papoue » (terme malais signifiant « crépue ») par les premiers navigateurs Européens, est proche des aborigènes d’Australie, les deux terres ayant formé un continent unique jusqu’à la fonte des glaciers du quaternaire.
En 1885, l’île fut partagée par les puissances coloniales de l’époque : Nouvelle Guinée néerlandaise à l’ouest du 141ème méridien [1], protectorat allemand de Kaiser Wilhems Land au nord-est, Nouvelle Guinée britannique au sud-est. Les possessions britanniques puis allemandes passèrent sous le contrôle de l’Australie en 1902 et 1914 avant de devenir finalement indépendantes sous le nom de Papouasie Nouvelle Guinée (P.N.G .) en 1975. Entretemps, l’Australie avait repoussé les troupes japonaises au prix de rudes combats en 1942.
[1] : cette longue frontière qui suit un méridien est entièrement droite, à l’exception d’une courte portion où elle suit le cours de la rivière Fly. La Nouvelle Guinée néerlandaise, qui faisait partie des Indes néerlandaises, était administrée à l’époque par le résident général de Ternate, aux Moluques.
Les Hollandais tentèrent de conserver la Nouvelle Guinée néerlandaise après l’indépendance de l’Indonésie en 1949 mais durent l’abandonner en 1963. Après un processus d’autodétermination très contesté, cette partie de l’île fut intégrée dans l’Indonésie en 1969 sous l’appellation d’Irian Jaya. Le terme de Papouasie était alors banni en Indonésie. La ville de Hollandia fut rebaptisée Jayapura, nom qu’elle conserve aujourd’hui. En 2002, la province prit le nom de Papouasie, concession importante aux aspirations locales ; le terme « Irian » a presque disparu aujourd’hui. En 2003, la province fut divisée en deux. Une nouvelle province fut créée, la Papouasie occidentale, avec Manokwari comme chef-lieu.
La Nouvelle Guinée est donc aujourd’hui partagée entre deux pays : l’Indonésie (deux provinces : Papouasie et Papouasie occidentale) et la Papouasie Nouvelle Guinée (20 provinces, une région autonome et la capitale Port Moresby).
1 – Une nature encore sauvage mais déjà menacée
La Nouvelle Guinée reste une île d’immensité. Qu’on survole ses montagnes ou ses plaines ou qu’on en parcoure quelques portions, la forêt est partout, imposante, intacte en apparence. Vue d’avion, elle n’est interrompue que par des rivières limoneuses qui serpentent à l’infini. Pas une route, pas une ville, pas une clairière jusqu’à l’approche de la côte ou des villes. La forêt semble infinie et impénétrable. Elle reste le refuge d’une faune spécifique dont l’oiseau de paradis est le symbole mais qui compte aussi nombre d’espèces océaniennes : le casoar, deux espèces au moins de cacatoès, le couscous (petit marsupial de la famille des phalangers), des serpents, des crocodiles …
Un casoar à Yapen. Affiche officielle sur les espèces à protéger : "Préserver l'oiseau de paradis, c'est préserver la culture artistique papoue".
Cette nature et cette biodiversité sont pourtant en péril. Ils le sont surtout du fait de la déforestation : la « petite » déforestation des villageois qui défrichent sur brûlis ou vont couper du bois de feu, y compris dans les réserves naturelles, et la déforestation industrielle qui voit des concessions entières débitées en grumes et chargées sur des cargos, à Vanimo (province de Sandaun, P.N.G.) par exemple.
Troncs de kwila à Vanimo. L'espèce, connue aussi sous le nom de merbau, figure sur la liste rouge des espèces menacées de l'U.I.C.N..
Moins dramatique mais préoccupante aussi est l’invasion des déchets de plastique. Ceux-ci ne sont ni collectés ni détruits, ni recyclés de sorte que villes, villages et routes sont autant de dépotoirs. C’est particulièrement vrai en Papouasie indonésienne, un peu moins en Papouasie Nouvelle Guinée qui, plus pauvre, produits moins de déchets et les recycle sans doute un peu plus.
2 – Des transports problématiques
Il y a peu de routes en Papouasie et encore moins de bonnes routes. Aucune route ne relie l’est à l’ouest de l’île, ou le nord au sud dans sa partie centrale. Le principal trajet routier de ce voyage, 175 km entre Aitape et Wewak (P.N.G.), s’est fait au ralenti, avec 24 rivières passées à gué. Entre Vanimo et Aitape, la route côtière n’est plus praticable. Certaines rivières y suppléent – la Sepik notamment – mais très partiellement.
La voie aérienne est la seule possible pour rejoindre nombre de villes et de villages. Les compagnies indonésiennes (Trigana Air, Susi Air …) et de P.N.G. desservent les aéroports secondaires en petits avions à hélices. Là où elles ne vont pas, les compagnies des missions religieuses (M.A.F. protestante, A.M.A. catholique, Adventist Aviation) font un travail remarquable et dangereux pour desservir les petits aérodromes de montagne avec leurs pistes en herbe. Les missionnaires-pilotes portent le courrier, les médicaments, évacuent les malades, bravant les risques du relief et du mauvais temps.
ATR 42 de Trigana Air à Serui (Yapen); Cessna 208 d'AMA (compagnie des missions catholiques) à Sentani; hélicoptère Mi 117C racheté à une compagnie sibérienne sur l'aérodrome de Doyo baru
Là où l’avion ne va pas, il reste l’hélicoptère. Un membre de la commission électorale de la province de Sandaun m’explique qu’il a dû se rendre en hélicoptère avec son équipe dans 82 villages inaccessibles autrement pour recueillir les votes lors des récentes élections générales. Les élections en P.N.G. sont parmi les plus coûteuses au monde.
3 – Une diversité humaine exceptionnelle
Cette nature redoutable a compartimenté les hommes. Ne pouvant se déplacer, les Papous se sont atomisés. Leurs langues se comptent par centaines avec une quarantaine de familles linguistiques et des langues isolées. Un habitant de la province de Sandaun me dit que sa langue natale n’est parlée que dans deux villages : le sien et le village voisin.
Les brassages de population d’aujourd’hui ont rendu indispensable le recours à des langues véhiculaires : l’indonésien en Papouasie indonésienne, que tous les Papous comprennent et parlent très souvent entre eux faute de pouvoir se comprendre autrement s’ils ne proviennent pas du même village. En P.N.G., c’est le tok pisin (pour : « talk pidgin »), sorte de créole dérivé de l’anglais qui permet à tous de se comprendre même si beaucoup ont aussi des rudiments d’anglais.
Les non-Papous sont peu nombreux en P.N.G. encore que le commerce y soit comme ailleurs aux mains des Chinois. En Papouasie indonésienne en revanche, un demi-siècle d’immigration a profondément transformé la société : Javanais, Madurais, Minangkabau, Makassar, Bugis, Toraja, Moluquois et bien sûr Chinois sont aujourd’hui aussi nombreux que les Papous, plus nombreux dans les villes. Beaucoup de ces arrivants étant musulmans, l’islam coexiste avec les nombreuses églises chrétiennes, alors qu’il est quasiment absent de P.N.G..
La Papouasie indonésienne est donc socialement et politiquement complexe. Les relations personnelles entre les Papous et les autres peuvent être cordiales, y compris avec les militaires lorsque les gradés font preuve de tact, comme je l’ai observé dans une des îles. Mais le problème est bien là, le ressentiment est palpable et la question est loin d’être close nonobstant le statut d’ « autonomie spéciale » en vigueur depuis 2001.
4 – Un grand écart de développement
Les deux provinces indonésiennes de Papouasie sont parmi les moins développées du pays. L’économie repose largement sur les mines (l’énorme mine de cuivre de Grasberg sur la côte sud) et l’exploitation forestière. Malgré les fonds publics alloués au titre de l’autonomie, le niveau de vie reste bas, même si la Papouasie est une terre d’opportunités pour les Indonésiens venus de l’ouest.
Il demeure que l’écart de richesse et de développement avec la Papouaise Nouvelle Guinée est saisissant. En franchissant la frontière entre Jayapura et Vanimo, on change de monde et on plonge dans une pauvreté profonde. Ici, très peu de voitures et pas de motos alors que chaque Indonésien ou presque à la sienne. En P.N.G., on marche le long des routes (impensable dans le pays voisin), on s’entasse à l’extrême pour des heures dans des pick-ups exposés au soleil et à la pluie, ou dans des embarcations légères au risque de chavirer. Pauvres marchés où l’on ne trouve presque rien en dehors du sago, du taro et de quelques conserves. Le peu de biens et de services disponibles est proposé à des prix prohibitifs, qui peuvent aller jusqu’à dix fois le prix indonésien (trois à cinq fois le plus souvent). Trouver un repas, si simple soit-il, est parfois impossible. J’ai déjeuné de grand appétit dans les minutes qui ont suivi mon retour en Indonésie après une semaine en P.N.G..
5 – De hauts lieux de la guerre du Pacifique
Un voyageur distrait pourrait presque ne rien voir car les habitants des deux pays sont jeunes et peu concernés par une guerre livrée il y a 75 ans par d’autres pays sur leur sol [2].
Pourtant, la côte nord de Papouasie est riche en lieux de mémoire de la guerre du Pacifique. Le Japon s’en était emparé en 1942, avant de se heurter aux Australiens plus à l’est, et y avait construit des bases. Américains et Australiens ont repris la côte nord en avril 1944 grâce à l’offensive de Hollandia Wewak. Ils y ont à leur tour construit de grandes bases, d’où ils ont préparé la reconquête des Philippines.
L’impressionnant matériel laissé par l’armée américaine (à l’origine du cargo cult) a été peu à peu dispersé ou détruit mais le voyageur attentif trouve encore quelques épaves ou les restes de pistes d’atterrissage enfouies sous la végétation équatoriale (Numfor, Tadji). Quelques monuments attestent de la violence des combats.
[2] : C’est bien sûr de la Seconde Guerre mondiale qu’il est ici question. La Première Guerre mondiale n’avait pour ainsi dire pas eu la Nouvelle Guinée pour théâtre mais elle avait eu une conséquence importante : l’Australie s’était emparée de la Nouvelle Guinée allemande dès 1914, réunissant le nord-est et le sud-est de l’île et ouvrant la voie à la P.N.G. d’aujourd’hui.
6 – Un voyage parfois compliqué mais riche en impressions fortes
Le voyage en Papouasie indonésienne présente les caractéristiques communes à l’est de l’Indonésie [3], à un degré particulièrement fort. La contrainte principale est la rareté des transports en commun et la nécessité d’affréter des motos, des voitures, des embarcations voire de petits avions à un prix très élevé si l’on veut se déplacer beaucoup en peu de temps.
En revanche, et comme toute l’Indonésie, les provinces de Papouasie sont sûres pour les étrangers malgré les tensions évoquées plus haut. Avec un minimum de discernement, le voyageur peut aller sans crainte, au moins sur la côte nord et ses îles.
En P.N.G., les choses sont beaucoup plus compliquées. Les transports sont encore plus rares, transports, hôtellerie et restauration sont particulièrement onéreux pour une qualité au mieux médiocre et la sécurité ne peut être tenue pour acquise. Les habitants, très prévenants, mettent constamment en garde l’étranger de passage contre le risque de mauvaises rencontres. Ils l’invitent à se faire accompagner en permanence de jour et à se cloîtrer de nuit.
Le voyage n’est donc pas simple mais il laisse des impressions fortes : des paysages remarquables, notamment dans les îles côtières, des fonds marins très beaux dont Rajah Ampat et la baie du Triton, en Papouasie occidentale, sont les plus renommés ; des cultures très riches et à nulles autres pareilles que les Parisiens connaissent grâce aux collections du Musée du Quai Branly ; un accueil dont la gentillesse ne se dément jamais. Tout cela vaut bien plus que les quelques tracas rencontrés.
* * *
[3] : notre mode d’emploi des Tanimbar et des Moluques du sud-ouest (février 2016) est très largement transposable à la Papouasie.
Des deux côtés de la frontière, la Papouasie fait face à de très grands défis écologiques, économiques, sociaux et politiques. Leur ampleur peut inquiéter mais il faut espérer que les deux pays sauront trouver les voies d’un développement durable et de la concorde entre les groupes. Les Papous et ceux qui les ont rejoints le méritent.
Juste avant de quitter l’île, j’ai visité le site du quartier général de Mac Arthur en 1944. Que le Général me permette de lui emprunter sa phrase célèbre : « je reviendrai ».
Voyez aussi le journal quotidien du voyage.